Multiplication des conflits, crise climatique... Pourquoi le nombre de personnes déplacées de force dans le monde continue d'exploser

L'agence des Nations unies pour les réfugiés, qui publie son rapport annuel, a dénombré plus de 120 millions de personnes déplacées de force à la fin avril. Un chiffre en hausse depuis plus de dix ans.
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
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Des tentes de Palestiniens déplacés à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 31 décembre 2023. (MAHMUD HAMS / AFP)

Des "niveaux historiques", et un phénomène qui continue de progresser. Il y avait plus de 120 millions de personnes déplacées de force dans le monde fin avril, selon le rapport annuel de l'agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR), publié mercredi 12 juin. C'est presque autant que la population totale du 12e Etat le plus peuplé de la planète, le Japon.

Il s'agit de "la 12e augmentation annuelle consécutive", pointe l'agence de l'ONU. Le nombre de déplacés a augmenté de 8% en un an et quasiment doublé en une décennie. La hausse la plus nette concerne les déplacés internes, contraints de fuir dans leur propre pays. Ils représentent la majorité des déplacés dans le monde et leur nombre (68,3 millions de personnes) a augmenté de près de 50% en cinq ans, selon l'Observatoire des déplacements internes.

"Une prolifération des conflits" 

"Nous voyons un grand nombre de personnes déplacées, une ampleur que nous n'avions pas vue depuis longtemps", observe auprès de franceinfo Shabia Mantoo, porte-parole du HCR. Pour comprendre cette progression, et son inscription dans la durée, elle relève en premier lieu "une prolifération des conflits".

"De nouveaux conflits émergent, et d'autres conflits et situations de déplacements massifs continuent."

Shabia Mantoo, porte-parole du Haut-Commissariat aux réfugiés

à franceinfo

Dans son rapport, l'agence de l'ONU évoque par exemple le cas du Soudan, où un conflit fait rage depuis le printemps 2023 entre l'armée et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). Les hostilités ont provoqué "l'une des crises humanitaires et de déplacement les plus importantes au monde", avec plus de 6 millions de déplacés fin 2023. "Des milliers de personnes sont toujours déplacées au quotidien", rappelle le HCR. La guerre dans la bande de Gaza, depuis les attentats du 7 octobre en Israël, a, à son tour, entraîné une crise majeure : 1,7 million de personnes déplacées de force (soit plus de 75% de la population gazaouie) ont dû fuir les combats et bombardements. 

A cela s'ajoute "une résurgence des combats" dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), les violences des gangs en Haïti ou encore une insécurité "persistante" en Somalie, qui n'ont fait qu'aggraver ce phénomène. En RDC, le HCR a recensé, en 2023, 3,8 millions de nouveaux déplacés internes. Un an plus tôt, l'invasion russe en Ukraine avait déjà provoqué une autre crise majeure de déplacement forcé, la plus grande que l'Europe ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale. 

"La guerre reste le plus grand moteur de déplacements massifs", a déclaré lors d'un point-presse Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés. Il dénonce "la manière dont les conflits sont menés, au mépris total" du droit international, et "souvent dans le but précis de terroriser les populations". Cette réalité renforce l'augmentation des déplacements forcés. Toujours en 2023, le HCR a recensé 43 situations d'urgence humanitaire dans pas moins de 29 pays, un record au cours des dix dernières années.

Des "crises de déplacements durables"

Dans le cas de la RDC, le HCR rappelle que des déplacements forcés de grande ampleur y ont débuté "il y a près de deux décennies". Il faut ainsi noter le rôle joué par "la reprise d'intensité de conflits anciens", pointe la géographe et politiste Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS et au Centre de recherches internationales de Sciences Po. Cette spécialiste des migrations souligne l'ampleur des "crises de déplacements durables, qui durent dans le temps", comme c'est le cas pour les réfugiés palestiniens, syriens ou afghans.

Près de 10,9 millions d'Afghans sont déplacés, pour la plupart dans leur pays ou dans les Etats voisins. En 2023, le nombre de réfugiés afghans recensés était en augmentation (741 000 personnes supplémentaires), selon le HCR. Dans une Syrie ravagée par la guerre, l'agence fait état de 174 000 déplacés internes en plus en 2023. A la fin de l'année, près de 14 millions de Syriens restaient quant à eux déplacés de force, dans leur pays ou à l'étranger. 

"La plupart des conflits qui génèrent des déplacements forcés sont des conflits ou des crises politiques, sociales et économiques qui durent très longtemps."

Hélène Thiollet, spécialiste des migrations

à franceinfo

Même un nouveau conflit, comme au Soudan, "est articulé avec des crises plus anciennes", poursuit Hélène Thiollet. "L'incapacité à résoudre des crises persistantes" ne fait – et ne fera – qu'amplifier les déplacements forcés, prévient le HCR

L'impact déjà bien réel de la crise climatique

Au-delà des conflits, la crise climatique influe également sur ces mouvements de populations. L'intensification des phénomènes liés au réchauffement de la planète, provoqué par l'activité humaine, risque d'aggraver ces déplacements forcés. En Somalie, il y a eu en 2023 deux millions de nouveaux déplacements internes "provoqués par des catastrophes", observe le HCR. Le réchauffement climatique "contribue à de nouveaux déplacements et à des déplacements prolongés", confirme l'agence. Il "exacerbe" aussi "les besoins de protection et les risques" pour les déplacés de force : près des trois quarts d'entre eux vivent dans des pays particulièrement exposés aux risques climatiques. 

"On voit les migrations climatiques comme un risque futur, mais toute une série de migrations sont déjà climatiques aujourd'hui", relève François Gemenne, professeur à HEC et chercheur du Fonds de la recherche scientifique à l'université de Liège. "Des migrations sont classées comme économiques ou politiques, mais elles sont liées au climat." Le contributeur du Giec, spécialiste des migrations climatiques, évoque notamment le cas de populations poussées au départ dans des régions d'Afrique subsaharienne, du fait de la sécheresse. Des conflits liés aux terres, autre source de déplacements, "ont des origines climatiques assez profondes", poursuit le chercheur.

"On a des liens qui vont dans tous les sens entre conflits et questions climatiques. Tant qu'on ne travaillera pas davantage sur les causes et sur les solutions, on va forcément aller à la hausse."

François Gemenne, spécialiste des migrations climatiques

à franceinfo

D'après le HCR, 6,1 millions de personnes ont pu, en 2023, revenir dans leur région ou pays d'origine. Une perspective encourageante, mais fragile. "Certains de ces retours pourraient ne pas être durables, prévient Shabia Mantoo, prenant l'exemple d'Ukrainiens rentrés chez eux. L'insécurité et l'instabilité persistent. Tant qu'il y a de la violence, ils pourraient être forcés de fuir à nouveau". 

Quelles réponses apporter à ces déplacements qui ne cessent d'augmenter ? Hélène Thiollet le rappelle : les pays du Sud (ou Sud global) prennent très largement en charge les populations déplacées de force. "Il est urgent pour les pays occidentaux de s'interroger sur le rôle qu'ils souhaitent avoir dans la gestion et dans l'accueil des populations déplacées." Pour la chercheuse, ces Etats ne prennent pas suffisamment "leur part". 

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