Liban : pourquoi le Premier ministre, Moustapha Adib, a-t-il renoncé à former un nouveau gouvernement ?
Cet échec des négociations est notamment lié, selon plusieurs spécialistes, à l'intransigeance des formations chiites, qui veulent absolument obtenir le portefeuille des Finances libanais.
Il a reconnu son "incapacité" à répondre aux "aspirations" du peuple libanais pour un "gouvernement réformiste". Samedi 26 septembre, le Premier ministre libanais, Moustapha Adib, a annoncé qu'il renonçait à la constitution d'un nouveau gouvernement, face à de profonds désaccords entre les formations politiques du pays. "Je m'excuse de ne pas pouvoir poursuivre la tâche de former le gouvernement", a-t-il reconnu lors d'un point presse au palais présidentiel, à Beyrouth.
Alors que les efforts pour former le gouvernement touchaient à leurs fins, il m'est apparu clairement que ce consensus n'existait plus.
Moustapha Adib, Premier ministre libanaislors d'un point presse
Le président français, Emmanuel Macron, doit tenir une conférence de presse à ce sujet, dimanche en fin d'après-midi. Début septembre, à la suite des explosions meurtrières à Beyrouth et de la démission du gouvernement, les partis politiques libanais avaient assuré qu'ils formeraient, sous deux semaines, un nouveau cabinet "de mission" pour sortir le pays de la crise. "Si les promesses ne sont pas tenues d'ici octobre, il y aura des conséquences", avait alors prévenu le dirigeant français.
Samedi, à l'issue d'une rencontre avec le président libanais, Michel Aoun, Moustapha Adib a souhaité bonne chance à son successeur, devant la "difficile tâche" qui l'attend. Pourquoi ces concertations entre mouvements politiques ont-elles échoué au Liban ? Eléments de réponse.
Une exigence des formations chiites
Au cœur des différends entre les partis libanais se trouve le portefeuille des Finances, tenu depuis 2014 par des ministres chiites, rappelle France 24. Dans un pays où le président doit être un chrétien maronite et le Premier ministre un musulman sunnite, les formations musulmanes chiites ont réclamé que ce ministère clé leur revienne, comme c'est le cas depuis six ans. Un gage de pouvoir pour ces partis, les décrets libanais étant co-signés par le chef de l'Etat, le Premier ministre et le ministre des Finances, souligne France 24.
Or, Moustapha Adib souhaitait revenir sur cette distribution confessionnelle des ministères, et former davantage un gouvernement de spécialistes. Les exigences de deux mouvements chiites (l'influent Hezbollah – allié de l'Iran – et le mouvement Amal, dirigé par le président de la Chambre des députés Nabih Berri) ont entraîné un blocage des négociations.
La revendication d'avoir un ministre des Finances libanais "chiite et nommé par le Hezbollah", puis celle "que tous les ministres chiites soient désignés par le duo Amal-Hezbollah", a "torpillé l'esprit et la lettre de l'initiative d'Emmanuel Macron, qui souhaitait un gouvernement de mission pour réformer", commente auprès de franceinfo Antoine Basbous, politologue et directeur de l'Observatoire des pays arabes. "Nous refusons que l'on nomme nos ministres à notre place. Et nous refusons que l'on s'oppose à ce que la composante que nous représentons ne dispose pas du ministère des Finances", avait ainsi insisté le Hezbollah dans un communiqué, le 17 septembre.
L'ancien Premier ministre, Saad Hariri, avait suggéré une alternative, proposant la nomination d'un ministre des Finances chiite, mais indépendant. En vain. "Même quand Saad Hariri a proposé que le portefeuille des Finances revienne à un chiite, ils ont trouvé d'autres arguments pour torpiller Adib et la formation du gouvernement", constate Antoine Basbous.
L'influence de l'Iran et des sanctions américaines
Pour le politologue, il faut aussi voir, derrière ces mouvements chiites libanais et leurs prises de position, le poids non négligeable de l'Iran. "Le Hezbollah et le Amal font ce que l'Iran leur dit de faire", confirme à franceinfo Fabrice Balanche, maître de conférences à l'université Lyon 2.
Pour les Iraniens, le Liban est une carte dans le rapport de force avec l'Arabie saoudite et les Etats-Unis. Sa stratégie est de renforcer ses positions politiques au Liban.
Fabrice Balanche, maître de conférences à Lyon 2à franceinfo
A cela se sont ajoutées, en pleines négociations, des sanctions économiques américaines contre deux politiciens chiites, accusés de corruption et de soutien au Hezbollah. Ali Hassan Khalil, ministre des finances de 2014 à 2020 et bras droit de Nabih Berri, a ainsi "été sanctionné car il a été le lobbyiste du Hezbollah", rappelle Antoine Basbous. Ces sanctions ont-elles pu jouer sur l'intransigeance des formations chiites dans les concertations ? "Ça a tout bloqué", estime Fabrice Balanche. Désormais, "les Iraniens attendent l'élection américaine pour débloquer la situation au Liban", poursuit l'universitaire.
Sanctions ou non, "je ne crois pas que le Hezbollah allait abandonner le regard qu'il avait sur le ministère des Finances", répond de son côté Antoine Basbous. "Le futur ministre des Finances doit couvrir ses prédécesseurs chiites et la fraude qu’ils ont pratiquée", souligne le directeur de l'Observatoire des pays arabes. Selon lui, exiger un ministre des Finances chiite était un moyen "d'être sûr que le futur ministre n’ouvre pas les dossiers pourris". Mais aussi, ajoute le politologue, d'instituer définitivement le fait que ce ministère revenait à un chiite.
En coulisse, le rôle des anciens Premiers ministres
Les formations chiites sont-elles les premières responsables de cette impasse ? Face aux accusations, le président de la Chambre des députés, Nabih Berri, a pointé à son tour les anciens Premiers ministres sunnites, relève RFI. Ils ont, d'après la radio, incité Moustapha Adib à ne pas chercher de compromis avec les mouvements Amal et Hezbollah.
"Les anciens Premiers ministres se sont réunis plusieurs fois pour épauler le nouveau venu [Moustapha Adib], pour qu'il ne se sente pas seul", commente Antoine Basbous. Avec ces échanges, ces anciens dirigeants ont-ils pu envoyer un mauvais signal aux partis chiites ? Il n'y a, en tout cas, "pas eu d'obstacle de leur part" dans les concertations, souligne le politologue. Ce dernier rappelle que, contrairement au Hezbollah, ces dirigeants et leurs formations "ne disposent ni de milices, ni d'armée pour peser".
Fabrice Balanche estime toutefois que ces anciens dirigeants "veulent revenir au pouvoir". "Cela entre dans cette lutte entre sunnites et chiites. Saad Hariri et ces autres anciens Premiers ministres méprisent les chiites, ils veulent les marginaliser politiquement", explique-t-il. "Il ne peut pas y avoir de consensus politique au Liban pour un gouvernement technique. Tous ont trop à y perdre."
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