Guerre au Proche-Orient : comment arriver à évaluer le nombre réel des victimes à Gaza ?
Combien de personnes ont été tuées dans la bande de Gaza depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre 2023, qui a fait 1 200 morts, dont 37 enfants et 7 500 blessés (source Unicef) côté israélien, et déclenché la riposte de l’État hébreu ? Selon le Hamas, le nombre de victimes (morts et blessés) est proche de 150 000. Peut-on se fier à ces chiffres ?
Les chiffres officiels : près de 42 000 morts à Gaza
Selon les derniers chiffres officiels, communiqués samedi 5 octobre par le ministère de la Santé contrôlé par l'organisation islamiste Hamas, on déplore près de 42 000 morts à Gaza, dont 11 000 mineurs, et 100 000 blessés. Et le bilan s’alourdit de jour en jour. Dimanche, selon la défense civile de Gaza, une frappe israélienne sur une mosquée abritant des déplacés de guerre à Deir el-Balah a fait au moins 21 morts. L’organisation chargée des premiers secours compte également au moins 10 000 disparus. Il s’agit des victimes toujours ensevelies sous les décombres des bâtiments détruits par les frappes aériennes qu’elle n’a pu atteindre, faute d’équipements de levage lourds.
Ces chiffres "officiels", relayés par les agences de presse internationales et franceinfo notamment, sont parfois remis en cause. Or, selon le secrétariat général des Nations unies, lors des précédentes guerres à Gaza, entre 2009 et 2021, "les bilans communiqués par les autorités sanitaires locales et ceux des Nations unies s’étaient révélés quasi identiques".
Un bilan largement plus lourd, calcule un expert militaire
Ces chiffres sont crédibles et même très certainement en deçà de la réalité, affirme notamment Guillaume Ancel. L’ancien officier de l'armée de l'air française, qui a "lui-même bombardé" et "été bombardé", préfère faire ses propres calculs. "Je préfère faire ce qui a été mon métier, un 'bomb damage assessment', c'est-à-dire une évaluation des dégâts dus aux bombardements ". Il explique "analyser les bombardements qui ont été conduits, la fréquence, le type de munition". Selon l’ancien officier, "on arrive plutôt à un chiffre de 100 000 morts, auquel il faut ajouter 3,5 fois plus de blessés, entre 300 000 et 400 000". Il assure que le chiffre officiel est donc "largement dépassé".
Avant le début du conflit, les miliciens du Hamas étaient estimés à 30 000. Selon les chiffres de Guillaume Ancel, plus de 90%, des victimes de ces bombardements sont donc des dommages collatéraux, des civils qui n'avaient aucun lien avec le Hamas. "C'est un taux de perte qui relève, en terme de droit international, du crime de guerre", accuse-t-il.
L'estimation de scientifiques : 186 000 morts
Des chercheurs se sont également penchés sur cette question. Ils ont envoyé une lettre publiée dans la plus prestigieuse revue médicale au monde : The Lancet. Ces trois chercheurs ont compté les morts tués directement dans les bombardements israéliens mais aussi tous les décès indirects passés et à venir, liés au manque de soins ou à la malnutrition. "En appliquant une estimation prudente de quatre décès indirects pour un décès direct", ils arrivent à un bilan de 186 000 morts.
Le chiffre est cohérent, explique Jean-François Corty, président de l'association Médecins du Monde. "Si on additionne les personnes restées sous les décombres, les morts actuels et à venir en lien avec l'incapacité d'être soignés sur des pathologies qui décompensent, si on additionne aussi une mise en perspective de toutes les mortalités en lien avec les (au moins) 100 000 blessés, dont 20 000 nécessiteraient d'être pris en charge à l'extérieur de Gaza pour des pathologies extrêmement complexes. Sur une perspective à moyen terme, le chiffre de 186 000 morts est tout à fait crédible", conclut-il.
Compter le nombre de morts est évidemment très complexe. Leur nombre est considérable. Pour les différents intervenants, ces chiffres permettent de caractériser la situation en cours à Gaza en vue notamment d'un jugement du Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, contre qui le procureur de la Cour pénale internationale a requis en mai des mandats d'arrêts pour des crimes de guerres et des crimes contre l'humanité. Son ministre de la Défense, Yoav Gallant, est également poursuivi ainsi que plusieurs dirigeants du mouvement islamiste palestinien Hamas pour les mêmes chefs d’accusation.
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