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Torturés, massacrés, poussés à l'exode : le martyre des Yézidis d'Irak

Devant l'avancée des jihadistes, des dizaines de milliers de Yézédis, une minorité irakienne, ont dû fuir pour tenter de survivre à l'horreur.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des déplacés yézidis marchent vers la frontière syrienne pour fuir une offensive jihadiste, le 11 août 2014 en Irak. (REUTERS)

Ils parviennent au Kurdistan irakien exténués, les lèvres gercées par le soleil et la soif, le visage couvert de poussière. Les Yézidis qui ont fui une offensive éclair des jihadistes notamment dirigée vers Sinjar, le berceau de cette minorité irakienne, ont dû échapper aux exactions des fanatiques, errer dans les montagnes, survivre à la faim et à la chaleur, se faufiler entre des groupes armés, contourner les zones dangereuses et marcher des dizaines de kilomètres pour sauver leur peau. Francetv info revient sur le calvaire des Yézidis.

Attaqués par les jihadistes

Dans le nord-ouest de l'Irak, près des frontières syrienne et turque, se trouvent les monts sacrés de Sinjar et, sur leurs contreforts, la localité du même nom. Sinjar est la principale ville et le bastion des Yézidis, l'une des plus anciennes communautés du nord de l'Irak. Ils seraient entre 500 000 et 600 000 dans le pays. Les jihadistes de l'Etat islamique (EI), qui ont conquis de vastes territoires en Irak et en Syrie, les considèrent comme des hérétiques. Alors, devant la poussée des insurgés, de nombreux Yézidis sont venus se réfugier dans la région jusque-là tenue par les redoutés peshmergas, les combattants kurdes.

 
 

Mais au petit matin du 3 août, quand les jihadistes se lancent à l'assaut de la ville, les combattants kurdes refluent subitement, selon plusieurs témoignages recueillis par Human Rights Watch. Une attaque éclair qui n'est pas sans rappeler celle de Mossoul, deuxième ville du pays, quand les jihadistes ont mis en déroute l'armée irakienne. A Sinjar, les Yézidis se retrouvent d'un coup sans protection.

Dénoncés par leurs voisins

Quand les jihadistes entrent dans la ville et les villages environnants, ils ciblent les Yézidis. Pour cela, les assaillants sont aidés par certains voisins, selon de nombreux témoignages. "Les pires massacres ont été orchestrés par ceux qui vivaient avec nous, nos voisins musulmans, raconte à l'AFP un vieux Yézidi qui a dû fuir vers le Kurdistan irakien. Les tribus Mewet, Khawata et Kejala, c'étaient tous nos voisins. Mais ils ont rejoint l'Etat islamique, ont reçu des armes et leur ont indiqué qui était yézidi et qui ne l'était pas."

Un jeune homme rencontré dans un camp de réfugiés explique à l'agence : "L'EI a donné le choix aux tribus sunnites : soit vous collaborez avec nous, soit on vous tue. Alors ils ont collaboré." Son propre ami d'enfance a rejoint les jihadistes. "Ça a été un choc. L'EI lui a fait un lavage de cerveau, et il a commencé à leur dire qui étaient les Yézidis. S'ils m'avaient trouvé, j'aurais été exécuté sur le champ."

Massacrés par les jihadistes

On ignore combien de Yézidis ont été tués depuis le début de l'offensive jihadiste. Mais les témoignages sont terrifiants. Libération décrit la "lente agonie des Yézidis". "Des témoins qui ont réussi à fuir à temps racontent des piles de cadavres dans les rues", écrit le quotidien.

Le ministre des Droits de l'homme irakien dit détenir la preuve que 500 Yézidis ont été enterrés vivants. Une députée yézidie affirme que "les gens innocents de Sinjar ont été massacrés". En pleurs, au Parlement irakien, elle parle d'un génocide en cours et implore : "Nous sommes massacrés, notre religion est en train d'être rayée de la surface de la Terre. Je vous en supplie, au nom de l'humanité."

Violés et torturés

Par de discrets appels téléphoniques, des Yézidis retenus par l'Etat islamique dans des mosquées, des écoles ou des prisons parviennent à témoigner de leur situation et appeler à l'aide, rapporte The Daily Beast (en anglais). Ces témoins évoquent des familles fuyant à pied des combattants en voiture ou en camion, des hommes emmenés à l'écart et qui ne reviennent jamais, des femmes violées par plusieurs hommes ou emportées pour être mariées de force. Une Yézidie confie au site avoir arrêté de se débattre quand des jihadistes ont tiré, sous ses yeux, sur une femme enceinte qui refusait de monter dans un camion.

Pour les dizaines de milliers de Yézidis qui ont réussi à atteindre la région plus calme du Kurdistan irakien, l'assaut de l'EI signifie la fin de leur communauté en Irak. Un rescapé confie à l'AFP : "Ils coupaient les poignets des vieillards avec des couteaux, arrachaient les yeux des gens, kidnappaient les femmes, dont deux de mes nièces… Ils font tout pour faire disparaître notre communauté en Irak." Et d'ajouter : "Ils disent que nous sommes des hérétiques. Mais regardez ce qu'ils font. Ce sont eux les hérétiques."

Un chercheur présent dans les environs rapporte avoir parlé avec un homme qui a vu toute sa famille proche, sept personnes, se faire enlever.

D'autres sont restés captifs, sans eau ni nourriture, comme les 500 personnes, cernées, affamées et assoiffées, retenues il y a encore trois jours dans le village de Tel Kucho.

 

Assiégés dans la montagne

 
Toutefois, quand les jihadistes se sont lancés à l'assaut de Sinjar, des dizaines de milliers de personnes sont parvenues à fuir dans les montagnes proches. Mais ce n'était qu'un sursis. Le piège s'est refermé sur elles et des réfugiés sont restés coincés entre leurs bourreaux et les reliefs (que montre bien cette infographie du Washington Post également tweetée par un responsable de Human Rights Watch).
 
 
 

Il y a quelques jours, le Haut Commissariat de l'ONU aux réfugiés avait estimé qu'entre 20 000 et 30 000 personnes étaient bloquées sans eau, sans nourriture et sans abri dans cette région montagneuse désertique, avec des largages de vivres pour seul salut. Des conditions très difficiles, selon un journaliste du Telegraph (en anglais) qui a passé une nuit dans ces montagnes.

Mais ce calvaire devrait bientôt prendre fin. Jeudi, Barack Obama a en effet affirmé que les frappes aériennes américaines avaient brisé le siège des monts Sinjar. Selon le Pentagone, il restait jeudi entre 4 000 et 5 000 Yézidis dans les montagnes, plusieurs milliers d'entre eux ayant réussi à fuir ces derniers jours. Quelques rares familles avaient déjà pu être évacuées par les airs ces derniers jours, comme en témoignent ces images de CNN.

Poussés à l'exil

Seule solution : prendre la route. Il a fallu se faufiler pour s'échapper. Les montagnes étant cernées, les réfugiés ont bénéficié de l'aide de milices kurdes venues de Syrie qui ont ouvert une brèche vers ce pays voisin pour leur permettre de descendre des montagnes. Menacés par les groupes jihadistes omniprésents en Syrie aussi, les Yézidis ont ensuite dû longer la frontière entre les deux pays et atteindre, loin vers le nord, le Tigre et la protection du Kurdistan irakien ou les villes à la frontière turque.


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Cette route a pris le nom de "couloir de Sinjar", explique Le Monde. Mais beaucoup de vieillards et d'enfants sont trop faibles pour parcourir ces 90 kilomètres sous un soleil de plomb.

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