L'Etat islamique est-il affaibli par les raids aériens de la coalition ?
Si John Kerry et Jean-Yves Le Drian ont affiché leur optimisme, l'action de la coalition internationale a-t-elle un effet sur le groupe terroriste ? En Syrie et en Irak, les jihadistes ont perdu du terrain et essuyé plusieurs défaites.
Sur une image aérienne en noir et blanc, une cible pointe un bâtiment. Quelques secondes plus tard, le site visé explose. Des milliers de billets s'envolent dans un épais nuage de fumée. Lundi 11 janvier, le commandement de la coalition internationale qui combat le groupe Etat islamique a bombardé une réserve de cash près de Mossoul, dans le nord de l'Irak.
La vidéo a été diffusée une semaine plus tard par la "Combined Joint Task Force" (CJTF) afin de montrer les efforts de la coalition pour frapper l'organisation terroriste au portefeuille. Une stratégie qui commence à peser sur la vie quotidienne des jihadistes et des populations qui vivent dans les territoires contrôlés par le groupe Etat islamique.
Les salaires des jihadistes ont été divisés par deux
Le groupe a ainsi annoncé qu'il allait réduire de moitié les salaires de ses membres en Syrie et en Irak, selon un document relayé par l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) et publié par le journal britannique The Independent (en anglais). Il émane du Beit Al-Mal de Raqqa, l’administration financière et fiscale de l’organisation.
"Face aux circonstances exceptionnelles auxquelles fait face l'Etat islamique, il a été décidé de réduire de moitié les salaires des moudjahidines", peut-on lire dans cette note, traduite par l'OSDH. "Personne ne sera exempté de cette décision, quelle que soit sa position, mais la distribution alimentaire se poursuivra deux fois par mois comme d'habitude", poursuit le texte.
Selon Rami Abdel Rahmane, directeur de l'OSDH, cette décision fera passer les salaires des combattants de l'organisation Etat islamique de 400 à 200 dollars (de 369 à 184 euros). Les combattants étrangers, payés le double que leurs compagnons syriens, verront leur salaire réduit à 400 dollars (369 euros).
L'organisation doit procéder à des coupes budgétaires
A Raqqa, sa capitale autoproclamée en Syrie, l'Etat islamique a aussi arrêté de subventionner un aliment de base : le pain. Comme le rapporte Le Monde, les prix, qui étaient fixés jusqu'à début 2016 par l'organisation, flambent, notamment à cause de l'envolée des cours de la farine. Pour remplir ses caisses, le groupe terroriste a en effet vendu une partie des stocks de farine... au régime de Bachar Al-Assad, selon des militants de Raqqa interrogés par le quotidien.
Le groupe Etat islamique a aussi fait quelques économies sur certaines dépenses sociales comme les pensions versées aux familles de "martyrs", précise Le Monde, citant l’analyste irakien Hicham Al-Hachémi, chercheur en stratégie militaire : "En manque de liquidités, l’Etat islamique n’a pour l’instant plus les moyens d’assumer une partie de ses missions sociales à destination des proches et des familles de ses combattants."
Des "dizaines de millions" de dollars en cash du groupe jihadiste sont partis en fumée ces derniers mois dans neuf bombardements de la coalition visant des agences bancaires, confirme un porte-parole du Pentagone, soulignant que "l'EI fonctionne seulement avec du liquide".
Ses voies de communication sont coupées
Les frappes visent aussi les installations pétrolières exploitées par les jihadistes en Syrie et en Irak. La seule vente de pétrole sur le marché noir leur a rapporté autour de 450 millions de dollars (415 millions d'euros) de revenus en 2015, selon le Financial Times (en anglais), qui a mené une vaste enquête sur les moyens financiers du groupe. Depuis l'intensification des frappes en octobre avec l'opération "Tidal Wave II", puis en novembre, après les attentats de Paris, cette somme a été sensiblement réduite, indique le département d'Etat à CNN, sans plus de précisions.
