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Entre Israël, l'Iran et la Syrie, "une guerre qui ne veut pas dire son nom"

Frédérique Schillo, chercheuse, historienne et spécialiste de l'Etat hébreu et des relations internationales, explique à franceinfo les enjeux des récents affrontements.

Article rédigé par Benoît Zagdoun - propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Les débris d'un missile, le 10 février 2018, à Alonei Abba, près d'Haïfa, dans le nord d'Israël. (JACK GUEZ / AFP)

Un drone iranien mis en pièces au-dessus d'Israël, un avion de chasse israélien abattu par la défense anti-aérienne syrienne, des raids israéliens contre des cibles iraniennes en Syrie... Le monde a assisté, samedi 10 février, a la plus sérieuse confrontation entre Israël et l'Iran depuis le début de la guerre en Syrie en 2011.

Frédérique Schillo, chercheuse, historienne et spécialiste de l'Etat hébreu et des relations internationales, coauteure de La Guerre du Kippour n'aura pas lieu (André Versaille éditeur, 2013), explique à franceinfo les enjeux de ces affrontements.

Franceinfo : Israël est-il en train d'entrer dans le conflit syrien ? 

Frédérique Schillo : C'est plutôt l'inverse qui est en train de se passer. Ce sont les Syriens qui, voyant sans doute que la guerre civile est en train de se terminer, et se sentant confortés par l'appui des Iraniens et des Russes, testent les capacités de défense d'Israël.

Israël n'a aucun intérêt à entrer dans le conflit syrien. Depuis le début de la guerre civile syrienne en 2011, Israël se moquait de savoir ce qu'il allait advenir de Bachar Al-Assad. Sa seule préoccupation, c'est la stabilité à ses frontières, c'est que le conflit ne dégénère pas et n'entre pas sur son territoire. Ce sont les lignes rouges d'Israël.

Depuis 2011, il y a quand même eu une centaine de raids israéliens en Syrie, toujours de manière assez discrète. Mais à chaque fois, un pallier a été franchi. Ils ont visé des convois d'armes du Hezbollah, puis une usine de fabrication de Scud, un centre de recherche syrien, l'ébauche de base militaire iranienne...

Et aujourd'hui un nouveau pallier est franchi, puisque c'est la première fois qu'Israël se confronte directement à l'Iran en abattant un drone iranien entré sur son territoire. C'est aussi la preuve de la capacité de Téhéran à pouvoir se renseigner sur Israël.

Frédérique Schillo, historienne et spécialiste d'Israël

à franceinfo

C'est aussi la première fois depuis 1982 et la guerre du Liban qu'Israël perd un avion de chasse abattu. C'est un échec pour Israël. C'est aussi la marque d'une plus grande confiance des Syriens, qui ont lancé des missiles contre les F 16 israéliens. 

Cette fois, n'y a-t-il pas un risque d'escalade ?

Si, il y a vraiment un risque d'escalade. Samedi, la tension était énorme en Israël, les médias tournaient en boucle. C'était une atmosphère de pré-guerre, de guerre avant la guerre. Il y avait des alertes et des sirènes dans tout le nord du pays, pour que les habitants restent cloîtrés chez eux parce qu'Israël craignait que des débris du drone, des missiles tombent sur la population.

Tout l'enjeu est de savoir quelle va être la réaction de l'arc chiite, depuis l'Iran en passant par la Syrie, jusqu'au Hezbollah libanais. Ainsi que celle du Hamas, soutenu par l'Iran, et des groupes salafistes de la bande de Gaza, qui peuvent lancer des missiles sur Israël.

Cela ressemble un peu à la période qu'Israël a connu entre la guerre des Six jours et la guerre du Kippour, à partir de 1969. C'était la guerre d'usure, une guerre qui ne voulait pas dire son nom. C'était exactement la même chose, mais avec l'Egypte : il y avait des accrochages quotidiens à la frontière, des duels d'artillerie, des attentats... On sentait la tension, mais ce n'était pas considéré comme une guerre. C'était pourtant une guerre qui n'était pas spectaculaire, qui était statique, mais qui a quand même fait plus de 700 morts. 

