Attentats du Hamas : en Israël, la lente et insoutenable enquête sur les violences sexuelles commises le 7 octobre
"C'était si douloureux que j'ai perdu connaissance." Esther, survivante des attaques du Hamas en Israël, est l'une des premières victimes à témoigner des violences sexuelles commises le 7 octobre par les terroristes. Dans un article du Parisien publié dimanche 26 novembre, la jeune femme raconte avoir été violée et frappée devant son petit ami, forcé à regarder, un couteau sous la gorge. "Ils ont arrêté lorsqu'ils m'ont crue morte", poursuit Esther, qui s'exprime sous un nom d'emprunt. Mutilée par ses bourreaux, elle souffre de paralysie à une jambe.
Près de deux mois après les attaques qui ont fait plus de 1 200 morts en Israël, les violences sexuelles perpétrées par le Hamas commencent lentement à être révélées. "C'est une sorte de puzzle dont on trouve peu à peu les pièces : on les découvre notamment via les témoignages des premiers intervenants sur les lieux des attaques", explique Orit Sulitzeanu, directrice de l'Association des centres de crise pour les viols en Israël (ARCCI).
Des "dizaines" de bénévoles de l'ONG juive Zaka, première arrivée sur les lieux de plusieurs massacres, ont ainsi rapporté avoir trouvé des corps de femmes et d'hommes dénudés, sans sous-vêtements, selon le quotidien israélien Haaretz. Ils ont également fait état de signes de violences sexuelles sur les dépouilles. Lundi 27 novembre, l'un d'entre eux a témoigné devant le Parlement israélien, relate Orit Sulitzeanu, présente lors de l'audition.
"Il a raconté avoir découvert les corps de plusieurs femmes dans une maison de l'un des kibboutz touchés. L'une d'entre elles, une adolescente, était nue. Il s'est dit : 'Pourquoi l'aurait-on déshabillée, si ce n'est pour la violer ?'"
Orit Sulitzeanu, directrice de l'ARCCIà franceinfo
D'autres premiers intervenants sur les lieux des attentats font les mêmes récits macabres. Un ambulancier militaire a affirmé au Washington Post avoir découvert les cadavres de deux adolescentes dans le kibboutz de Be'eri. La première, couchée sur le lit, avait "les jambes nues et portant des bleus". L'autre, allongée sur le ventre, au sol, "avait les jambes écartées et le pantalon baissé jusqu'aux genoux". "Il y avait un liquide sur son dos qui ressemblait à du sperme. Elle avait été tuée d'une balle à l'arrière de la tête", décrit le secouriste.
Des preuves de "tortures à caractère sexuel"
Les sévices subis par les victimes ont également été constatés par les équipes médico-légales chargées d'identifier les corps. Un médecin cité par l'AFP déclare avoir vu "des femmes brûlées avec les mains et les pieds entravés", ainsi que des impacts de "tirs sur les parties intimes". Une autre employée du centre d'identification de la morgue militaire de Shura, chargée des toilettes mortuaires, décrit des "sous-vêtements pleins de sang", ainsi que "des bassins (...) et des pelvis brisés".
"Nous avons plusieurs éléments qui indiquent des tortures à caractère sexuel et des mutilations des parties génitales", confirme la professeure Yifat Bitton, juriste spécialiste des violences en raison du genre et membre de la commission civile sur les crimes du Hamas commis le 7 octobre contre les femmes et les enfants. Constitué d'une quarantaine d'experts, ce groupe non gouvernemental a été créé une semaine après les attaques pour "documenter ces violences" et "conseiller les autorités chargées d'enquêter sur ces crimes", détaille Yifat Bitton. Il a déjà recueilli plusieurs témoignages directs ou indirects qui "corroborent les récits faits par les médias". Ils révèlent "des violences sexuelles sur des femmes de tous âges, en particulier des adolescentes et des jeunes".
Une volonté de "souiller" les victimes
Il a pourtant fallu attendre le 14 novembre pour que la police israélienne annonce l'ouverture d'une enquête spécifique sur les crimes sexuels commis lors des attaques. Elle a présenté à la presse une série de documents qui attestent de ces violences, parfois infligées après la mort des victimes : des photos des corps, mais aussi des images capturées par des caméras de vidéosurveillance ou filmées par les terroristes du Hamas.
"Sur une vidéo, on voit une jeune soldate être emmenée de force à l'arrière d'un véhicule, le pantalon taché de sang à l'entrejambe", cite par exemple Yifat Bitton. Selon Le Parisien, la police israélienne s'appuie également sur des interrogatoires de terroristes, dont certains ont affirmé avoir reçu l'ordre de "violer et souiller" des femmes.
