Manifestations propalestiniennes : trois questions sur les mains rouges brandies par des étudiants de Sciences Po mobilisés à Paris
Des paumes peintes en rouge sang, levées en l'air par une dizaine de personnes masquées, parfois la tête recouverte d'un keffieh. Ce geste d'étudiants propalestiniens, qui bloquaient les locaux de Sciences Po à Paris, vendredi, suscite de nombreuses réactions sur les réseaux sociaux, dimanche 28 avril. Certains l'interprètent comme une référence au lynchage de deux soldats israéliens en Cisjordanie, en 2000, lors de la seconde intifada. D'autres rétorquent qu'il s'agit d'un symbole régulièrement utilisé lors de manifestations organisées pour dénoncer différentes formes de violence. Franceinfo fait le point en trois questions sur cette polémique.
1 Que s'est-il passé ?
Ces mains rouges brandies par des manifestants devant les locaux de Sciences Po, situés au cœur du 7e arrondissement de Paris, sont visibles sur les vidéos diffusées via les réseaux sociaux et sur des photos d'agences de presse. Elles ont été prises vendredi, pendant l'occupation de l'établissement organisée depuis mercredi soir par une petite foule d'étudiants, de militants et de sympathisants du comité Palestine, pour réclamer "la condamnation claire des agissements d'Israël par Sciences Po" et "la fin des collaborations" avec toutes "les institutions ou entités" jugées complices "de l'oppression systémique du peuple palestinien".
Vendredi, en milieu d'après-midi, la tension est montée d'un cran, avec l'arrivée d'une cinquantaine de manifestants pro-Israël, dont certains masqués et équipés de casques de moto, criant notamment "Libérez Sciences Po" ou "Libérez Gaza du Hamas". Après une bousculade entre les deux camps, les forces de l'ordre se sont positionnées pour les séparer, sans violence. Tous les manifestants ont alors progressivement quitté les lieux. Y compris ceux qui avaient les mains colorées en rouge.
2 Comment ce geste est-il interprété ?
Après la diffusion de ces images, un montage qui superpose deux photos surgit sur les réseaux sociaux. Au-dessus d'une photo de manifestants de Sciences Po avec leurs paumes peintes en rouge, levées, est disposée la photo d'un homme, qui crie et brandit ses mains ensanglantées face à une foule.
Cette photo, réalisée par Chris Gerald, finaliste du prix Pulitzer 2001 pour la photographie d'actualité, est diffusée par l'Agence France-Presse. Elle montre un jeune Palestinien avec des mains pleines de sang à la fenêtre d'un poste de police, après le lynchage de soldats israéliens par des centaines de Palestiniens, dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 12 octobre 2000. A l'époque, la seconde intifada, période de violences israélo-palestiniennes, vient de commencer. Comme l'écrit Libération, ces soldats battus à mort étaient, selon la version officielle de l'armée israélienne, des "militaires" qui se sont "égarés". Tandis que la police palestinienne assure qu'il s'agit "de membres de services spéciaux effectuant une mission d'espionnage".
Aujourd'hui, des pro-israéliens font le parallèle entre les deux événements : pour eux, si les manifestants propalestiniens ont coloré de rouge leurs mains et les ont exhibées devant Sciences Po Paris, c'est en référence à ce qui s'est passé le 12 octobre 2000. "Poussés par la haine antisémite, dans le silence assourdissant d'une partie de la gauche républicaine, les étudiants 'bien pensants' de Sciences Po glorifient un lynchage !", s'indigne sur X Pernelle Richardot, une élue socialiste. "Le symbole des mains rouges n'est pas un appel au cessez-le-feu, c'est une référence à ce carnage. Arborer ce symbole aujourd'hui, c'est un appel au massacre", écrit de son côté le dessinateur Joann Sfar, samedi, dans un post partagé par le philosophe Raphaël Enthoven.
Pour appuyer ses propos, Joann Sfar publie un autre dessin sur le réseau social, qui représente Hubert Launois, étudiant à Sciences Po Paris et membre du comité Palestine, interrogé samedi soir sur BFMTV sur la portée symbolique des mains peintes en rouge.
3 Que répondent les militants propalestiniens ?
De fait, lors du débat en direct sur BFMTV, face à Maud Bregeon, députée Renaissance des Hauts-de-Seine, Hubert Launois reconnaît, après avoir condamné tout acte antisémite, que les mains peintes en rouge brandies par certains manifestants constituent "un symbole qui peut être choquant, qui est controversé". "Cela fait référence à des événements tragiques, effectivement", poursuit-il, alors que le journaliste en plateau rappelle le lynchage des soldats israéliens à Ramallah en 2000.
"Si ça fait référence à cet événement, alors c'est une dérive antisémite qu'il faut commettre, pardon, excusez-moi, qu'il faut condamner. Excusez-moi, c'est un lapsus. Ce symbole-là, par exemple, il est également utilisé pour dénoncer les enfants soldats. Il est régulièrement utilisé à l'ONU. Vous ne pouvez pas conclure que c'est antisémite de faire ça parce que vous voyez ces images-là", ajoute l'étudiant en réponse à Maud Bregeon, qui considère que brandir des mains peintes en rouge est un geste qui "s'apparente à un appel à la haine".
"Si c'est de l'ignorance et de la bêtise et que cela choque, alors c'est également grave. Et je comprends que cela puisse choquer", complète, en conclusion, Hubert Launois. Contacté par franceinfo dimanche, il assure que ce geste n'a qu'une seule et unique "symbolique visuelle, illustrer le slogan : 'Vous avez du sang sur les mains'". "L'événement d'octobre 2000, on ne le connaît pas. Ce n'est pas le symbole de notre génération. Nous accuser d'y faire référence participe au processus de criminalisation des militants pro-Palestine, à la campagne de maccarthysme contre eux", se défend-il. L'étudiant ajoute que ce geste "n'est pas représentatif", car il n'a pas été évoqué ni débattu lors du vote organisé sur le blocus de Sciences Po.
En outre, Hubert Launois rappelle, comme d'autres l'ont fait sur les réseaux sociaux, que les mains rouges sont couramment utilisées dans les mouvements antiguerre, lors de mobilisations contre des dirigeants accusés d'avoir du sang sur les mains, ou encore pour dénoncer les violences faites aux femmes. Le symbole est aussi utilisé pour illustrer l'urgence du combat contre le réchauffement climatique. Ainsi, il y a deux ans, une cinquantaine d'activistes des Amis de la Terre avaient investi les places de plusieurs villes de France pour y peindre une main rouge géante, alors qu'ils avaient, eux aussi, les mains colorées.
En outre, des Israéliens eux-mêmes ont déjà utilisé ce symbole. Comme le rapporte le Times of Israël, le 23 avril, à Tel Aviv, des dizaines de personnes ont levé leurs mains peintes en rouge pour appeler à la libération des otages détenus dans la bande de Gaza et marquer les 200 jours depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre 2023.
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