Les raids aériens ciblent également des infrastructures routières afin de ralentir le transport des marchandises sur le territoire occupé par l'Etat islamique. "Un certain nombre de voies de communication ont été coupées, notamment en Syrie, ce qui va rendre les choses très difficiles pour les jihadistes dans les mois prochains. Pareil pour la Turquie, où les voies de communication sont en train d’être coupées ou, en tout cas, vont l’être progressivement", analysait Myriam Benraad, chercheuse à l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, devant la mission d'information parlementaire sur le groupe Etat islamique, créée début décembre.
L'Etat islamique a perdu du terrain
Au-delà des frappes aériennes, l'Etat islamique est confronté à des revers militaires sur le terrain face aux forces du régime syrien, appuyées par la Russie, et aux forces kurdes, soutenues par les pays occidentaux de la coalition. La guerre au sol grève de plus en plus son budget et couvrent les deux tiers de ses dépenses, chiffre Le Monde.
De quoi rendre optimistes les ennemis de l'Etat islamique. "Je pense que d'ici la fin 2016, notre objectif d'affaiblir très sérieusement Daech sera atteint. Je pense que nous sommes sur la bonne voie", a déclaré le secrétaire d'Etat américain John Kerry en marge du Forum économique mondial de Davos, en Suisse. Et d'ajouter que l'organisation terroriste a déjà perdu entre 20 et 30% du territoire qu'il contrôlait en Irak et en Syrie.
"On est dans une situation de grande fragilité de Daech mais il faut rester très prudent", a tempéré le ministre de la Défense français, Jean-Yves Le Drian. Si la campagne aérienne a entraîné le recul des jihadistes à Kobané (Syrie), Sinjar (Irak) et Ramadi (Irak), l'organisation a lancé samedi 16 janvier une offensive sur la ville de Deir Ezzor, dans l'est de la Syrie. "Je pense qu'ils ont été secoués, amenuisés par nos interventions, y compris dans leurs moyens lourds, mais ils se sont aussi habitués à la nouvelle donne", a poursuivi Jean-Yves Le Drian.
Mais l'Etat islamique a d'autres revenus que le pétrole
Mais sur le plan financier, l'Etat islamique a encore de la ressource et sait se montrer inventif. Selon le Financial Times, l'organisation gagne au moins autant avec sa politique de taxes, d'extorsions et de confiscations de biens qu'avec la vente de pétrole et de gaz. Depuis leur annexion d'une partie de l'Irak et de la Syrie en 2014, les jihadistes prélèvent la "zakat", une dîme religieuse qui exige des musulmans qui perçoivent un revenu suffisant le versement de plus de 2,5% de leur capital. Commerçants, entrepreneurs... Aucun secteur de l'économie n'est épargné. Pour les agriculteurs et notamment les producteurs de céréales et de coton, cet impôt peut atteindre 5 à 10% de leurs revenus.
Le groupe extrémiste sunnite est même parvenu à taxer les salaires des fonctionnaires de la ville de Mossoul, versés par son ennemi, le gouvernement chiite irakien. Montant de la récolte, selon le journal économique : 23 millions de dollars (21 millions d'euros). Tout ce qui peut être prélevé l'est. "Ils ne laissent aucune source d'argent intacte – c'est leur carburant", confie un déserteur de l'Etat islamique au Financial Times. Le pillage des antiquités et leur revente représentent également une manne conséquente.
Selon Myriam Benraad, l'Etat islamique reste doté d'un capital "très important", qui devrait permettre au groupe "de survivre sur plusieurs années". Son modèle financier pourrait trouver de nouvelles ressources en Libye, où l'organisation compte quelque 3 000 combattants, contrôle la ville de Syrte et s'attaque aux terminaux pétroliers. Comme l'a relevé le coordinateur de l'Union européenne pour l'antiterrorisme, Gilles de Kerchove, dans ce pays, "il n'y a pas de frappes aériennes". Mais elles sont de moins en moins exclues par les Occidentaux engagés dans la lutte contre l'Etat islamique.
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