Cet article date de plus de neuf ans.

L'article à lire pour comprendre ce qu'il se passe en Libye

Deux gouvernements pour un seul pays, des milices incontrôlables, des groupes jihadistes en pleine expansion : francetv info vous aide à y voir plus clair sur la situation en Libye.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Un homme clandestin est menacé par la police libyenne à Tripoli (Libye), le 13 mars 2015. (GORAN TOMASEVIC / REUTERS)

Tous les regards se portent à nouveau vers la Libye. Quatre ans après le début de la révolution dans le pays, le chaos règne. Attisée par la progression de l'Etat islamique, la guerre civile affaiblit chaque jour un peu plus les structures étatiques. Parmi les conséquences de cette désorganisation générale : l'augmentation du trafic de migrants, devenu incontrôlable, qui donne lieu à des drames, comme la mort probable d'au moins 700 migrants, samedi 18 avril.

Deux gouvernements qui se font la guerre, des milices incontrôlables, des jihadistes inquiétants, une intervention internationale envisagée : si vous n'arrivez plus à suivre ce qui se passe en Libye (on vous comprend), francetv info vous propose cet article pour y voir un peu plus clair.

C'est quoi la Libye ?

Un grand pays dans le nord de l'Afrique. Il fait plus de trois fois la taille de la France métropolitaine mais pour une population de seulement 6,2 millions d'habitants (moins que la Belgique ou la Tunisie voisine). C'est un pays de désert : immense et vide.

A l'ouest, la Tunisie et l'Algérie. Au sud, le Niger et le Tchad. A l'est, l'Egypte. Enfin, au nord, la Méditerranée et, à quelques encablures, les côtes italiennes et l'Europe. Tout près, donc. Tripoli est plus proche de Rome que du Caire ou de ses frontières nigériennes et tchadiennes.

Les Libyens parlent arabe, ils sont pratiquement tous musulmans sunnites. Mais ils sont divisés en de nombreuses tribus. Spécialiste du pays, le chercheur Hanspeter Mattes en dénombre "environ 140" (en anglais).

Voici une carte de la CIA montrant la répartition des groupes ethniques et quelques tribus :

Libya ethnic groups

L'Italie, puissance coloniale, perd la Libye pendant la seconde guerre mondiale. Le pays est dirigé par le colonel Mouammar Kadhafi à partir de 1969. Mais le "Guide de la révolution", qui a soutenu le terrorisme, est confronté, en 2011, au printemps libyen, qui débouche sur une insurrection armée et des frappes de l'Otan. Le dirigeant est tué en octobre. Les insurgés gagnent au prix de plusieurs milliers de morts.

Tout va bien alors, le dictateur est mis hors d'état de nuire ?

Après la chute de Kadhafi, tout semblait bien parti. En 2012, la transition emprunte le chemin de la démocratie. Les Libyens choisissent leurs représentants lors des premières élections libres du pays. Le Conseil national de transition (CNT), formé en temps de guerre, est dissous.

Mais le mirage s'estompe. Les échafaudages politiques et tribaux de Kadhafi effondrés, la marche du pays se grippe. Des milices dotées d'un important arsenal contrôlent seules leurs territoires, et les nouvelles institutions redoutent de les désarmer, perdant toute autorité.

Le pays dérape. Des installations pétrolières sont prises d'assaut par des groupes armés, la situation sécuritaire se dégrade, et la Libye rencontre des blocages politiques graves.

Mais y a-t-il quelqu'un qui dirige la Libye ?

Pas vraiment. Depuis des mois, il y a deux grands camps, deux autorités, en Libye : Tripoli et Tobrouk (est). Dans chacune de ces villes siège une assemblée défendue par des groupes armés ennemis.

A Tripoli se tient une première assemblée dominée par les islamistes (Frères musulmans). Elle est soutenue par les milices de la ville de Misrata, un des hauts lieux de la révolution, à 200 km à l'est de Tripoli. A l'étranger, cette coalition qui se fait appeler Aube de la Libye (Fajr Libya) bénéficie de la bienveillance du Qatar et de la Turquie.

