Guerre au Proche-Orient : comment Israël tente d'écarter du Sud-Liban les Casques bleus de la Finul
"Israël n'a qu'une envie : c'est qu'on fasse nos valises et qu'on s'en aille d'ici." Cette phrase glissée à franceinfo par un Casque bleu de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) un brin bavard, en janvier, lors d'une visite de la base de Naqoura, dans le sud du pays, trouve aujourd'hui un écho particulier. La force de maintien de la paix traverse une période compliquée, "la plus difficile" depuis 2006 de son aveu même.
En l'espace d'une semaine, cinq soldats onusiens ont été blessés par des tirs israéliens, en marge des combats contre le Hezbollah. Quant au quartier général de la Finul, installé à Naqoura, il a été "secoué par des explosions" à deux reprises. Dans la nuit du samedi 12 au dimanche 13 octobre, deux chars israéliens ont pénétré dans la base de Ramyah, après avoir "détruit le portail principal". Les blindés en sont repartis 45 minutes plus tard. Le même jour, toujours d'après la Finul, des soldats de l'armée israélienne ont empêché "un mouvement logistique crucial près de Meiss el-Jabal", en "lui interdisant le passage".
Un "harcèlement" des Casques bleus par l'armée israélienne
L'armée israélienne, pourtant, assure prendre "toutes les précautions pour minimiser les dommages causés aux civils et aux Casques bleus." "Nous avons des contacts continus avec la Finul pour être sûrs qu'ils ne se trouvent pas pris dans les échanges de feu entre le Hezbollah et nous", a défendu l'un de ses porte-paroles, Nadav Shoshani.
Il n'empêche, dès les premières heures de ses incursions terrestres dans le sud du Liban pour traquer les combattants du Hezbollah dans les villages frontaliers, Tsahal a demandé aux Casques bleus de l'ONU de reculer de cinq kilomètres. Aujourd'hui, les 10 400 hommes de la Finul ne quittent plus leurs positions. Jamais la force internationale n'a été autant gênée dans sa mission dans le Sud-Liban : celle de veiller à l'application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies (PDF), contrôler la cessation des hostilités et assurer un accès humanitaire aux populations civiles.
"S'ils voulaient faire partir les Casques bleus du Liban, les Israéliens ne s'y prendraient pas autrement", souffle une source diplomatique française. "On peut parler de harcèlement, commente l'historien militaire Michel Goya. Israël cherche à faire évacuer la Finul du Liban parce qu'elle considère qu'elle gêne ses opérations sur le terrain."
"La présence de l'ONU doit exaspérer les chars israéliens sur le terrain."
Michel Goya, historien militaireà franceinfo
Ce n'est pas la première fois que le feu israélien atteint la Finul. En octobre 2023 déjà, un obus israélien s'est écrasé à l'intérieur de l'enceinte pourtant ultra-protégée de la base onusienne de Naqoura. Pas de blessé, mais un trou béant d'un mètre de diamètre. "Ce truc a marqué tout le monde ici, soupirait un soldat du contingent espagnol, interrogé par franceinfo en janvier. On fait tout pour veiller à la paix, pour que ça ne dégénère pas. Je ne dis pas que ce qu'on fait est décisif. En revanche, je sais que si on ne le faisait pas, ce serait bien pire".
Dimanche, le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, a encore exhorté le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, à mettre les Casques bleus "à l'abri immédiatement". "Votre refus d'évacuer les soldats de la Finul en fait des otages du Hezbollah. Cela les met en danger", a-t-il insisté.
Pour Israël, "la Finul a échoué dans sa mission"
Des propos qui manquent de faire s'étouffer le général Alain Pellegrini, ex-patron des Casques bleus au Sud-Liban durant la précédente guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah. "Se retirer, c'est modifier le mandat de la Finul, qui lui a été fixé par l'ONU", fait-il observer dans Le Figaro. Benyamin Nétanyahou n'a aucune légitimité à demander un tel retrait, qui ne pourrait intervenir qu'après une décision de l'ONU."
