Liban : "J'ai très peur que mon beau pays disparaisse", témoigne Josyane Boulos, directrice de théâtre à Beyrouth

Devant l'ONU, Emmanuel Macron a déclaré qu'"il ne peut pas y avoir de guerre au Liban", tandis que l'armée israélienne a dit préparer "une possible entrée" dans le pays pour frapper le Hezbollah.
Article rédigé par franceinfo
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Le Liban est sous le feu de l'aviation israélienne qui souhaite se débarasser du Hezbollah. Ici le bâtiment délabré d'Electricité du Liban à Beyrouth. (WAEL HAMZEH / EPA)

La situation s'envenime au LIban et inquiète les habitants."J'ai très peur que mon beau pays disparaisse", a témoigné mercredi 25 septembre sur franceinfo Josyane Boulos, directrice du théâtre Le Monnot, au Liban, alors que l'armée israélienne a dit préparer "une possible entrée" au Liban pour y frapper le Hezbollah et qu'Emmanuel Macron a appelé à la tribune de l'ONU Israël à cesser "l'escalade". "Il ne doit pas, il ne peut pas y avoir de guerre au Liban. C'est pourquoi nous appelons avec force Israël à cesser l'escalade au Liban et le Hezbollah à cesser les tirs vers Israël", a déclaré le président français.

"Il est temps que l'être humain comprenne que les guerres ne mènent à rien", déclare Josyane Boulos. À 62 ans, elle "n'a plus envie d'avoir peur". La directrice de théâtre souligne la "solidarité" des Libanais et leur "résilience" face aux guerres. Elle dénonce l'éventuelle "offensive terrestre" de l'armée israélienne, après laquelle "rien n'empêchera la colonisation de ce Liban", ainsi que le Hezbollah, "les assassins au pouvoir".

franceinfo : Emmanuel Macron a affirmé qu'"il ne peut pas y avoir de guerre au Liban". Qu'attendez-vous de la France du président français ?

Josyane Boulos : Personne ne devrait vouloir une guerre n'importe où dans le monde, ni au Liban, ni en Palestine, ni à Gaza, ni au Soudan, ni en Ukraine. Il est temps que l'être humain comprenne que les guerres ne mènent à rien. Donc j'espère que Monsieur Macron pourra faire quelque chose. Ça fait plus d'un an qu'on essaie d'arrêter la guerre à Gaza et rien ne se passe. Je suis assez pessimiste concernant le Liban. Mon père nous racontait quand il était enfant que dans leurs livres d'histoire, c'était étudié nos ancêtres les Gaulois. Oui, mais maintenant je sais plus. La roue de la mort est tellement forte, cet engrenage guerrier qui ne s'arrête plus quelles que soient les conditions. Il est très simple d'arrêter la guerre. Il suffit de baisser les armes. Mais avec les egos "méga testotéronisés" des uns et des autres, je pense que ça va prendre du temps avant que cela s'arrête. J'espère que j'ai tort parce que moi personnellement, je ne peux pas supporter la guerre.

Comment s'organise votre vie en ce moment ?

J'habite à 500 mètres à vol d'oiseau de la banlieue sud de Beyrouth. Je suis dans la banlieue sud-ouest. Et là, les drones n'arrêtent pas de survoler la région. Nous espérions, avec le redoux et la venue de l'automne, dormir les fenêtres ouvertes. Nous ne pouvons pas. Au théâtre, j'ai dû annuler plusieurs pièces, parce que les producteurs sont craintifs et ne sont pas prêts à investir de l'argent pour jouer au théâtre. Et puis nous avons peur, nous avons très peur. Et ce n'est plus normal que nous ayons encore peur. Je vais avoir 62 ans bientôt et je vis dans la guerre depuis l'âge de douze ans et même avant. La première fois que j'ai eu peur, c'était en 1967, quand il y a eu la guerre des Six jours, toujours avec Israël. Et je n'ai plus envie d'avoir peur. Je vous avoue que j'ai envie de vivre en paix.

Est-ce que vous avez le sentiment que le Liban est sacrifié ?

Oui, absolument. De plus en plus, j'ai ce sentiment. Pas seulement le Liban. Le Liban, la Palestine, toute notre région est sacrifiée. Et je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Nous sommes le seul pays au monde, probablement, où quand on vous dit 'comment tu as vécu la guerre', on peut lui répondre "laquelle ?" Ça suffit. Il est temps que les grands de ce monde arrêtent de fabriquer des armes, arrêtent d'essayer les armes chez nous. J'ai l'impression parfois de vivre dans une éprouvette, dans un tube à essai. On fait des expériences avec nous. Et ça, c'est très dur à avaler. Ce que nous vivons est immensément dur. Près de 600 morts en 24 heures, c'est quand même abominable.

Est-ce que vous voyez les Libanais qui ont quitté le sud du Liban arriver dans la capitale libanaise ?

Bien sûr, il y a eu un élan de solidarité impressionnant et tout le monde s'entraide. Nous sommes en train de faire des levées de fonds. Nous sommes en train d'acheter de la nourriture, des matelas. Quelles que soient les communautés, ça n'a pas d'importance. Face à un ennemi, nous sommes tous Libanais. Si vous enlevez les politiciens, les mafieux, les corrompus, croyez-moi, les Libanais sont tous ensemble. Ce sont les gouvernements successifs et les mafieux successifs qui font tout pour séparer les gens. Alors que les gens, eux, s'entraident avec un élan de solidarité qui a déjà existé le 4 août 2020, qui a existé en 2006 aussi, et qui continuera à exister, parce que d'abord, nous sommes Libanais. Je ne sais pas comment on trouve encore le courage de se lever le matin, de s'habiller et d'aller au travail. Je ne sais pas d'où on trouve cette résilience qui est tellement propre aux Libanais. Mais il est temps de vivre tranquille. Je ne veux plus ni de milices, ni de mafia, ni d'armes irrégulières. Je veux juste un président de la République, un gouvernement, une armée régulière et que tout le monde aille chez lui et qu'on puisse vivre tranquillement. Il est plus que temps.

Qu'est-ce que vous craignez dans les heures qui viennent ? Une offensive terrestre d'Israël ? Des bombardements sur la capitale ?

Que mon pays, mon si beau pays disparaisse. Cela fait des années que nous combattons pour connaître la paix, pour faire connaître notre pays comme un pays de culture et de paix. Un peuple tellement généreux, tellement paisible, tellement connu pour sa joie de vivre. J'ai très peur qu'il disparaisse. Et s'il y a une offensive terrestre et que l'armée israélienne entre et s'installe dans le Sud, rien n'empêchera la colonisation de ce Liban. Plus rien. On leur donne tout, on leur laisse tout faire. Ils ont tué 50 000 Palestiniens, le monde n'a pas bougé. On redit tout le temps "le 7 octobre". Mais nous les Libanais, nous ne sommes pas coupables du 7 octobre. On n'en a rien à foutre de ça. Ce n'est pas notre guerre. Nous sommes en train de payer le prix de l'ego des grands. Et ça, c'est horrible.

Est-ce que vous rendez aussi le Hezbollah responsable de la situation ?

Bien sûr. Quand je dis l'égo des grands, je parle de tout le monde. Wajdi Mouawad (dramaturge et metteur en scène libanais) m'avait dit cette phrase : "comment fait-on quand les assassins sont au pouvoir ?"

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