Guerre au Proche-Orient : que risque Benyamin Nétanyahou après le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale ?

Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, à la tribune du Parlement israélien à Jérusalem, le 18 novembre 2024. (OHAD ZWIGENBERG / AP / SIPA)
Le Premier ministre israélien est poursuivi pour "crimes contre l'humanité et crimes de guerre" dans la bande de Gaza. Les Etats signataires du traité fondateur de la CPI, dont la France, sont théoriquement tenus de l'arrêter s'il entre sur leur territoire.

Benyamin Nétanyahou sera désormais plus isolé. Le Premier ministre israélien est visé par un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale (CPI), émis jeudi 21 novembre, "pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis depuis le 8 octobre 2023 au moins, et au moins jusqu'au 20 mai 2024" dans la bande de Gaza. L'intéressé n'a pas tardé à réagir : il dénonce une décision "antisémite" et compare la procédure à un nouveau "procès Dreyfus".

L'émission de ce mandat d'arrêt limite, de fait, ses possibilités de déplacement à l'étranger, en particulier dans les 124 Etats signataires du statut de Rome (listé sur le site de la CPI), à l'origine de la création de cette instance basée à La Haye (Pays-Bas). L'article 86 du texte précise en effet que "les Etats parties [signataires] coopèrent pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence".

"Une question juridiquement complexe", selon la France

Ces Etats sont donc, en théorie, tenus d'arrêter Benyamin Nétanyahou s'il décidait de se rendre sur leur territoire, tout comme son ancien minstre de la Défense, Yoav Gallant, également visé. Le Canada s'y est engagé. "On suivra toujours les décisions et les règlements de ces instances", a promis son Premier ministre, Justin Trudeau, jeudi. L'Union européenne est sur la même ligne : les mandats d'arrêt doivent être "respectés et appliqués", a déclaré le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. L'Italie a déjà fait savoir qu'elle serait dans "l'obligation d'arrêter" Benyamin Nétanyahou. Berlin, de son côté, "examine" ce que l'émission de ces mandats d'arrêt "signifie pour l'application en Allemagne".

Et si Benyamin Nétanyahou venait en France ? Ni Emmanuel Macron ni Michel Barnier n'avaient réagi vendredi matin. Questionné jeudi, le porte-parole de la diplomatie française, Christophe Lemoine, a semblé embarrassé : "Il s'agit d'une question juridiquement complexe (...) qui nécessite beaucoup de précautions", a-t-il répondu lors d'une conférence de presse, mise en ligne sur YouTube. Avant d'ajouter que "sur ce dossier, comme sur tous les autres, nous suivons l'action du procureur de la Cour qui agit en toute indépendance. (...) Notre réaction sera en ligne avec ses principes." "La France prend acte de cette décision", a confirmé le ministère des Affaires étrangères vendredi matin. "Fidèle à son engagement de longue date en soutien à la justice internationale, elle rappelle son attachement au travail indépendant de la Cour, conformément au Statut de Rome."

Le Premier ministre israélien peut, en revanche, se rendre sans crainte en Hongrie. Le Premier ministre Viktor Orban, qui occupe actuellement la présidence tournante du Conseil de l'UE, le "convie" à venir quand il le souhaite. Manière, dit-il, de "défier" la décision de la CPI.

La CPI ne peut pas procéder elle-même à une arrestation

Benyamin Nétanyahou est aussi le bienvenu sur le sol américain. Les Etats-Unis, alliés de l'Etat hébreu, n'ont pas ratifié le statut de Rome. "Quoi que puisse sous-entendre la CPI, il n'y a pas d'équivalence, aucune, entre Israël et le Hamas", a commenté Joe Biden, qui juge "scandaleux" les mandats d'arrêt de la Cour pénale internationale. Donald Trump, qui lui succédera en janvier à la Maison Blanche, n'a jamais caché qu'il s'opposerait aux poursuites de la juridiction internationale contre des responsables israéliens. L'Etat hébreu, d'ailleurs, n'a pas non plus ratifié le statut de Rome : le pays n'est donc pas tenu de coopérer avec la Cour en arrêtant son propre Premier ministre.

L'obstacle est aussi matériel. La CPI, qui ne possède pas sa propre force de police, ne peut pas procéder elle-même à une arrestation. L'exécution des mandats "dépend de la coopération internationale", confirmait son président, Piotr Hofmanski, en 2023. Si les autorités des Etats parties du statut de Rome n'agissent pas, que ce soit dans la collecte des preuves ou dans la remise des personnes suspectées, la cour ne peut donc rien faire et ses décisions restent lettre morte.

La CPI elle-même reconnaît des "difficultés nombreuses". "La Cour ne dispose pas de son propre mécanisme d'exécution et il n'est pas rare que les Etats ne donnent pas suite aux demandes d'exécution de mandats d'arrêt", peut-on lire dans l'un de ses rapports (fichier PDF). Début septembre, la Mongolie, pourtant signataire du statut de Rome, a ainsi laissé Vladimir Poutine totalement libre de ses mouvements. Le président russe est, lui aussi, visé par un mandat d'arrêt, pour le crime de guerre de "déportation illégale" d'enfants ukrainiens. En 2015, déjà, l'Afrique du Sud avait refusé de passer les menottes à l'ex-président soudanais Omar el-Béchir, alors poursuivi pour "génocide".

Ni la Mongolie ni l'Afrique du Sud n'ont été sanctionnées pour ces entorses à leurs engagements. "Si un Etat partie n'accède pas à une demande de coopération de la Cour contrairement à ce que prévoit le présent statut, et l'empêche ainsi d'exercer les fonctions et les pouvoirs que lui confère le présent statut, la Cour peut en prendre acte et en référer à l'Assemblée des Etats parties ou au Conseil de sécurité [des Nations unies] lorsque c'est celui-ci qui l'a saisie", peut-on lire dans le texte du statut de Rome (fichier PDF), à la page 85.

Le dernier déplacement à l'étranger de Benyamin Nétanyahou remonte à la fin septembre, à New York, à l'occasion de l'Assemblée générale des Nations unies. Contactée par franceinfo, la Cour pénale internationale rappelle qu'un mandat d'arrêt ne dispose d'"aucune date limite dans le temps".

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