Guerre entre Israël et le Hamas : ce que l'on sait du centre de détention de Sde Teiman, décrit comme "pire que Guantanamo"

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Des manifestants à Naplouse, en Cisjordanie, le 17 avril 2024, lors de la journée de solidarité avec les prisonniers politiques palestiniens. (MAJDI MOHAMMED / SIPA)
Située dans le désert du Néguev, cette base militaire israélienne a été transformée après l'attaque du 7 octobre en un camp d'internement pour les Palestiniens capturés par Tsahal.

"Personne ne peut entrer. Et personne n'a d'informations sur ce qui se passe au quotidien là-bas", affirme Naji Abbas, chargé de mission de l'ONG israélienne Physicians for Human Rights, à franceinfo. Dans le désert du Néguev, plusieurs Palestiniens arrêtés dans la bande de Gaza sont détenus dans le camp militaire israélien de Sde Teiman. Une enquête publiée par la chaîne américaine CNN en mai a confirmé des conditions de détention s'apparentant à de la torture. Prisonniers menottés pendant des heures, d'autres attachés sur des lits médicalisés... Plusieurs associations de défense des droits de l'homme ont depuis réclamé la fermeture de ce centre de détention secret devant la Cour suprême d'Israël. On vous résume ce que l'on sait de ce camp décrit comme "pire que Guantanamo", selon Naji Abbas.

Des prisonniers sans protection 

Située à une trentaine de kilomètres de la bande de Gaza dans le désert du Néguev, la base militaire de Sde Teiman a été transformée après l'attaque meurtrière du 7 octobre en un camp d'internement pour les combattants gazaouis capturés. Les prisonniers de l'armée israélienne sont transportés à Sde Teiman par camion. Une fois sur place, les détenus sont "complètement isolés du monde extérieur", alerte l'ONG israélienne Physicians for Human Rights dans un rapport publié en avril 2024.

Détenus en vertu de la loi sur l'emprisonnement des combattants illégaux, les Palestiniens ne bénéficient pas du statut de prisonnier de guerre, mais de celui de "combattant illégal". Cette qualification permet l'incarcération d'une personne sans contrôle judiciaire pendant une période de 45 jours. Selon le Comité public contre la torture en Israël, ce statut offre peu de protections aux détenus. Ils peuvent ainsi "être détenus sans que leurs proches soient informés du lieu de détention et sans contact avec un avocat ou des représentants de la Croix Rouge".

Au cours de leur détention, les prisonniers palestiniens sont interrogés par les militaires de l'Unité 504, spécialisée dans le renseignement, selon le quotidien Haaretz. Les détenus pour lesquels toute suspicion est écartée "sont renvoyés dans la bande de Gaza", a expliqué un porte-parole de l'armée à l'AFP, les autres sont remis à l'administration pénitentiaire israélienne. 

Des accusations de mauvais traitement

Interrogés par CNN, plusieurs Palestiniens de retour à Gaza affirment avoir subi des actes de torture à Sde Teiman. "Ils nous ont attaché les mains si fort que même lorsque nous mangions, c'était difficile de le faire, assure un Gazaoui. J'y suis resté 23 jours, mais j'ai l'impression que ça a duré 100 ans." Dans un rapport basé sur les témoignages de Gazaouis relâchés par Israël, l'UNRWA constate "des signes de traumatismes et de mauvais traitements chez les détenus libérés".

L'un des lanceurs d'alerte, qui a partagé des photographies à CNN, a par ailleurs mentionné des prisonniers aux yeux bandés à qui l'on ordonnait de s'asseoir droit et de ne pas parler en leur criant "Taisez-vous" en arabe dans des enclos entourés de barbelés. Les détenus qui enfreignaient à plusieurs reprises l'interdiction de parler ou de bouger étaient passés à tabac par les gardiens. Dans l'enquête de CNN, le docteur Mohammed al-Ran dénonce également des pratiques déshumanisantes.

"Pendant que nous étions attachés, ils lâchaient les chiens qui nous piétinaient."

Mohammed al-Ran, docteur

dans une enquête de CNN

Un médecin qui a travaillé à l'intérieur de la base décrit à franceinfo l'absence de soins. "Les patients n’ont pas de noms", assure-t-il. Dans l'hôpital de campagne, les patients sont "tous attachés, allongés sur des lits". "Ils ne peuvent pas bouger. Ils ont les yeux bandés. Ils sont nus. Ils portent des couches", décrit-il. D'après Naji Abbas, chargé de mission de l'ONG Physicians for Human Rights, "des prisonniers hospitalisés (...) sont morts".

Début avril, le journal Haaretz a publié une lettre adressée aux ministères de la Santé et de la Défense, par laquelle un médecin assure que le centre de détention ne dispose pas des équipements médicaux adaptés à l'état de santé des patients. Il dénonce un manque d'effectifs en médecins spécialistes. Ces carences ont "entraîné des complications et parfois la mort du patient". En mars, le quotidien Haaretz a révélé que 27 Gazaouis étaient morts en détention. L'armée israélienne a assuré qu'une enquête criminelle avait été ouverte. 

Des demandes de fermeture

A la suite de ces révélations, plusieurs associations de la société civile israélienne se mobilisent. Une requête a été déposée par plusieurs organisations de défense des droits de l'homme auprès de la Cour suprême d'Israël, exigeant la fermeture immédiate de Sde Tieman, relate le journal Haaretz.

Avant le début de l'audience devant la plus haute juridiction d'Israël le 5 juin, l'Etat a annoncé son souhait d'améliorer les conditions de détention. Israël prévoit de limiter le nombre de détenus à 200 et de transférer plusieurs centaines de Palestiniens présents actuellement à Sde Teiman vers les établissements d'Ofer et de Ktzi'ot. Les infrastructures existantes seront rénovées, assure aussi Israël. 

"L'armée israélienne s'efforce constamment d'améliorer les conditions d'incarcération et le transfert de 500 détenus devrait apporter une amélioration significative", assure l'Etat hébreu dans un document que le journal Haaretz a pu consulter. Quelques jours avant ces annonces, l'armée a acté de la création d'un "comité consultatif", chargé d'enquêter sur les conditions de détention à Sde Tieman, précise Le Monde.

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