Interview Guerre au Proche-Orient : "Il n'y a pas aujourd'hui de soutien clair en faveur du Hezbollah dans la région", estime Frédéric Encel

Le docteur en géopolitique juge qu'il n'y a, en l'état, pas lieu de craindre un embrasement régional après les frappes d'Israël au Liban visant des membres du Hezbollah. Frédéric Encel rappelle que l'Iran n'a par exemple manifesté encore aucune réaction.
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Le professeur de géopolitique, Frédéric Encel, le 29 août 2023. (ALAIN JOCARD / AFP)

Une nouvelle journée sous les bombes israéliennes au Liban. Le bilan ne cesse de s'alourdir avec près de 500 morts désormais. Israël dit avoir frappé plus d'un millier de cibles liées au Hezbollah, suscitant au passage l'inquiétude du secrétaire général de l'ONU et du monde, qui craignent que la région s'embrase. "Nous sommes au bord d'une guerre totale", s'est pour sa part alarmé le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell. Mais aux yeux de Frédéric Encel, docteur en géopolitique et maître de conférences à Sciences Po Paris, cette inquiétude n'a pas vraiment lieu d'être pour le moment.

franceinfo : la communauté internationale s'inquiète d'un embrasement dans la région. Faut-il effectivement le redouter ?

Frédéric Encel : Pas davantage que d'habitude. On est quantitativement sur plus que ces derniers mois. Mais cela dit, depuis la guerre de basse intensité enclenchée par le Hezbollah en soutien au Hamas, les 8, 9, 10 octobre derniers, cette "guéguerre" entre guillemets qui est déjà assez meurtrière, prévaut quotidiennement. Il n'y a pas, qualitativement, quelque chose de nouveau en cela qu'il n'y a justement pas d'embrasement régional. On est effectivement sur une montée encore une fois de puissance de frappe entre les deux belligérants.

"La République islamique d'Iran, qui a créé de toutes pièces le Hezbollah en 1982 et qui est son grand mentor, ne réagit absolument pas."

Frédéric Encel, docteur en géopolitique

sur franceinfo

Il n'y a pas aujourd'hui de soutien clair, net, concret en faveur du Hezbollah dans la région.

Israël ne prend-il pas le risque d'ouvrir un nouveau front alors que celui de Gaza n'est pas terminé ?

Il n'est pas terminé, mais quasiment. C'est-à-dire que la population israélienne est toujours très marquée, très choquée, par le fait qu'un peu plus de 50, peut-être 60 otages, restent aux mains du Hamas. Mais fondamentalement, les capacités balistiques de ce mouvement islamiste sont quasi anéanties. Aujourd'hui, il n'y a plus de possibilité pour le Hamas de s'approvisionner sous le fameux axe de Philadelphie, donc à la frontière égyptienne, et bien évidemment ni par mer, ni par les airs, ni même de frapper Israël. Donc c'est un front, mais qui pour les Israéliens - d'un point de vue militaire et pas moral - est devenu secondaire et qui est dorénavant quasiment gelé.

En revanche, le Hezbollah constitue aux yeux d'Israël une menace beaucoup plus importante. Et on le voit bien, les membres du Hezbollah sont plus nombreux, plus formés, mieux entraînés et disposent de missiles beaucoup plus importants pour frapper Israël que n'en avait le Hamas.

Israël peut-il avoir l'espoir de venir à bout du Hezbollah ?

Non, en aucun cas. Sur le plan militaire, le Hezbollah n’est pas réductible, et cela pour deux raisons. D'abord parce qu'il continuera d'être approvisionné par l'Iran - même si l'Iran n'intervient pas directement en sa faveur - via l'Irak et la Syrie. D'ailleurs, c'est la raison pour laquelle les Israéliens bombardent régulièrement des routes et des aérodromes, précisément en Syrie. La géographie, ça sert d'abord à faire la guerre. Donc là, la géographie du Hezbollah lui est assez favorable. Il y a une profondeur stratégique importante.

Et d'autre part, il n'est pas réductible parce que le Hezbollah n'est pas qu'un groupe militaire ou terroriste. Il est aussi un parti politique libanais qui représente une grande partie des chiites qui, eux-mêmes, constituent la minorité la plus importante, environ 30-35% de la population. C'est aussi un groupe qui fait du social, qui fait de l'éducatif, qui est religieux et spirituel, etc.

"En revanche, ce qu'Israël essaye de faire, c'est de réimposer sa crédibilité dissuasive. C'est ça finalement en fait qu'Israël cherche depuis le 7 octobre."

Frédéric Encel

à franceinfo

Et parce que le Hezbollah, c'est la méduse ?

Oui. Non seulement c'est un mouvement extrêmement important qui s'inscrit effectivement dans plusieurs dimensions, dans plusieurs régions du Liban. Il y a aussi Beyrouth Sud, le grand quartier de Chiyah... Le Hezbollah a contribué à sauver Bachar el-Assad à l'époque du printemps arabe et de la terrible guerre civile dans ce pays... Donc, vous avez une grande profondeur de champ et une espèce de multipolarité en quelque sorte de ce mouvement qui ne le rend pas destructible. 

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