Kingdom Tower : un gratte-ciel d'un kilomètre de haut, est-ce bien raisonnable ?
Alors que la construction hors-terre de la Kingdom Tower débute dimanche en Arabie saoudite, francetv info a questionné l'utilité de ces buildings géants.
Enfant, en Californie, Adrian Smith aimait ériger des châteaux de sable sur la plage. Plusieurs décennies plus tard, le dernier projet démesuré conçu par l'architecte américain va voir le jour entre le désert et la mer Rouge, à Jeddah (Arabie Saoudite). La Kingdom Tower, financée par le puissant groupe de BTP de la famille Ben Laden (oui, la famille Ben Laden), doit percer les nuages d'ici 2018, culminant à 1 000 m au-dessus du sol. Un record absolu. Pour l'instant.
Alors que la construction hors-terre de l'édifice débute dimanche 27 avril, francetv info a questionné l'utilité de ces buildings censés chatouiller les portes du paradis.
Pour frimer : complètement
Avec ses 381 m d'altitude, l'Empire State Building peut officiellement être qualifié de "mignon". En franchissant la barre des 1 000 m, la Kingdom Tower va devenir la tour la plus haute du monde, 172 mètres au-dessus de l'actuelle tenante du titre, la Burj Khalifa, à Dubaï. Adrian Smith, qui a conçu les deux mastodontes, reconnaît volontiers qu'hubris et billets verts animent les commanditaires de ces projets : "Parfois, c'est une question d'ego de la personne qui est à l'origine du projet. Plus souvent, c’est le désir de créer une identité, une signature pour un pays, une région ou une ville, expliquait-il en 2013 au JDD. La plupart du temps, il s'agit d'un vecteur économique pour créer de la richesse dont la tour est un symbole visible."
Ainsi, "à Abou Dabi ou à Dubaï, on assiste à une course aux superlatifs", confirme à francetv info Florian Hertweck, architecte au sein du cabinet Hertweck Devernois et enseignant à l'Ecole nationale supérieure d'architecture de Versailles. "Ces tours symbolisent la puissance. De la même façon, si vous visitez un hôtel, on ne manquera pas de vous rappeler qu'il s'agit du plus grand, du plus cher ou du plus luxueux." Ainsi, le site Gulfnews.com, basé à Dubaï, a indiqué lundi, un brin vexé : en dépit de la réussite technique promise par la Kingdom Tower, "cela ne signifie pas [qu'elle] sera capable d'égaler le monument iconique de Dubaï en tout ce qui l'a rendue célèbre à travers le monde. Burj Khalifa n'est pas qu'une structure, c'est la quintessence de Dubaï". Et bim, prends-ça dans les vitres, Kingdom Tower.
Pour séduire les investisseurs, il convient d'afficher la tour la plus haute. A Shanghai, le projet de Bionic Tower, dont le point culminant doit s'élever à 1200 m au dessus du sol, pourrait encore redistribuer les cartes à l'horizon 2020. Mais attention aux arnaques. Selon le Council On Tall Buildings And Urban Habitat (CTBUH), les étages supérieurs, inutilisables, ne sont que perte d'espace, comme le rapporte Géopolis. Ainsi, l'immense Burj Khalifa perdrait 244 m tandis que sa voisine, la Burj Al-Arab, se verrait décapitée de 124 m, sur un total de 321. Soit un total de 39% de frime.
Pour défier les lois de la physique : certainement
Chaque nouveau building constitue un pas de géant en terme d'ingénierie. La construction de la Burj Khalifa et de la tour Pearl River, à Guangzhou, en Chine, a ainsi permis de comprendre "quelle forme donner à un super gratte-ciel de façon à ce qu'il résiste mieux aux vents", a expliqué Adrian Smith au site About.com (en anglais). Aussi impressionnante que soit la Burj Khalifa, le vent secoue son sommet sur une amplitude de 2 à 4 mètres, expliquent des ingénieurs au site Student Pusle.com. Or, "si un bâtiment bouge trop, il existe un risque pour que les gens le sentent et deviennent carrément malades".
Outre la météo, les infrastructures locales offrent leur lot de contraintes incompressibles. Un exemple ? Le géant de Dubaï n'est pas raccordé aux égouts. Les eaux usées (au hasard, celles des toilettes) sont évacuées du building par camions. A Jeddah, c'est le sol qui pose problème. Si la Kingdom Tower devait atteindre 1 600 m (soit un mile), des tests effectués sous terre ont contraint les architectes à revoir leurs ambitions à la baisse.
Enfin, qui dit hauteur, dit ascenseurs. La Kingdom Tower en comptera une soixantaine. Selon son architecte, il faudra environ 1 minute et 12 secondes, à la vitesse de 10 m par seconde pour atteindre le dernier (et 200e) étage. Mais ces estimations sont peut-être déjà obsolètes : lundi 21 avril, le conglomérat industriel japonais Hitachi a affirmé avoir développé l'ascenseur le plus rapide au monde, capable de gravir 94 étages en 43 secondes (à 72 km/h, soit 1 200 m par minute).
Pour gagner de l'espace : pas franchement
Curieusement, les ascenseurs viennent aussi saper la rentabilité de ces prestigieux haricots magiques. "Même si elles sont de plus en plus propres, d'un point de vue économique et écologique, cela n'a pas de sens de construire une tour de plus de 100 m de haut, tranche Florian Hertweck. Les ascenseurs ne peuvent pas parcourir un nombre illimité d'étages. Il faut donc les démultiplier, ce qui prend une place considérable dans le bâtiment. Le volume nécessaire à la circulation l'empêche alors d'être rentable." Interrogé par Le Parisien.fr, l'architecte Jean Mas confirme : "Au bout d’un moment, la surface au sommet devient trop petite pour être rentable, et celle au sol est si grande qu’il est compliqué de la remplir. Or, plus on monte, plus il faut affiner le sommet de la tour et élargir sa base." En gros, les sommes gagnées sur le foncier se perdent en espaces gaspillés.
Bref, "il faut trouver un rapport sain entre le plein et le vide dans ces gratte-ciel. Ils ont essayé à Shanghai, mais le vide était encore trop important", relève Florian Hertweck. Il déplore le gaspillage de matière et plaide pour d'autres innovations que la course en direction des nuages : efficacité énergétique, gain d'espace grâce au concept de "peau structurelle" (à l'inverse des buildings construits sur des piliers porteurs), bâtiments plurifonctionnels, capables de recréer la ville dans la ville, etc.
Avec son hôtel Four Seasons, ses logements luxueux, ses bureaux tout aussi chics et le potentiel touristique de l'observatoire le plus haut du monde (évidemment payant), l'Arabie Saoudite compte toutefois sur la rentabilité de sa Kingdom Tower. Son coût, 890 millions d'euros, a déjà crevé le plafond.
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