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Ces présentatrices arabes qui secouent leurs invités masculins en direct

Le combat féministe dans les pays arabes passe parfois par des interventions remarquées de journalistes de télévision.

Article rédigé par Yann Thompson
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Capture d'écran d'une vidéo montrant une journaliste libanaise lors d'un entretien avec un cheikh égyptien exilé au Royaume-Uni, le 2 mars 2015, sur la chaîne libanaise Al-Jadeed. (MEMRITVVIDEOS / YOUTUBE)

Il peut suffire d'une phrase, d'un rire ou d'un geste pour devenir une icône féministe. Dans des pays arabes influencés par des cultures patriarcales, des femmes présentant des émissions télévisées osent braver les conventions et défier leurs interlocuteurs masculins, parfois à la grande surprise de ces derniers. Les vidéos de leurs prestations sont alors diffusées sur internet, et regardées dans le monde entier, à l'image de l'interview mouvementée d'un cheikh par une journaliste libanaise, samedi 7 mars. Retour sur trois exemples marquants, remarqués notamment par nos confrères de Géopolis.

Au Liban, elle coupe la chique au cheikh

Figure connue de la télévision libanaise, Rima Karaki fait sensation, début mars, sur le plateau de son émission "Bidoun Zaal". Son invité du jour, sur la chaîne privée Al-Jadeed ? Un cheikh islamiste sulfureux, qui a la mauvaise idée, pendant le court entretien, de se lancer dans un long rappel historique.

La journaliste l'interrompt et le recadre. "Ne me coupez pas la parole", lui intime l'invité. Le temps d'antenne est limité, rappelle la présentatrice, ferme, avant de lui redonner la parole. "Fermez-la", rétorque le cheikh, qui regrette de "s'abaisser à être interviewé" par la journaliste. Cette dernière met alors fin à la discussion, faute de "respect mutuel".

En une semaine, la version sous-titrée en anglais de cet entretien a été visionnée près de 7 millions de fois sur YouTube. "Je ne me vois pas comme une héroïne, mais comme tout homme ou femme ayant de l'amour-propre", explique Rima Karaki au site du Guardian (en anglais). "Des gens pensent que les hommes ont un droit naturel de contrôler les femmes, mais beaucoup de femmes sont en train de casser cette image", se félicite-t-elle.

Son prochain combat ? Le port du voile à l'antenne. Si Rima Karaki était voilée ce jour-là, c'était à la demande de son invité. "Le voile n'est pas un jeu que l'on met ou qu'on enlève selon les caprices d'hommes religieux, déplore-t-elle. La volonté de Dieu est plus importante que la leur, et ils n'ont pas le droit de se donner ce pouvoir." 

En Arabie saoudite, la réponse par le rire 

Le 11 janvier, l'historien saoudien Saleh Al-Saadoon est invité par Nadina Al-Bedair sur le plateau de l'émission "Ettijahat", sur la chaîne privée Rotana Khalijia. Au menu de la discussion : le droit de conduire pour les femmes"Si une femme conduit d'une ville à une autre et que sa voiture tombe en panne, que va-t-il lui arriver ?", lance-t-il. Un viol, selon lui. "Les autres pays s'en moquent si leurs femmes se font violer au bord des routes, mais pas nous", assène-t-il. Cet argument fait rire la journaliste et ses deux autres invités, mais l'historien poursuit, jusqu'à proposer de remplacer tous les chauffeurs par des femmes étrangères.

Nadina Al-Bedair est connue pour ses prises de position féministes. En 2008, alors installée à Dubaï, cette Saoudienne dénonçait le statut des femmes et le manque de femmes activistes dans son pays d'origine. "On dit que cela va changer lentement, mais nous n'avons pas le temps de changer lentement, le monde évolue vite, disait-elle. Je n'ai pas à attendre que les islamistes et les traditionalistes changent d'avis pour pouvoir changer ma vie. Je n'ai qu'une vie et je veux la vivre comme je le souhaite."

La journaliste a aussi été visée par une plainte d'un parlementaire égyptien, en 2009, après la publication d'un article dans lequel elle posait la question de la polygamie pour les femmes, selon le site de la BBC (en anglais). Malgré les menaces, elle affirmait alors au site de Marie Claire (en anglais) être "fière de provoquer le débat".

En Egypte, elle tombe le voile par provocation

La scène commence hors antenne. Ce 17 avril 2013, la journaliste égyptienne Riham Saïd reçoit le religieux Yousuf Badri sur Al-Nahar TV. D'ordinaire non voilée, la femme se coiffe d'un foulard, à la demande de son invité. "Faut-il en passer par cette mascarade juste pour avoir cette interview ?", lui demande-t-elle, sans convaincre son interlocuteur.

L'entretien commence et le ton monte, jusqu'à ce que la journaliste enlève son foulard, et révèle que l'invité a été payé pour participer à l'émission. "Changez de sujet et mettez ce hijab", répond-il, agacé. "Je ne vais pas le mettre, lui rétorque-t-elle. Je le porterai pour Dieu, pas pour vous." Relayée sur internet, la vidéo a été visionnée par plus de 2 millions d'internautes du monde entier.

Depuis, la journaliste s'est fait remarquer pour des prises de position moins féministes. En mai 2014, Riham Saïd a prié une invitée de quitter son plateau après que celle-ci a remis en cause le Coran et certaines pratiques extrêmes, comme le fait de couper la main des voleurs. La journaliste a défendu la charia, s'attirant de nombreuses critiques. Elle est devenue une figure du "journalisme sensationnaliste" égyptien, notamment impliqué dans la traque des homosexuels, selon le site de Libération.

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