A Tobrouk, près de la frontière égyptienne, siège une deuxième assemblée, plus modérée, libérale. Elle peut compter sur les milices de Zintan (ouest), autre bastion révolutionnaire, ainsi que sur les forces du général Khalifa Haftar. De retour d'exil aux Etats-Unis, soutenu par des militaires libyens, cet officier à la retraite dit vouloir purger le pays des "terroristes". Les autorités de Tobrouk sont les seules reconnues par la communauté internationale. Elles ont l'appui de l'Egypte et des Emirats arabes unis. 

Attention aux étiquettes, toutefois. "Plus qu'un combat entre islamistes et laïcs, il s'agit d'une lutte entre les nouvelles élites issues de la révolution, qui se reconnaissent dans le pouvoir de Tripoli, et les anciennes élites, représentées par les autorités de Tobrouk", prévient Ali Bensaad, chercheur à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman (Iremam, CNRS), interrogé par La Croix.

Pour y voir plus clair, voici une carte, réalisée par un historien, des forces en présence. Figurent en jaune, la zone d'influence de Tripoli, et en vert, celle de Tobrouk). 

Vous pouvez cliquer sur ce lien pour voir la carte en plus grand.

Attendez, je vois plus de deux camps sur la carte...

Bien vu ! C'est que la situation est (encore) plus compliquée. Il n'y a pas un conflit, mais des conflits, et plus de deux parties prenantes. Au-delà de l'affrontement entre les deux coalitions, les populations du sud du pays, du désert (Touaregs, Toubous), reprochent à Tripoli de les marginaliser. Le Sud est la région de tous les trafics : armes, migrants, drogues. Cette zone inquiète particulièrement les pays subsahariens qui bordent la Libye, Niger et Tchad en tête. Ils n'ont pas envie de connaître le sort du Mali, dont le Nord a été conquis et occupé un temps par des jihadistes qui circulent en Libye.

Quels jihadistes ? L'Etat islamique ?

Les jihadistes étrangers que l'armée française a combattus au Mali sont affiliés à Al-Qaïda et non à l'Etat islamique, considéré comme une organisation rivale. Al-Qaïda au Maghreb islamique circule dans plusieurs pays à cheval sur le Sahara, où ses membres ont trouvé un sanctuaire.

L'apparition de l'Etat islamique est un phénomène récent en Libye. Il remonte à l'automne 2014, quand une milice de la ville de Derna (à l'est, au bord de la Méditerranée) a prêté allégeance à l'EI, y gagnant prestige et possibilités de recrutement. Comme en Syrie et en Irak, l'Etat islamique pourrait viser le pétrole, explique Libération (le pays a les plus importantes ressources d'Afrique)Il a pris d'assaut la ville de Nofilia et contrôle une partie de Syrte, deux villes côtières proches des installations pétrolières. Il ne reconnaît pas l'autorité (islamiste) de Tripoli et fait cavalier seul. Une confrontation semble donc inéluctable. 

Mais le groupe jihadiste le plus puissant en Libye est peut-être Ansar Al-Charia. Cette organisation est classée terroriste par les Etats-Unis et accusée d'être responsable de l'attaque de son consulat à Benghazi. Alliée de circonstance de l'autorité de Tripoli, elle est traquée par les forces du général Haftar, lui-même allié des autorités de Tobrouk.

Pfff, c'est bien compliqué. Et, franchement, en quoi cela nous concerne ?

Comme en Syrie, la création d'un nouveau sanctuaire pour des groupes terroristes menace la France, et pourrait attirer des jihadistes étrangers. Surtout, la Libye est aux portes de l'Europe. En plus d'un afflux de migrants qu'elle peine à gérer, l'Italie craint un problème sécuritaire. Dans la vidéo où la branche libyenne de l'Etat islamique exécute des coptes égyptiens, les terroristes menacent : "Avant, nous étions en Syrie. Maintenant, nous sommes en Libye, à 350 km du sud de l'Italie. Rome est à portée de main."

