"On a marché dans le noir, pendant des heures, jusqu'à l'aube" : autour de Mossoul, les civils affluent vers les camps
Depuis fin octobre, 50 000 civils ont fui les combats qui font toujours rage à Mossoul et alentours entre l'armée irakienne et le groupe État islamique. Reportage au camp de Khazir, où 10 000 personnes s'entassent dans des conditions précaires.
Des enfants gémissent. Une grand-mère soupire, recroquevillée sur sa canne. Un homme réajuste un bandage autour de sa tête. En provenance de Mossoul, où le conflit entre l'armée irakienne et le groupe État islamique est entré dans son 28e jour, ces civils se massent devant les grilles et les barbelés du camp de déplacés de Khazir. Épuisés, ils viennent de parcourir une trentaine de kilomètres en plein désert. Depuis fin octobre, 50 000 civils ont fui les bombardements et les affrontements qui font rage à Mossoul, le fief des jihadistes de Daech, où les forces irakiennes peinent à progresser.
Des conditions de fuite dantesques
À l'entrée du camp de Khazir, les militaires irakiens procèdent à des fouilles au corps. Ils vident les rares sacs que les civils ont pu emporter avec eux. Début novembre, un homme de Daech a été arrêté à cette entrée. Il avait essayé de se fondre parmi les déplacés, dissimulant un couteau et des vidéos d’exécutions dans son téléphone.
Les civils ont souvent fui dans des conditions dantesques. "Avant de partir, j’ai donné des médicaments pour endormir mes deux plus jeunes enfants de 3 et 5 ans. Sinon ils auraient pleuré et crié à cause de l’obscurité et du bruit des armes. On se serait fait repérer et on serait tous morts, raconte Amar, un homme de 34 ans, qui a quitté Mossoul avec sa femme enceinte et ses quatre enfants. On a réussi à passer en silence à 100 mètres du check-point de Daech. Ensuite, on a marché dans le noir, pendant des heures, jusqu’à l’aube."
Les hommes de Daech m’accusaient d’espionnage. Si nous n'étions pas partis, nous aurions été décapités
Pour fuir bataille de #Mossoul dans la nuit, Amar a donné des médicaments pour dormir à 2 de ses enfants paniqués pic.twitter.com/bQ4ix2TNdk
— Mathilde Lemaire (@MathildeL75) November 12, 2016
Des tentes à perte de vue
Amar n’a pas les mots pour dire son soulagement. Il vit désormais serré avec sa famille dans l'une des milliers de tentes bleues et blanches, qui s’étendent dans la vallée, à côté des points de distributions de nourriture et du poste médical.
Sara et Mohamed, eux, cherchent encore la tente qu'on vient de leur attribuer. Allée K. Numéro 73. On leur a aussi donné une bâche, quatre matelas et des couvertures. Leurs deux enfants ont des cernes sous les yeux. "C’est la première fois de ma vie que je vais dormir dans un camp comme ça. Je n’ai qu’une envie : m’écrouler de sommeil", commente Sara. La jeune femme peine à retenir ses larmes en pensant au plafond de son salon effondré et aux vitres de sa maison explosées. "J’espère qu’on pourra rentrer vite, dit-elle. Peut-être dans deux semaines ou un mois ?" Ce sera probablement beaucoup plus...
C’est une vie misérable... Mais je ne voulais pas que mes enfants meurent
Ouvert depuis fin octobre, le camp de déplacés de Khazir grandit et se remplit à vue d’œil. 10 000 civils s'y entassent désormais. Ni les engins de chantier qui aplanissent le sol poussiéreux, ni les ouvriers qui installent les sanitaires n’arrivent à suivre. "On m'avait donné un numéro de tente, mais elle est déjà occupée. Je suis obligé de dormir avec ma famille dans ces sanitaires là-bas", nous montre Omar, arrivé début novembre.
Complètement désorienté, Omar se sent piégé : "Il n'y a pas d’aide alimentaire pour tout le monde. Je voudrais quitter ce camp, reprendre ma carte d’identité que j’ai dû laisser en entrant et retourner chez moi."
Je n’ai que les vêtements que j’avais sur le dos en partant. Rien d’autre
De nouveaux flots de déplacés sont attendus dans les prochains jours, au fur et à mesure de l'avancée de l'armée irakienne dans les quartiers de Mossoul. "On a construit onze camps dans la région pour 45 000 personnes. C'est clairement insuffisant", commente Caroline Gluck porte-parole du Haut commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations Unies. Difficile cependant de trouver d'autres terrains pour faire face à la crise humanitaire : "Certains sont infestés de mines qui n’ont pas explosé. Il y a trop de terrains rocheux, où l’on ne peut pas faire arriver l’eau."
À la sortir du camp de Khazir, sur le parking, Sofiane vient inspecter la voiture de ses parents, celle avec laquelle ils ont fui. Sur la portière, des impacts de balle. Au rétroviseur, un drapeau blanc. C'est le dernier bien qui leur reste. "Après toute cette souffrance, mon rêve est de partir pour Tikrit, au sud, et de rejoindre l’armée. J'ai une revanche énorme à prendre sur Daech, explique le jeune homme, âgé seulement de 18 ans, regard tourné vers l'horizon. Ce que je souhaite, c’est que sunnites, chiites, kurdes et chrétiens vivent tous ensemble comme des frères."
S'il rêve de réconciliation, Sofiane ne souhaite pas retourner à Mossoul avant longtemps. Dans cette ville, dit-il, il a trop de souvenirs sanglants.
Daech nous a divisés. Mais nous devons être plus forts que ces barbares
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