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"Envoyé spécial" a enquêté sur l'assassinat des deux journalistes de RFI au Mali : "On est au cœur d’un scandale d’Etat"

Dans son numéro de jeudi, le magazine explique que Ghislaine Dupont et Claude Verlon auraient pu être assassinés par Al-Qaïda en représailles à la libération des otages d’Arlit, au Niger, en 2013. Franceinfo a interrogé l'un des coauteurs de l'enquête.

Article rédigé par franceinfo
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Ghislaine Dupont et Claude Verlon, de RFI, ont été tués le 2 novembre 2013 près de Kidal, dans le nord du Mali. (RFI)

C’est une enquête édifiante que diffuse "Envoyé Spécial", jeudi 26 janvier à 21h05 sur France 2. Les journalistes du magazine ont eu accès à des éléments qui montrent que l’assassinat des deux journalistes de RFI en novembre 2013 au Mali pourrait avoir des liens avec la libération, quelques jours plus tôt, des otages d’Arlit.

Dans leur reportage s'entremêlent des réseaux de barbouzes, des rançons pas entièrement versées, des intermédiaires qui se servent au passage et des secrets bien gardés au sommet de l’Etat. Franceinfo a interrogé Geoffrey Livolsi, coauteur de l’enquête (avec Michel Despratx et le journaliste malien Cheick Amadou Diouara).

Franceinfo : Quel est le point de départ de votre enquête ?

Geoffrey Livolsi : On a commencé à travailler sur le sujet en novembre 2015, après la plainte contre X déposée par Marc Féret, l’un des sept otages d’Arlit au Niger, pour complicité de séquestration. On se demandait pourquoi il portait plainte trois ans après sa libération. Alors nous nous sommes renseignés et avons découvert que les otages étaient persuadés que l’Etat avait à plusieurs reprises retardé leur libération.

Ont-ils raison de le penser ?

Effectivement, on a vite remarqué qu’il y avait eu des couacs, des contretemps… Bref, des choses pas très claires. On a donc remonté le fil des négociations qui ont permis la libération de Pierre Legrand, Marc Féret, Thierry Dol et Daniel Larribe, le 29 octobre 2013, après trois ans de captivité. Grâce à nos recherches, on va comprendre qu’il n’y avait pas une équipe de négociateurs, mais plusieurs, qui étaient en concurrence en quelque sorte. Il y a l’équipe soutenue par la DGSE et Areva, l'employeur des otages, et puis d'autres qui travaillent en parallèle. Des soupçons de détournement des rançons vont rapidement naître.

Vous racontez, dans votre reportage, qu’il y a eu une tentative de libération en mai 2012...

Exactement, on est là en pleine élection présidentielle, et Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) accepte de libérer Marc Féret contre le versement d’une rançon, et peut-être même tous les otages. Pour preuve, tous les otages ont été réunis à cette époque. Et Aqmi leur avait fait comprendre qu'une libération était proche. 

Mais cette tentative va capoter... 

Voilà. Le 3 mai 2012, c’est-à-dire trois jours avant le second tour de la présidentielle, l’entreprise Areva apprend que l’opération est annulée. C'est l'Elysée qui l'a décidé. Plus précisément, le général Benoît Puga, chef d'état-major particulier de Nicolas Sarkozy. L'homme explique que le contexte politique est inopportun. La question qu'on se pose alors, c'est de savoir si Nicolas Sarkozy, à l'époque, a ou non validé cette décision ? Le problème, c’est que ce couac va crisper les ravisseurs, qui vont s'agacer et perdre confiance. Après ce raté, les otages vont rester dix-huit mois de plus en captivité. Jusqu’au 29 octobre 2013, jour de leur libération.

Et trois jours plus tard, dans la même région, deux journalistes français de RFI sont enlevés et assassinés.

Lorsqu’on a démarré notre enquête, on ne pensait pas du tout faire un lien entre les deux histoires. Et là, oui, on se rend compte qu’il y a une coïncidence dans le temps et dans le lieu. Ghislaine Dupont et Claude Verlon étaient dans la région de Kidal, au Mali, le pays voisin, pour couvrir les élections législatives. On a creusé cette piste. Au fil de nos recherches, on va s’apercevoir que les ravisseurs n’ont peut-être pas reçu l’intégralité de la somme d’argent ou toutes les contreparties de l'accord qu’ils demandaient à la France en échange de la libération des otages d’Arlit. Des chauffeurs, des gardiens et des proches d'Aqmi, qui ont facilité la négociation, n'auraient pas été payés.

Existe-t-il des documents qui l'attestent ?

Dans le documentaire, un ancien négociateur, soutenu par le ministère de la Défense, accuse la DGSE d'avoir refusé de payer 3 millions d'euros à destination de l'équipe locale au Niger. On a retrouvé des documents classés "confidentiel défense", qui accréditent l'hypothèse d'un assassinat par vengeance. Des ravisseurs des otages d'Arlit se seraient sentis dupés. Un ancien directeur de la DGSE, qui a accepté de nous parler, évoque cette hypothèse pour la première fois. Il y a donc beaucoup de questions qui se posent sur ce que savent vraiment les autorités. On est au cœur d’un scandale d’Etat.

Avez-vous tenté de faire réagir les autorités ?

Bien sûr. On a sollicité l’Elysée, le ministère de la Défense, et même Nicolas Sarkozy. Mais personne n’a accepté de répondre à nos questions. Sauf la DGSE, qui a réagi il y a quelques jours : elle affirme qu'il n'y a aucun lien entre l'assassinat des journalistes de RFI et la négociation des otages d'Arlit. 

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