Interview Drame lors du pèlerinage à La Mecque : avec le changement climatique, "il y aura des périodes qui seront tout simplement impossibles pour réaliser les pèlerinages", assure un expert du Giec

Les chaleurs extrêmes pendant le hajj ont tué plus de 1 000 personnes cette année. Comme le climatologue Robert Vautard, les scientifiques prédisent que dans moins d'un siècle, le changement climatique pourrait rendre le pèlerinage impossible certaines années.
Article rédigé par Joanna Yakin
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Des pèlerins musulmans le 16 juin 2024 à Mina, près de La Mecque, lors du grand pèlerinage. (FADEL SENNA / AFP)

Plus d'un millier de personnes au moins sont mortes lors du hajj, le grand pèlerinage musulman qui s'est déroulé à La Mecque, en Arabie saoudite, du vendredi 14 au mercredi 19 juin. Si ce bilan est encore très provisoire, la grande majorité des décès sont déclarés comme étant liés à la chaleur avec des températures qui ont atteint jusqu'à 51,8 degrés Celsius.

Robert Vautard, climatologue, membre du GIEC, confirme à franceinfo que plusieurs études scientifiques prédisent que le pèlerinage à La Mecque subira de plus en plus les effets du changement climatique. Le stress thermique des pèlerins dépassera le "seuil de danger extrême" entre 2047 et 2052 et de 2079 à 2086, "avec une fréquence et une intensité croissantes à mesure que le siècle avance", prédit notamment une étude publiée en 2019 dans la revue Geophysical Research Letters.

En tant que scientifique, expert du Giec, êtes-vous étonné par ce nombre de décès liés à la chaleur pendant le pèlerinage cette année en Arabie saoudite ?

Avec des températures qui montent jusqu'à 48 degrés ou un petit peu plus même, je ne suis pas du tout étonné de la mortalité que ça crée. Les conditions physiques sont absolument intenables dans cette fournaise. On connaît bien les effets de la chaleur sur la mortalité, sur le fait qu'on n'arrive plus à refroidir son corps. Au bout d'un moment on est en hyperthermie, c’est-à-dire que l'on ne peut plus refroidir son propre corps par évaporation et maintenir la température à 37 degrés. Il y a aussi d'autres problèmes, notamment des problèmes cardiovasculaires. Les personnes qui ont ces problèmes vont être exposées à des conditions extrêmes qui peuvent déclencher des accidents vasculaires et des problèmes cardiaques.

En 2015, une étude du MIT avait prévenu que d'ici 2100 les effets du réchauffement climatique pourraient rendre impossible la tenue du pèlerinage à La Mecque. Cet épisode n'est-il pas en train de le confirmer ?

Dans les scénarios qui suivent les politiques actuellement mises en place, c’est-à-dire des scénarios à trois degrés de réchauffement à peu près, il faut s'attendre à au moins trois degrés de plus, voire jusqu'à six degrés de plus dans les vagues de chaleur. Ça amène à des températures au-delà de 50 degrés. Certains pays du Golfe persique atteignent déjà ces températures, par exemple l'Irak, mais lorsque ça se produit au moment d'un pèlerinage, c'est terrible. Ce ne sera pas forcément tous les ans, tout le temps, mais il y aura des périodes durant lesquelles il sera tout simplement impossible de réaliser les pèlerinages, notamment fin juin, en juillet ou en août.

Pour protéger les pèlerins de la chaleur, l'Arabie saoudite installe de nombreux systèmes de climatisation, n'est-ce pas un cercle vicieux ?

Oui, absolument, mais de toute façon il faudra de la climatisation pour les hôpitaux, pour les personnes vulnérables, il ne faut pas imaginer que c'est une solution à laquelle on pourra échapper : il en faudra. Il en faudra le moins possible, mais il en faudra quand même pour que les personnes puissent se rafraîchir, même en France. Simplement, il ne faut pas considérer que c'est la solution à tous les problèmes, il y a bien d'autres choses à faire comme isoler les logements et bien sûr pour réduire le réchauffement climatique baisser les émissions de gaz à effet de serre.

Pour des pays comme l'Arabie saoudite peut-on encore inverser la tendance ?

Très clairement, le réchauffement climatique ne reviendra pas en arrière. Les conditions ne vont donc pas s'améliorer et on aura de plus en plus d'épisodes de ce type-là, en Arabie saoudite comme ailleurs.

Les dernières études assurent que les pays du Golfe vont devenir "hostiles" à l'homme en raison de leurs conditions climatiques.

Absolument. Ce qui se passe en plus autour du Golfe, c'est un autre phénomène qui s'appelle le stress thermique. Autour du Golfe, on peut avoir des morts pour des températures bien moindres, pour 35 ou 40 degrés qui sont généralement supportables par la plupart de la population dans des conditions sèches. 

"Lorsque l'humidité atteint presque la saturation, c’est-à-dire presque 100%, on est dans les mêmes conditions de ne pas pouvoir transpirer parce que l'air extérieur est trop humide et ne peut pas absorber notre transpiration."

Robert Vautard

à franceinfo

Or, c'est la transpiration qui fait redescendre la température du corps. C'est ce qui se passe souvent lors des épisodes chauds autour du Golfe, parce que le golfe persique est très chaud, particulièrement en été, les eaux sont très chaudes. Lorsque l'eau s'évapore, elle s'évapore beaucoup et sature l'eau d'humidité. Alors qu'il ne fait pas forcément 45 ou 50 degrés on a ce stress thermique qui est lié à la fois à la chaleur et à l'humidité. Pour l'événement qui s'est produit à la Mecque, on peut se poser la question de savoir quel était le degré d'humidité. Il est possible que ce soit un épisode de chaleur avec aussi pas mal d'humidité. Ce qu'il faut savoir, c'est qu'en France, les vagues de chaleur font toujours des centaines de morts à chaque fois. Par exemple, en 2022, on a eu des centaines de morts comme ça. En 2019 on avait aussi des centaines, voire des milliers et des milliers de morts en Europe. Les vagues de chaleur, c'est vraiment ce qu'on appelle les tueurs silencieux du changement climatique. Ça ne fait pas des images impressionnantes comme les inondations mais il y a beaucoup de gens pour qui ça peut être fatal.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.