"C'est une goutte d'eau" : pourquoi la trêve entre le Hamas et Israël n'est pas suffisante pour apporter l'aide humanitaire nécessaire à Gaza
Après sept semaines de bombardements israéliens intensifs sur la bande de Gaza, "la situation est effroyable" dans l'enclave palestinienne, soupire, au bout du fil, Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient pour Médecins du monde. "La trêve était attendue, cela reste une bonne nouvelle, mais ce n'est absolument pas suffisant", prévient-elle d'emblée. Après avoir été repoussée de 24 heures, la tant attendue pause de quatre jours est entrée en vigueur vendredi 24 novembre au matin. Un répit qui permet l'entrée par camions d'une aide humanitaire indispensable dans le territoire dévasté, maintenu sous blocus israélien.
L'accord entre Israël et le Hamas, négocié sous l'égide du Qatar, prévoit également la libération de 50 otages (sur les quelque 240 retenus par le mouvement islamiste) enlevés au cours des attaques terroristes du 7 octobre, en échange de 150 Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Des camions ont donc pu entrer depuis vendredi matin dans la bande de Gaza pour livrer des vivres et du matériel médical à la population. Mais, pour les ONG et associations humanitaires, seul un véritable cessez-le-feu de longue durée permettra de venir réellement en aide aux Palestiniens.
"Plus gros envoi humanitaire" depuis le début de la guerre
Au premier jour de la trêve, vendredi, "200 camions d'aide humanitaire sont entrés, dont 105 camions chargés de vivres", selon un porte-parole de l'armée israélienne sur le réseau social X. Cette livraison a constitué le "plus gros convoi humanitaire" depuis le début du conflit entre Israël et le Hamas il y a plus d'un mois et demi, a souligné dans un communiqué l'agence des Nations unies chargée de la coordination humanitaire (Ocha).
L'Ocha précise que 129 000 litres de carburant ont également pu passer la frontière vers Gaza, et que 21 patients en situation critique ont en outre pu être évacués du nord de l'enclave. "Des centaines de milliers de personnes ont été aidées avec de la nourriture, de l'eau, du matériel médical et d'autres produits de première nécessité", a ajouté l'agence onusienne.
In the first day of the humanitarian pause, the @UN scaled up the delivery into and across #Gaza. Hundreds of thousands were assisted with food, water, medical supplies and other essential humanitarian items.
— OCHA oPt (Palestine) (@ochaopt) November 25, 2023
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Les arrivées de camions se sont poursuivies au deuxième jour de la trêve, samedi. Selon le porte-parole de l'armée israélienne, "200 camions d'aide [étaient] attendus" samedi dans la bande de Gaza. Ils devaient notamment transporter "de la nourriture", de "l'eau", "du matériel médical" et "des produits d'hygiène personnelle". Selon le Cogat, l'administration civile israélienne dans les territoires palestiniens, plus de 50 camions sont notamment dédiés à l'aide humanitaire dans le nord de la bande de Gaza, la zone la plus touchée par les bombardements.
"Il faudrait que les camions rentrent en continu"
Mais, pour les ONG, cette trêve n'est qu'"une goutte d'eau", déclare Louise Bichet. Avant le 7 octobre et le "siège total" imposé par Israël à l'enclave palestinienne, jusqu'à 500 camions d'aide humanitaire passaient chaque jour la frontière pour approvisionner le territoire soumis à un blocus depuis 2007.
"Il faudrait que les camions rentrent en continu, jour et nuit, et qu'ils puissent le faire autrement que par la seule porte de Rafah", à la frontière égyptienne, poursuit cette représentante de Médecins du monde. L'ONG dispose de 16 personnes sur place qui attendent la livraison de six tonnes de matériel médical "dans les prochains jours".
"Il ne s'agit pas seulement de faire entrer des camions. Il faut s'assurer que les infrastructures civiles, comme les routes, soient praticables, que l'on dispose de suffisamment de fioul, ajoute-t-elle. Rien que la distribution alimentaire pour une population de plus d'un million de personnes qui a faim et est désespérée, c'est technique, ça ne s'improvise pas."
"Quatre jours, c'est évidemment totalement insuffisant, ne serait-ce que pour évaluer les besoins et distribuer l'aide."
Louise Bichet, responsable du pôle Moyen-Orient pour Médecins du mondeà franceinfo
"C'est un répit qui permet de faire quelques activités qui étaient en suspens", rapporte de son côté Jean-Raphaël Poitou, responsable Moyen-Orient d'Action contre la faim, qui peut compter sur 18 personnes sur place. Les équipes de l'ONG déploient leurs actions dans "un meilleur contexte sécuritaire" mais "ne pourront pas faire plus". Concrètement, elles viennent en aide à la population gazaouie via "la distribution d'eau potable", "de fruits et légumes", "la constitution de kits d'hygiène", "la réparation de sanitaires" ou encore "la réinstallation de panneaux solaires."
Une trêve "pas suffisante" pour "soigner correctement les gens"
Mais les besoins sont immenses, "sans commune mesure". "Le niveau de destruction des habitations est sans précédent et est à peu près évalué à 50%. Donc on a un million de personnes sans maison", poursuit Jean-Raphaël Poitou. "On est à l'approche de l'hiver et il n'y a plus rien à manger", ajoute-t-il. "Dans tous les domaines, la situation est effroyable", explique Louise Bichet, qui prend pour seul exemple la nécessité d'enterrer les corps "extrêmement dangereux en terme épidémique".
Cette trêve de quatre jours ne sera "pas suffisante" pour "soigner correctement les gens" car les dégâts humains et matériels sont trop importants à Gaza et "le système hospitalier et sanitaire s'est complètement effondré", avertit Claire Magone, directrice générale de Médecins sans frontières (MSF).
"Les hôpitaux à Gaza se sont effondrés. La trêve doit absolument tenir, le temps que de nouvelles équipes chirurgicales arrivent", abonde auprès de Libération Pascal Hundt, régulièrement chargé des missions de crise au Comité international de la Croix-Rouge (CICR). Les équipes de MSF sur place, "comme la population", sont "complètement sonnées", souligne Claire Magone. Elle dénonce la "spirale de violence et de folie meurtrière" dans l'enclave ces derniers jours, qui "touche aussi le personnel" de l'ONG.
Tous réitèrent leur appel à un cessez-le-feu durable. "Ces quatre jours ne vont pas changer la vie des populations, c'est pour cela que l'on continue d'appeler au cessez-le-feu", insiste Jean-Raphaël Poitou. A défaut, ce dernier évoque "une trêve de plusieurs semaines" ou "l'ouverture de points de passage au nord" de Gaza. A cette heure, le personnel humanitaire est plongé dans l'incertitude. "On ne sait pas ce qui va se passer après", confie le représentant d'Action contre la faim. "Notre seul espoir, c'est d'avoir le temps, nous dépêcher de prendre soin des vivants tout en nous disant : ça va être quoi la suite, une fois que cette fenêtre va se refermer ?"
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