Guerre en Ukraine : que risque Vladimir Poutine après le mandat d'arrêt émis par la Cour pénale internationale ?
Vladimir Poutine pourrait-il être jugé pour des crimes de guerre commis en Ukraine ? La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert la porte à cette possibilité, vendredi 17 mars. La juridiction internationale, basée à La Haye, aux Pays-Bas, a émis un mandat d'arrêt contre le président russe pour le crime de guerre de "déportation illégale" d'enfants ukrainiens depuis le début de l'invasion russe fin février 2022. Saluée notamment par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Union européenne, cette décision a été qualifiée d'"historique" par le président ukrainien Volodymyr Zelensky. La probabilité que le chef du Kremlin soit arrêté est toutefois infime.
Quelles sont les accusations portées dans le mandat d'arrêt ?
"Aujourd'hui, 17 mars 2023, la Chambre préliminaire II de la Cour pénale internationale a émis des mandats d'arrêt contre deux personnes dans le cadre de la situation en Ukraine : Vladimir Vladimirovitch Poutine et Maria Alekseyevna Lvova-Belova", commissaire présidentielle aux droits de l'enfant en Russie, déclare la CPI dans un communiqué (en anglais). Le dirigeant russe "est présumé responsable du crime de guerre de déportation illégale de population (enfants) et de transfert illégal de population (enfants) des zones occupées d'Ukraine vers la Fédération de Russie", est-il détaillé.
Selon la cour, il existe "des motifs raisonnables de croire que Vladimir Poutine est personnellement responsable des crimes susmentionnés", qui auraient été commis "sur le territoire ukrainien occupé au moins à partir du 24 février 2022". La CPI invoque dans son mandat l'article 8 du Statut de Rome, son traité fondateur, qui inclut dans les crimes de guerre les faits de "déportation" ou de "transfert illégal" de personnes.
Le dirigeant russe peut-il être arrêté ?
Oui… en théorie. Les Etats membres de la CPI sont tenus d'exécuter les mandats d'arrêt contre Vladimir Poutine et Maria Lvova-Belova s'ils se rendent sur leur territoire, confirme à l'AFP le procureur de la CPI, Karim Khan, interrogé sur la possibilité d'une arrestation de Vladimir Poutine s'il se rendait dans l'un des 123 pays parties au Statut de Rome.
Interrogé par le quotidien suisse Le Temps, Andrew Clapham, professeur de droit international, va même plus loin. "L'article 8 du Statut de Rome signifie qu'il s'agit d'une infraction grave de la quatrième Convention de Genève en son article 147, souligne-t-il. Cela signifie que Vladimir Poutine peut être arrêté dans n'importe quel pays du monde. Tous les Etats de la planète ont ratifié les Conventions de Genève, y compris la Russie."
Mais selon Matthew Waxman, professeur à la Columbia Law School, cité par l'AFP, "les chances sont minces que Vladimir Poutine soit un jour arrêté". Le premier obstacle est matériel. La CPI ne possède pas sa propre force de police, et dépend donc du bon vouloir des Etats. L'exécution des mandats "dépend de la coopération internationale", confirme le président de la CPI, Piotr Hofmanski. Si les autorités des Etats n'agissent pas, la cour ne peut procéder à une arrestation. C'est ainsi que l'ancien dirigeant soudanais Omar el-Bechir a pu se rendre dans plusieurs Etats africains en 2017 sans être inquiété, malgré un mandat d'arrêt de la CPI émis contre lui.
Si l'Ukraine, qui n'est officiellement pas membre de la juridiction internationale, a accepté sa compétence dans le cadre du conflit, permettant ainsi à cette dernière de poursuivre Vladimir Poutine, la Russie n'est, elle, pas membre de la CPI. En 2016, après l'ouverture d'une enquête de la cour sur la guerre de 2008 en Géorgie, Moscou a retiré sa signature du Statut de Rome. "La Russie, comme un certain nombre d'Etats, ne reconnaît pas la compétence de ce tribunal. Par conséquent, du point de vue de la loi, les décisions de ce tribunal sont nulles et non avenues", a déclaré le porte-parole du président russe, Dmitri Peskov, à la suite de l'annonce du mandat d'arrêt contre Vladimir Poutine.
En d'autres termes, les autorités russes ne comptent pas arrêter leur dirigeant, "à moins qu'il n'y ait un changement de régime en Russie", déclare à l'AFP Cecily Rose, professeure de droit international public à l'université de Leyde (Pays-Bas). Il est donc peu probable que le dirigeant russe finisse derrière les barreaux ou condamné, d'autant que, comme le rappelait l'avocate Jeanne Sulzer à franceinfo en mars 2022, "la CPI ne juge pas un accusé en son absence".
Des chefs d'Etat ont-ils déjà été arrêtés et jugés pour crimes de guerre ?
Oui, plusieurs dirigeants politiques et militaires ont été jugés pour crimes de guerre, rappelle Karim Khan. "Il y a tellement d'exemples de personnes qui pensaient qu'elles étaient au-dessus de la loi" et qui "se sont retrouvées devant les tribunaux", observe-t-il auprès de l'AFP. L'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo est passé par la case prison après son arrestation en 2011, accusé de crimes contre l'humanité par la CPI, qui l'a finalement acquitté.
La CPI a condamné en 2012 Charles Taylor, ancien chef de guerre devenu président du Liberia, pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Six ans plus tôt, en 2006, l'ancien président serbe Slobodan Milosevic est mort dans sa cellule à La Haye alors qu'il était jugé pour génocide par le tribunal pour l'ex-Yougoslavie. En 2008, l'ancien dirigeant serbe de Bosnie, Radovan Karadzic, a été capturé et reconnu coupable de génocide par ce même tribunal. Son chef militaire, Ratko Mladic, a été arrêté en 2011 et condamné à la réclusion à perpétuité.
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