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Maroc : des enquêtes à haut risque

Enquêter sur le roi du Maroc est toujours une entreprise à haut risque. On l’a vu récemment avec ces deux journalistes français accusés par le Maroc d’avoir voulu faire chanter le roi. Mais cette histoire, aussi incroyable soit-elle, n’est pas la première.
Article rédigé par Benoît Collombat
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Visite de François Hollande au Maroc le 20 septembre 2015 © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA)

De l’argent contre la non-publication d’un livre, au Maroc, cela a déjà existé

Il y a vingt-cinq ans, avec la parution du plus célèbre des livres-enquêtes, "Notre ami le roi", du journaliste Gilles Perrault. Un véritable brûlot qui dévoile l’envers du décor de la monarchie, sous Hassan II : répression, corruption, torture et prisons secrètes. L’enquête doit sortir en septembre 1990. Mais juste avant sa publication, Hassan II tente "un coup de poker" : il envoie son ministre de l’Intérieur, Driss Basri, comme émissaire auprès du ministre français de l’Intérieur, Pierre Joxe. Et voilà ce qu’il lui propose, révèle Gilles Perrault : "Driss Basri a dit :  "La parution de ce livre va troubler les relations franco-marocaines. Il ne faut pas que ce livre paraisse. Nous sommes prêts à dédommager l’éditeur et l’auteur ". [...] Les Marocains ont proposé entre cinq et six milliards d’anciens francs [près de neuf millions d’euros]. A l’échelle d’un Etat, ce sont des clopinettes !"

Une fois le livre publié, en France, Hassan II, annule l’année du Maroc en France, en guise de représailles. Au Maroc, le livre circule "sous le manteau", y compris sous la forme de cassettes audio. Et depuis, Gilles Perrault est persona non grata au Maroc.

  (Des livres sur le Maroc : entre enquêtes et hagiographies © Photomontage - RF)

Difficile également d’enquêter sur place, au Maroc

Un journaliste français peut en témoigner, c’est Joseph Tual : "le" spécialiste de l’affaire Ben Barka, sur France 3. Il a révélé l’existence de certaines prisons secrètes au Maroc, comme le "PF3", situé en plein Rabat où de nombreux opposants marocains ont été torturés et tués.

Mais pour filmer ce lieu ultra-sensible, le journaliste a dû ruser : "Les Marocains ont mis le paquet : j’avais à mes trousses plusieurs voitures, une moto… Une surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. [...] L’objectif c’était de me faire peur, de m’impressionner et tenter de dissuader les personnes que je devais rencontrer de me voir et d’être filmées. Lorsque j’ai réussi à filmer, pour la première, fois le PF3, c’était de façon totalement clandestine. [...]. Je me suis caché dans un coffre de voiture pour échapper aux policiers. Ma voiture de location a été entièrement désossée par les services marocains. Mes bagages sont fouillés [...]"

Compliqués aussi pour les journalistes du pays

Comme le résume Eric Le Braz qui a travaillé dans la presse marocaine jusqu’en 2013 : il y a trois lignes rouges qu’il ne faut pas franchir, qui correspondent à la devise du Maroc : "Dieu, la patrie, le roi". Cette "ligne rouge", Aboubakr Jamaï l’a franchie à plusieurs reprises, en tant que directeur de l’hebdomadaire "Le Journal". 

Résultat : en 2007, il doit quitter le Maroc pour la France. Et il a été condamné à payer 250 000 euros dans un procès en diffamation : "Le harcèlement judiciaire est l’un des outils utilisés dans "la boite à répression" du Maroc. C’est d’autant plus simple que la justice est aux ordres. En fait, l’outil fatal c’est l’asphyxie économique des journaux, par le boycott des annonceurs publicitaires. [...] Il suffit qu’un "signal" soit envoyé, et votre mort est programmée ! Depuis l’arrivée au pouvoir de Mohamed VI, la situation de la presse s’est dégradée. Pire que sous Hassan II !"

Et puis, il a ceux qui n’hésitent pas à s’opposer frontalement à la monarchie

C’est le cas du boxeur Zakaria Moumni. Ce champion du monde de kick-boxing est devenu "la bête noire" du régime marocain. Il s’appuie sur un décret royal pour réclame un poste de conseiller auprès du ministre marocain des sports.  Et il n’hésite pas à manifester bruyamment devant une résidence du roi. C’est le début de ses ennuis. En septembre 2010, Zakaria Moumni est enlevé, puis torturé pendant  quatre jours, au Maroc. Il affirme que le tout puissant patron du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi, faisait partie de ses tortionnaires. Le boxeur passe dix-sept mois en prison.

Selon Zakaria Moumni, le royaume aurait ensuite tenté d’acheter son silence, en lui proposant jusqu’à six millions d’euros pour racheter un club de sport à Paris. Finalement, il dépose plainte pour torture, en France. Et là, les choses s’aggravent : "On m’a envoyé des photos à caractère pornographique sur mon portable pour tenter de me faire chanter. On me voit allongé, en train de tenir mon sexe. C’est un photomontage. Le même jour, quelqu’un est venu sonner à mon interphone, vers 22 heures. Il m’a parlé en arabe, en me disant : " Tu as compris le message ? Si tu ne retires pas tes plaintes, tu vas subir des représailles. On va rendre public des vidéos." Ils ont pensé qu’ils pouvaient m’impressionner !"

Le boxeur dépose plainte pour "menaces, intimidations et atteinte à l’intimité de la vie privée". De son côté, l’avocat du Maroc, Ralph Boussier, dément le témoignage de Zakaria Moumni, en expliquant que "c’était lui qui réclamait de l’argent ". Le palais réplique avec une plainte en dénonciation calomnieuse. La bataille va donc se poursuivre devant les tribunaux.

Benoît Collombat répond à Marie Bernardeau
 

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