Syrie : à Raqqa, les jihadistes ont reculé mais retiennent encore des milliers de civils
Les Forces démocratiques syriennes contrôlent désormais 90% de la ville de Raqqa, mais les forces arabo-kurdes restent prudentes : des milliers de civils sont encore retenus par les jihadistes de Daesh.
Le groupe Etat islamique est sur le point de perdre sa capitale : alors qu’en ces premiers jours d’octobre, la bataille de Raqqa touche à sa fin, les Forces démocratiques syriennes, ces troupes arabo-kurdes soutenues par Washington, contrôlent désormais 90% de la ville. Pour autant, selon les envoyés spéciaux de franceinfo qui ont pu passer plusieurs jours à Raqqa, au plus près des combats, les forces arabo-kurdes restaient prudentes car ce mercredi 4 octobre, des milliers de civils étaient encore retenus par les jihadistes.
Daesh se sert en effet de ces civils comme boucliers pour éviter les frappes de la coalition emmenée par les Etats-Unis. Il est ainsi particulièrement difficile de s’enfuir de Raqqa : les jihadistes ne laissent personne quitter la ville et n’hésitent pas à tuer ceux qui tentent de s’échapper. Des mines ont été disposées par Daesh partout dans la ville et menacent chacun de leur pas.
Certains habitants, pourtant, parviennent encore à partir : lors du passage des envoyés spéciaux de franceinfo à Raqqa, les Forces démocratiques syriennes étaient parvenues à extraire un groupe d’une cinquantaine de personnes. Dans une mosquée de la banlieue ouest, épuisés, affamés, ils dévorent le repas offert par les soldats soutenus par Washington. Salah Mohamed tient dans ses bras un bébé d’un mois, né pendant le siège. Il raconte comment le groupe s’est enfui, à l’aube : "On s'est mis à l'abri dans un bâtiment où vit le sniper pour ne pas qu'il nous voie. Nous sommes allés là à la tombée de la nuit : c'était la mort assurée, sans pain ni eau. Alors, malgré le sniper qui pouvait nous tuer, nous sommes partis."
Le stratagème a fonctionné : toutes les personnes du groupe ont réussi à s’échapper. Beaucoup ont cependant perdu des proches dans les combats. Parmi eux, Gofran El-Habib. Elle a pu s’enfuir avec son mari et son fils âgé de deux ans, mais sa fille de deux mois a été tuée à Raqqa. "C'était il y a un mois, se souvient-elle. Des obus tombaient partout. J'avais peur pour mes enfants, alors nous sommes allés dans la cave. Un éclat nous a touchés et a tué ma fille. Mon mari était parti chercher de l'eau. J'ai crié pendant une heure, mais personne n'est venu m'aider."
Parmi les évacués, la crainte de jihadistes infiltrés
Ces habitants qui parviennent à s’enfuir sont tous interrogés : d’abord parce qu’ils peuvent livrer de précieuses informations sur la localisation des jihadistes ou d’autres civils. Ensuite, parce qu’ils présentent un risque : des jihadistes ont pu se mêler à eux pour fuir les combats et réactiver, plus tard, des cellules dormantes. Ce jour-là, un jeune homme blessé, qui avait perdu une jambe dans une explosion, était fortement soupçonné d’avoir travaillé avec Daesh. Un militaire assure ainsi qu’il recrutait des enfants pour l’organisation.
Les civils accusent le régime de Bachar, "ce criminel de guerre"
Les civils qui n’ont nulle part où aller sont généralement dirigés vers les camps de déplacés. L'un de ces camps, situé à Aïn Issa, à deux heures de route environ au nord de la ville, rassemble quelque 20 000 déplacés. Chaque jour, des centaines de civils arrivent pour fuir les combats de Deir-Ezzor, où Daesh est pris en étau entre les forces kurdes et le régime syrien. Une pluie de bombes s'abat sur les habitants. Cette femme est arrivée il y a quelques jours avec ses enfants, son mari a été tué dans un bombardement. "Les avions frappent à chaque seconde, chaque minute, ça tombe à tout moment. A peine sorti de la maison, on voit l'avion et on rentre pour se protéger... On ne peut rien faire dehors."
La coalition qui soutient les Kurdes mène de nombreux raids, mais beaucoup de déplacés rencontrés à Aïn Issa accusent le régime syrien et son allié russe. Nasser Ahmed qui vient d'un village au nord de Deir-Ezzor, désigne un coupable : Bachar el-Assad. "Qu'est-ce que je peux penser d'un homme comme ça ? C'est un criminel de guerre ! Il a bombardé nos maisons. Il y a de longues listes de gens qu'il a tué. Des centaines de nos proches sont morts. C'est plus qu'un dictateur !" De nombreux civils assurent que des armes chimiques sont utilisées à Deir-Ezzor.
"Tout est parti en un claquement de doigts"
Si beaucoup des civils d'Aïn Issa viennent de la région de Deir-Ezzor, une grande partie des déplacés viennent de Raqqa. C’est le cas d’Abou Soubi. Sous sa tente, devant un thé, il se souvient de Raqqa sous Daesh, à partir de 2014."Tout était interdit, se souvient l'homme. C'était la terreur. Si je marchais avec ma fille dans la rue, je me faisais arrêter et il fallait que je prouve qui était la personne qui était avec moi...." "Quand on marchait dans la rue, on pouvait voir des corps sans tête, poursuit-il. Pour moi, Daesh, ça n'a rien à voir avec la religion, soupire Abou. Ils ont pris la religion comme moi j'ai pris cette chemise. C'est un gang, je ne sais pas comment ils ont pu se former. Mais le résultat, c'est Daesh."
Voilà quatre mois qu’Abou Soubi vit avec sa famille au camp d’Aïn Issa. Il sait que la libération de Raqqa est proche et pense souvent au jour où il pourra rentrer chez lui, dans sa ville. Il craint que sa maison n’ait été détruite. En visionnant une vidéo de Raqqa aujourd’hui, défigurée par les combats, il dit sa tristesse : "J'aurais préféré ne pas voir cela. Je me sens vraiment triste. Tout ce que nous avons construit, nous et ceux qui nous ont précédés, est parti en un claquement de doigts."
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