En vérité, la cohabitation entre l'Etat hébreu et la Finul a toujours été tumultueuse. Et ce, dès sa mise en place en 1978, lors de la première invasion du sud du Liban par l'armée israélienne. "Israël a toujours considéré que la Finul était sur son chemin", décrypte sur RFI l'ancien ambassadeur Gérard Araud, qui a notamment été en poste en Israël et à l'ONU.
Aux yeux d'Israël, la présence même du Hebzollah dans le sud du Liban marque l'échec de la force internationale. "Certaines positions de la Finul peuvent servir d'abris aux hommes du Hezbollah. Ils peuvent les utiliser comme boucliers", confirme Michel Goya.
Derrière la Finul, Israël "cible" les Nations unies
Le 7 octobre, le porte-parole du gouvernement israélien n'y est d'ailleurs pas allé par quatre chemins : "La Finul a échoué dans sa mission" de faire respecter la résolution 1701, a commenté David Mencer, dans une interview à RTE, la radio nationale irlandaise. Avec un argument massue, celui des "plus de 10 000 roquettes, drones et missiles reçus du Hezbollah l'année dernière".
En malmenant la Finul, Israël vise en réalité sa "cible favorite" : les Nations unies. "Les tensions entre Israël et l'ONU datent de plus d'un demi-siècle, recadre l'ancien ambassadeur Gérard Araud. Les Israéliens ont toujours considéré que les Nations unies leur étaient hostiles. C'est quelque chose qui est profondément cru par l'opinion publique israélienne. Les Israéliens y voient un acharnement, une hostilité dirigée contre l'Etat juif." Le 27 septembre, à la tribune de l'ONU à New York, le Premier ministre israélien a carrément qualifié l'organisation de "farce méprisante".
"Des conséquences catastrophiques" en cas de départ
Signe, peut-être, que l'heure est plus grave cette fois, plusieurs pays sont allés au-delà des traditionnelles déclarations et convocations d'ambassadeurs israéliens. Les ministres des Affaires étrangères français, allemand, italien et britannique ont fini par publier, lundi soir, un communiqué commun pour dénoncer les "menaces" qui pèsent sur la force onusienne et en appelant à ce que ces "attaques cessent immédiatement". Samedi, 34 pays contributeurs de la Finul ont cosigné une lettre demandant "une enquête adéquate".
"Si un des cinquante pays contributeurs commence à dire qu'il envisage de quitter la Finul, c'est peut-être le début de la fin pour la Finul", alerte une source diplomatique française. Au ministère des Armées français, on se veut rassurant : "La crainte existe. Mais pour le moment, la cohésion est intacte. La Finul a traversé d'autres crises et s'est toujours maintenue. On est foncièrement attachés à la stabilité du Liban et on ne fera pas de concessions."
En cas de départ de la Finul du Liban, "les conséquences seraient tout bonnement catastrophiques", prévient d'avance le ministère des Armées français. "Ce serait le départ d'un des derniers témoins sur place, un témoin qui voit, qui observe et qui fait remonter ce qu'il se passe", continue une source diplomatique.
Michel Goya est moins catégorique. "Cela ne changerait pas grand-chose si les Casques bleus devaient partir, estime celui qui a lui-même participé à des opérations de maintien de la paix à Sarajevo (Bosnie-Herzégovine) dans les années 1990. La Finul fait de l'observation, du déminage et de l'aide humanitaire. C'est la population locale qui y perdrait. Mais pour les opérations militaires, ça ne changerait strictement rien. La Finul n'a pas empêché Israël de franchir la frontière en 1982, ni en 2006. C'est oublier qu'Israël a occupé une partie du Sud-Liban en superposition de la Finul".
Dimanche, Stéphane Dujarric, le porte-parole du secrétaire général des Nations unies, a opposé une fin de non-recevoir à Israël. "Les soldats de la Finul restent sur toutes leurs positions et le drapeau de l'ONU continue de flotter" dans le sud du Liban. Pour le moment, en tout cas. Le mandat de la Finul doit être renouvelé par le Conseil de sécurité de l'ONU en août 2025.
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