Ce que l'on sait des deux pétroliers en détresse dans le golfe d'Oman
Les équipages d'un tanker et d'un méthanier ont été évacués, au large de l'Iran, après des appels de détresse de l'équipage. Les deux navires auraient été la cible d'une attaque dont l'origine reste inconnue.
Les équipages de deux pétroliers, norvégiens et japonais, ont été évacués jeudi 13 juin, au large de l'Iran. Ils ont émis des appels de détresse après avoir été vraisemblablement la cible d'une attaque dans le golfe d'Oman. Ce nouvel événement, le deuxième en un mois impliquant la navigation dans ce passage maritime, survient à un moment de tensions accrues entre Téhéran et Washington. Voici ce que l'on sait de la situation.
Deux navires norvégien et japonais évacués
Les navires Front Altair et Kokuka Courageous auraient été "attaqués" ce matin dans le golfe d'Oman, près du détroit d'Ormuz, ont fait savoir leur compagnie respective. "Aujourd'hui, 13 juin à 6h03, le Front Altair, navire battant pavillon des Marshall, a été attaqué entre les Emirats et l'Iran", ont précisé les autorités norvégiennes. Ce tanker norvégien de 111 000 tonnes est en flammes et des secours sont sur place, ont précisé les autorités norvégiennes en fin de matinée. "Trois explosions sur le navire ont été signalées, ont-elles ajouté. L'équipage est monté à bord d'un navire qui passait et ne serait pas blessé."
L'agence officielle iranienne Irna a affirmé dans un premier temps que le Front Altair avait coulé, mais le directeur général de la compagnie norvégienne a démenti ces informations. "Je peux confirmer que le navire n'a PAS coulé", a écrit Robert Hvide Macleod dans un SMS. Les 23 personnes qui se trouvaient à bord sont "toutes en sécurité".
Yellow circle indicates position of Front Altair (left) and Kokuka Courageous (Right) pic.twitter.com/MAcdxR9DYh
— Alistair Bunkall (@AliBunkallSKY) 13 juin 2019
Le second navire, le Kokuka Courageous, est un méthanier japonais. Il a essuyé des tirs, mais tout l'équipage a été sauvé après l'abandon du navire, et sa cargaison de méthanol est intacte, a déclaré son opérateur japonais. "Il semble que d'autres navires aient également essuyé des tirs", a déclaré le président de la compagnie. La maison mère du navire a annoncé que le Kokuka Courageous avait été la cible d'un "incident de sécurité" et que les 21 membres d'équipage avaient été secourus par un navire se trouvant à proximité.
Les deux incidents ont eu lieu à une heure d'intervalle à 25 mille nautiques et 28 milles nautiques de Bandar-e Jask, ville située dans le sud de l'Iran.
Pas de preuve formelle "d'attaques" pour le moment, mais des suspicions
Pour le moment, il est impossible d'affirmer qu'il s'agit bien d'attaques : les origines de ces explosions sont encore inconnues. Toutefois, la 5e Flotte américaine basée à Bahreïn a indiqué avoir reçu deux "appels de détresse" tôt dans la matinée émanant de ces pétroliers, affirmant qu'ils auraient été la cible d'une "attaque". A Oslo, les autorités maritimes ont clairement parlé d'une attaque, en rapportant que trois explosions avaient eu lieu à bord d'un pétrolier norvégien. Elles n'ont toutefois pas indiqué qui était à l'origine de ces attaques.
2- Contrairement aux 1ères infos qui ont circulé, rien ne semble pour l'heure accréditer la thèse d'une torpille. Le propriétaire norvégien du 1er navire évoque "3 explosions à bord" sans avancer de cause. L'armateur du 2ème évoque "une brèche au dessus de la ligne de flottaison"
— Franck Genauzeau (@FranckGenauzeau) 13 juin 2019
Des incidents qui interviennent alors que le Premier ministre japonais est en Iran
Téhéran a exprimé ses "inquiétudes" après des "incidents suspects". "Le mot 'suspicieux' ne suffit pas à décrire ce qui transpire apparemment" de ces "attaques" contre des "tankers liés au Japon" survenues au moment même où "le Premier ministre [japonais] rencontrait" le Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a réagi sur Twitter le ministre des Affaires étrangères iranien, Mohammad Javad Zarif.
"Je vois cela comme allant à l'encontre des approches et des efforts régionaux et [internationaux] en vue de réduire les tensions dans la région", a ajouté Abbas Moussavi, porte-parole du ministère des Affaires étrangères iraniennes, assurant que l'Iran soutenait "la coopération et le dialogue dans la région".