Dans la foulée, l'ambassade italienne, la seule occidentale qui était encore ouverte en Libye, a fermé, et son personnel a été rapatrié. Rome a peur. L'hypothèse de l'infiltration de terroristes se glissant dans les bateaux de migrants est même évoquée dans la presse.

Un navire chargé de migrants arraisonné par la marine italienne, le 4 août 2014, en Mediterranée. (MARINA MILITARE / AFP)

Et personne ne fait rien ?

Si, si. D'abord l'émissaire de l'ONU pour le pays, Bernardino Leon, cherche une solution politique entre Tripoli et Tobrouk. Mais elle a peu de chance de réussir.

Depuis des mois, le Tchad et le Niger réclament une intervention militaire. L'Egypte a pris les devants au lendemain de l'exécution de ses 21 ressortissants et bombardé le fief de l'Etat islamique, à Derna. L'Italie s'est dit prête à participer à une coalition internationale et à envoyer 5 000 hommes.

Le Conseil de sécurité de l'ONU doit se réunir mercredi après-midi sur la situation en Libye en présence du chef de la diplomatie égyptienne. La France, l'Italie et l'Egypte veulent que le Conseil prenne des "mesures nouvelles". L'Egypte souhaite continuer ses frappes, mais au sein d'une coalition. Bref, la question d'une intervention internationale est de plus en plus ouvertement évoquée.

Bon, alors, on va intervenir en Libye ?

Il ne faut pas trop compter sur une résolution de l'ONU. La Russie et la Chine sont réticentes à l'idée d'intervenir sous bannière onusienne. Moscou a toujours reproché aux Nations unies d'avoir outrepassé leur rôle en adoptant des résolutions qui ont mené à l'opération internationale pour renverser Mouammar Kadhafi.

Mais ce n'est pas le seul problème. L'existence de deux "gouvernements" complique une perspective d'intervention. Qui formulerait la demande d'aide ? Qui dirigerait la Libye après l'intervention ?

Enfin, une opération militaire en Libye est à hauts risques. Impossible de tenir un pays aussi vaste et dont une partie de la population est hostile aux Occidentaux. D'éventuels bombardements et les "dégâts colatéraux" qui en résulteraient ne feraient que dresser les habitants contre les Occidentaux. Quant à une intervention terrestre, elle risquerait surtout de faire de la Libye une terre de jihad. Ainsi, Paris, conscient du problème, ne souhaite pas mener une coalition.

Désolé, j'ai eu la flemme de tout lire et j'ai scrollé vers le bas. Vous me faites un petit résumé ?

Après la mort de Mouammar Kadhafi, en 2011, le pays semblait trouver sa voie, avec l'organisation d'élections libres. Mais les milices lourdement armées ont continué à faire la loi chez elles, et le pays s'est enfoncé dans des blocages politiques. L'instabilité a gagné du terrain.

Depuis août 2014, la Libye est divisée en deux coalitions, avec deux autorités, exposées à des influences étrangères. A Tripoli, l'autorité est dominée par des islamistes, mais surtout de nouvelles élites issues de la révolution ; à Tobrouk, par des laïcs qui appartiennent à l'ancienne élite. A cette ligne de fracture s'ajoutent de nombreux conflits plus ou moins locaux, notamment dans le Sud, qui s'estime délaissé. Les groupes armés nouent des alliances de circonstance. Ce climat profite à des organisations terroristes comme l'Etat islamique, apparu récemment en Libye.

L'éclatement de la Libye menace l'Europe, dont elle est très proche. Mais une intervention militaire, réclamée notamment par l'Egypte, qui a déjà bombardé la Libye, ne sera pas facile à obtenir à l'ONU. Sans compter qu'elle comporte de sérieux risques.

Lancez la conversation

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour commenter.