Cela ressemble à une guerre qui ne veut pas dire son nom et qui précède peut-être un grand affrontement. Aujourd'hui, chacun des acteurs teste les lignes rouges de l'autre, y compris celles des médiateurs, Washington et Moscou.

Frédérique Schillo, historienne spécialiste d'Israël

à franceinfo

Quel est l'objectif de l'Iran en Syrie, aux portes d'Israël ?

L'Iran est en train de construire son hégémonie au Moyen-Orient à travers un arc chiite de Téhéran à Damas, jusqu'au Liban. Si Bachar Al-Assad a pu se maintenir, c'est aussi grâce au Hezbollah, une mini-armée de 25 000 combattants.

Aujourd'hui, si Israël devait combattre le Hezbollah, il devrait s'attendre à 1 000 missiles par jour, contre une centaine pendant la guerre du Liban. Le Hezbollah dispose de 100 000 à 150 000 missiles. L'Iran a aussi fourni des armes au Hamas. Tout cela est permis par la puissance militaire iranienne.

Frédérique Schillo, historienne spécialiste d'Israël

à franceinfo

Pour Israël, si l'Iran est aussi fort aujourd'hui, c'est parce qu'il a été conforté par l'accord sur le nucléaire de 2015. Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, qui a toujours pointé les dangers du programme nucléaire iranien, renvoie la responsabilité sur les signataires de cet accord, l'Amérique de Barack Obama et les Européens. Le Premier ministre israélien met la pression sur Donald Trump pour qu'il se désengage. Israël voudrait, en plus, qu'il y a ait un acord pour que l'Iran ne puisse pas se doter de missiles balistiques et en fournir à ses alliés. 

Qui détient les clés de la désescalade ?

Les Américains sont les meilleurs alliés historiques des Israéliens. Donald Trump est l'allié le plus fidèle, le plus fort qu'Israël ait jamais connu. Il reconnaît unilatéralement Jérusalem comme capitale d'Israël. Mais ce n'est pas de cela dont Israël a besoin pour le moment.

On le voit sur le terrain : les garanties politiques de l'allié américain ne sont plus suffisantes. Un accord a été passé entre Washington, Moscou et Amman sur une zone de désescalade, mais tout cela n'était pas suffisant et Donald Trump n'a jamais réussi à conforter les Israéliens.

Depuis l'administration Obama, on assiste à un retrait américain sur le terrain et, de facto, les Russes deviennent des médiateurs incontournables dans le conflit. Les questions de sécurité ne peuvent pas se régler avec Washington. Pour avoir des garanties solides, cela ne suffit pas à Benyamin Nétanyahou de voir Donald Trump à Davos, il a dû aller lui-même à Moscou. 

C'est Vladimir Poutine qui a les clés. C'est lui qui donne des gages à Israël et négocie un accord de désescalade. C'est lui qui ferme les yeux quand Israël attaque en territoire syrien et permet ces attaques. Mais c'est lui aussi qui laisse faire quand les Iraniens lancent un drone sur Israël.

Frédérique Schillo, historienne spécialiste d'Israël

à franceinfo

Le président russe joue sur tous les plans et s'impose comme un acteur incontournable. Si aujourd'hui, Israël est un allié pour Moscou, son grand allié reste l'Iran. Il a permis la victoire de Bachar Al-Assad. Mais il n'a aucun intérêt à voir éclater un conflit. On peut espérer qu'il continue à demander, au moins de manière tacite, à chacune des parties de garder son calme.

Reste que cette confiance retrouvée de la Syrie, grâce à l'aide russe et iranienne, c'est vraiment la marque que la guerre civile est en train de s'achever et que le régime syrien se prépare à d'autres confrontations.

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