La position du Japon est en effet paradoxale : le pays entretient traditionnellement de bonnes relations avec l’Iran, rappelle Le Monde, mais il est aussi un allié-clé de Washington, ennemi de la République islamique. En recevant le Premier ministre japonais, le Guide suprême iranien a ainsi rappelé qu'il rejetait tout dialogue avec le président américain. Donald Trump "ne mérite pas qu'on échange des messages avec lui", a-t-il dit.
Un contexte de tensions dans le Golfe
Ces "attaques" interviennent dans un contexte inflammable, sur fond de tensions croissantes entre Téhéran et Washington autour du nucléaire iranien. Les Etats-Unis ont quitté unilatéralement, en 2018, l'accord de 2015 conclu à Vienne, puis ont rétabli et renforcé des sanctions contre la République islamique. Donald Trump a notamment imposé des sanctions contre "les secteurs du fer, de l'acier, de l'aluminium et du cuivre".
Depuis, les Etats-Unis ne cessent de durcir leur politique à l'égard de l'Iran, au risque de multiplier les tensions au Proche-Orient. Les Américains ont renforcé leurs moyens militaires dans la région, avec notamment l’envoi d’un porte-avions et de missiles Patriot, résume Le Monde.
Le 12 mai, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont, de leur côté, dénoncé des "actes de sabotage" contre quatre navires pétroliers dans le Golfe. Les pays ont attribué ces attaques à l'Iran. En réponse aux pays arabes, Téhéran a menacé à plusieurs reprises de fermer le détroit d'Ormuz par lequel transite 35% du pétrole transporté par voie maritime, et a jugé ces actes "alarmants".
Une conséquence : la hausse brutale des cours du pétrole
Les cours mondiaux du pétrole ont brusquement grimpé dès l'annonce de ces explosions. En début d'échanges européens, vers 8h35 ce jeudi 13 juin, le baril de Brent de la mer du Nord (le baril de référence en Europe) pour livraison en août grimpait de 1,59 dollar (+2,65%) à 61,56 dollars. Le baril de WTI (le baril de référence aux Etats-Unis) pour livraison en juillet montait de 1,20 dollar (+2,35%) à 52,34 dollars. Le Brent et le WTI sont des références utilisées pour négocier des contrats pétroliers. Ils se distinguent par les lieux d’extractions, le raffinage ou encore les lieux d'échange, rappelle le site dailyfx.com.
"Les tensions géopolitiques dans la région s'accroissent et augmentent le risque de perturbations de l'offre à court terme, mais avec les baisses de production de l'Opep et les extractions américaines à des niveaux records, le marché est moins vulnérable à un choc", a nuancé Neil Wilson, analyste chez Markets.com.
Les Etats-Unis accusent l'Iran, qui dément
"Le gouvernement des Etats-Unis estime que l'Iran est responsable des attaques en mer d'Oman." Le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo a accusé l'Iran, ennemi juré des Etats-Unis, de vouloir perturber le marché mondial avec ces "attaques" qui n'ont pas été revendiquées et dont l'origine n'a pas été déterminée.
Pour Mike Pompeo, ces actes "représentent une menace claire pour la paix et la sécurité internationales, une attaque flagrante contre la liberté de navigation et une escalade des tensions inacceptable de la part de l'Iran". En retour, le chef de la diplomatie iranienne Mohammad Javad Zarif a accusé sur Twitter les Etats-Unis "de sabotage diplomatique et de maquillage de son #TerrorismeEconomique contre l'Iran", et son ministère a jugé "sans fondement" les accusations d'une implication iranienne dans les attaques.
Des risques accrus d'un conflit armé, selon des analystes
"Avec ce nouveau type d'attaque, la région connaît une période dangereuse. Toute erreur de calcul (...) risque d'enclencher une spirale vers une confrontation plus directe", a relevé Elizabeth Dickinson, analyste à l'International Crisis Group.
"Il y a un risque croissant de voir les événements se transformer en conflit pur et simple", écrit dans une note Capital Economics, un centre d'études basé à Londres. "Il suffit parfois d'une erreur ou d'une mauvaise communication pour déclencher un conflit plus étendu (...) et la régularité accrue des attaques signifie que ce risque augmente".
Ce risque a été souligné par le roi Salmane d'Arabie saoudite, premier exportateur mondial de pétrole, qui a averti début juin que ce genre d'attaques pourraient menacer l'approvisionnement du marché international en pétrole et par conséquent l'économie mondiale.
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