"Ils faisaient ce qu'ils voulaient de moi" : en Irak, les femmes yézidies racontent leur calvaire sous le joug des jihadistes
Pendant les trois années d'occupation du groupe Etat islamique dans la plaine de la Ninive, en Irak, de nombreuses femmes ont servi d'esclaves sexuelles. franceinfo a recueilli leurs témoignages.
Il y a trois ans, le groupe État islamique plantait son drapeau noir dans la plaine de la Ninive, l'un des berceaux des chrétiens d'orient et de nombreuses minorités comme les Yézidis, installés au nord-ouest du pays, dans la région de Sinjar. Plusieurs dizaines de milliers d'entre eux parviennent à fuir mais beaucoup sont fauchés par l'organisation jihadiste : les hommes sont tués et les jeunes femmes transformées en esclaves sexuelles. franceinfo a recueilli les témoignages de ces femmes.
Qaraqosh, la capitale des chrétiens d'Irak, a été occupée pendant deux ans et demi par le groupe État islamique. Dans un quartier cossu de la ville, sur le mur d'enceinte d'une maison, une inscription se détache en lettres rouges : "État islamique, interdiction d'entrer". Aujourd'hui il reste de cette grande bâtisse des murs recouverts de suie, des pièces vides jonchées de bouts de verre et de papiers. C'est la maison d'enfance de Rudy.
"C'était aux esclaves sexuelles"
La première fois qu'il est revenu chez lui, Rudy se souvient avoir trouvé des matelas au sol et des sous-vêtements. Au premier étage, ce père de famille de 35 ans découvre des effets personnels. "Regardez : ça, ce sont des barrettes pour filles. Il y a encore des cheveux blonds accrochés dessus. Ce n'était pas à mes sœurs, elles sont brunes. C'était aux esclaves sexuelles", assure-t-il. Il saisit alors une imposante chaîne dorée et sertie de grosses perles en toc : "Ça, c'est le style des bédouins, on ne porte pas ça, nous, les chrétiens !"
Dans la chambre de son frère, un prêtre chaldéen, il trouve une tétine pour bébé. "Mon frère n'avait pas d'enfants bien sûr !, lance Rudy. Par terre, il y a du rouge à lèvres, du vernis à ongles. C'est à cet étage qu'elles devaient passer leurs journées."
C'est sans doute dans un lieu comme celui-ci que Perwine a été retenue avec son bébé de huit mois, obligée de se mettre en scène pour exciter ses geôliers. "Ils nous disaient : 'Ce soir ou demain tu dois te maquiller et porter des sous-vêtements sexy', raconte la jeune femme de 23 ans. Parfois, je devais rester dans cette tenue toute une journée, ils m'envoyaient chercher de l'eau ou faire des allers-retours pour me mater." Les sous-vêtements et le maquillage étaient achetés par les épouses des djihadistes.
Un quotidien de coups et de viols
La jeune mère au regard triste, qui cache désormais son corps sous une longue tunique bleue, est passée de mains en mains durant trois années. "Ils me violaient souvent. Ils disaient que c'était normal surtout avec des femmes comme nous, se souvient Perwine. Ils m'ont beaucoup torturée, moi et ma fille. J'ai encore les traces des coups de tuyaux sur les bras, les jambes, sur tout mon corps en fait. C'était sans raison. Parfois, ils revenaient des combats, ils avaient échoué et me frappaient.
J'étais leur bonne. Ils faisaient ce qu'ils voulaient de moi !
Perwine, 23 ans, Yézidieà franceinfo
Perwine poursuit le récit de son calvaire : après le ménage et la préparation des repas, elle restait enfermée dans la maison, parfois enchaînée, dans l'obscurité. Les fenêtres étaient verrouillées et peintes en noir pour qu'elle perde toute notion de temps. Pour s'assurer qu'elle reste calme, elle pense que les jihadistes la droguaient : "Je ne les ai jamais vu mettre de la drogue dans ma nourriture mais, après le repas, je ne me sentais pas dans mon état normal. J'avais très envie de m'allonger et de dormir". Rudy, lui, affirme avoir trouvé des seaux entiers de gélules de drogues dans la maison.
Ce quotidien sous l'emprise de l'État islamique a boulversé la vie de Perwine. Celle-ci confie avoir plusieurs fois pensé mettre fin à ses jours. Elle va mal, parle de bouffées de chaleur et d'accès de violence.
La lente reconstruction
Sa fille aussi a gardé les séquelles de ces trois années de captivité. "Ils me menaçaient souvent de me retirer ma fille. Parfois ils m'éloignaient d'elle, ils l'enfermaient dans une chambre et m'empêchaient de la voir, raconte Perwine. Je ne sais pas ce qu'ils faisaient avec elle mais elle revenait en pleurant. Une fois ils l'ont enfermé trois jours sans lui donner à manger. Elle pleurait, j'essayais de l'apercevoir sous la porte. c'était trop dur !" Aujourd'hui, Souraya a trois ans. Cette fillette au regard noir s'avère violente. Sa mère raconte qu'un jour, elle a menacé sa famille avec un couteau de cuisine en criant : "Je vais tous vous tuer !"
Amina, 24 ans, souffre des mêmes symptômes. Yézidie, elle aussi, elle est sortie de l'enfer au bout de trois ans. Sa famille l'a rachetée à un djihadiste pour 13 000 euros. "Je m'énerve souvent contre ma mère, et mon frère. Je sais que j'ai tort mais je ne peux pas m'en empêcher, confie-t-elle. Je comprends très bien que je ne suis plus la même fille qu'avant ! J'ai le cœur beaucoup plus sec." Pour Perwine et pour Amina, il y aura toujours un avant et un après État islamique.
Avant Daesh, je pensais être libre, pouvoir faire ce que je voulais dans la vie. Maintenant, tout a changé. Je sais qu'il y a des gens qui peuvent te prendre ta vie, ton existence.
Amina, 24 ans, Yézidieà franceinfo
Amina et Perwine vivent aujourd'hui dans un camp du Kurdistan irakien, au nord du pays. Elles ne pensent pas revenir vivre un jour à Sinjar. Perwine bénéficie d'un suivi psychologique grâce à l'association EliseCare. Amina, elle, gère son traumatisme tant bien que mal et sait que la reconstruction sera lente. Très lente.
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