En parallèle des investigations de la police israélienne et des travaux de la commission civile, Amnesty International a confirmé à franceinfo mener une enquête approfondie sur les crimes perpétrés le 7 octobre, qui portera notamment sur les violences sexuelles. L'ONG avait déjà publié un premier rapport, quelques jours après les attentats, dénonçant des "violations des droits humains". Comme le rappelle le Comité international de la Croix-Rouge, le viol fait partie des crimes de guerre condamnés par le droit international.
Les cadavres qui "parlent d'eux-mêmes"
Certaines preuves de ces violences sexuelles n'ont toutefois pas pu être relevées. "Les militaires et forces de l'ordre intervenus en premier ont traité les lieux des attaques comme un champ de bataille, et pas une scène de crime", constate Yifat Bitton. Dans plusieurs cas, les combats contre les assaillants du Hamas se sont poursuivis bien après les attentats, ce qui a compliqué la collecte de preuves, note Haaretz. Sans compter que certaines dépouilles ont été rapidement enlevées par l'ONG juive orthodoxe Zaka, dont la mission est de préserver l'intégrité des corps selon les rites religieux.
"En Israël, les corps doivent être enterrés le plus rapidement possible après la mort, en accord avec les traditions religieuses. Les premiers intervenants ont vu des signes de violences sexuelles, mais ils n'ont pas pris le temps de relever tous les indices."
Orit Sulitzeanu, directrice de l'ARCCIà franceinfo
Les équipes médico-légales n'étaient par ailleurs "pas prêtes à gérer l'arrivée de centaines de corps en quelques heures dans les morgues", estime Orit Sulitzeanu. "La priorité n'était pas de faire des prélèvements pour les viols, mais d'identifier les victimes et d'informer leurs proches", poursuit-elle. L'état de dégradation de certains corps, brûlés ou découverts plusieurs heures après les attaques, empêchait en outre de réaliser ces examens, selon Haaretz.
"Comme toujours dans les cas de violences sexuelles, certains observateurs réclament des preuves. Mais il y en a : les corps dans les morgues parlent d'eux-mêmes, les témoignages de ceux qui ont trouvé ces victimes aussi", juge Yifat Bitton. "Ne pas avoir de prélèvements ne signifie pas que nous n'avons pas de preuves que ces violences sexuelles étaient systématiques et préparées en amont", avance la juriste.
"Tout ce que l'on découvre montre que ces viols et mutilations ont été utilisés par le Hamas comme une arme de guerre."
Yifat Bitton, juriste spécialiste des violences en raison du genreà franceinfo
Une enquête qui n'en est "qu'au début"
De très rares récits de rescapées et de témoins émergent aussi. La marraine d'Esther, qui participait, comme elle, au festival Tribe of Nova le 7 octobre, a également été victime de violences sexuelles, qui se sont poursuivies après sa mort. "Ils ne l'ont pas violée de manière traditionnelle, on va dire, explique la survivante au Parisien. Peut-être parce qu'elle était beaucoup moins jeune que la moyenne de la rave."
Une autre jeune rescapée a témoigné auprès de la police israélienne des violences sexuelles commises lors du festival, rapporte Le Point, qui a visionné les images de son audition. Cachée, elle a assisté au viol collectif d'une femme par plusieurs terroristes.
"Ils se la passaient d'un homme à l'autre. Elle était en vie, avait du sang sur le dos, je me souviens qu'ils tiraient ses longs cheveux bruns."
Une rescapée de l'attaque au festival Tribe of Novalors d'une audition par la police
Un des assaillants "lui a tiré une balle dans la tête, alors qu'il était encore en elle", poursuit la rescapée dans la vidéo visionnée par Le Point. "Un autre a coupé ses seins et joué avec. Le premier n'avait toujours pas relevé son pantalon." L'association d'Orit Sulitzeanu a connaissance d'autres récits de survivantes ou de témoins directs des violences sexuelles commises par le Hamas. "Il y en a très peu : beaucoup des victimes et témoins n'ont pas survécu, et celles et ceux qui sont encore en vie ne peuvent pas en parler", précise-t-elle.
La directrice de l'ARCCI rappelle que seule une minorité des crimes sexuels sont dénoncés aux autorités. Un phénomène encore plus important en cas de violences commises dans le cadre d'un conflit armé. "A la honte et au traumatisme qu'évoquent fréquemment les victimes de viols, s'ajoutent ici la culpabilité du survivant et le choc causé par les massacres dont ces femmes ont été témoins", souligne Orit Sulitzeanu. Selon elle, il faudra donc "des mois", voire "des années", pour que le jour soit fait sur les exactions commises. "Nous ne sommes qu'au début de cette enquête, insiste Orit Sulitzeanu. L'ampleur de ce qui s'est passé le 7 octobre reste à mesurer, et on ne saura probablement jamais tout des violences sexuelles commises par le Hamas."
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