Syrie : "On imagine que la tentation de faire le ménage sur le site des attaques chimiques présumées est très grande"
Près de deux semaines après l'utilisation présumée d'armes chimiques dans la Ghouta orientale, l'enquête de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) n'a toujours pas pu débuter sur le terrain. Olivier Pick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, estime que c'est pour "des raisons qui semblent fallacieuses".
Ils sont au centre de l'attention internationale. Les agents de l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) sont arrivés depuis plusieurs jours en Syrie, pour mener une enquête sur l'utilisation présumée d'armes chimiques dans la Ghouta orientale, le 7 avril dernier, lors d'une attaque qui a fait 40 morts.
Mais près de deux semaines après cette attaque perpétrée à Douma, les enquêteurs n'ont toujours pas pu commencer leur travail et restent bloqués dans la capitale Damas. Alors l'enquête pourra-t-elle avoir lieu ? Aura-t-elle une chance d'aboutir à des résultats fiables ? Franceinfo a interrogé le spécialiste des armes chimiques Olivier Lepick, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.
Franceinfo : Pourquoi les agents de l'OIAC mettent-ils si longtemps à entrer dans la ville de Douma ?
Effectivement, les inspecteurs mettent énormément de temps, puisqu'ils sont arrivés le samedi 14 avril à Damas pour se rapprocher de Douma. S'ils n'ont pas pu accéder au site, c'est tout simplement parce que les autorités syriennes et russes ne leur ont pas autorisé l'accès, pour des raisons qui semblent fallacieuses et qui ont été dénoncées par les chancelleries occidentales, dont le Quai d'Orsay.
Les Russes et les Syriens invoquent des raisons de sécurité. Mais évidemment compte tenu du contexte et du fait que les autorités syriennes et leurs alliés russes soient les principaux suspects dans cette affaire, on imagine que la tentation de faire le ménage sur le site des attaques chimiques présumées est très grande. Surtout qu'ils occupent le terrain depuis dix jours maintenant. C'est particulièrement suspect. Si vous êtes présumés coupables et que, pour des raisons dont tout le monde sait qu'elles sont fallacieuses, vous interdisez l'accès à la zone à des inspecteurs indépendants, on peut effectivement se demander si vous n'avez rien à vous reprocher. Les raisons de sécurité ne sont absolument pas légitimes, les gens sur place le reconnaissent.
A quelles difficultés vont être confrontés les inspecteurs ?
Chaque jour, chaque heure qui passe depuis l'avènement de cette attaque rend de plus en plus compliquée l'obtention d'échantillons fiables. C'est comme une scène de crime. Il est évident que la police doit arriver le plus vite possible sur les lieux du crime pour obtenir des indices ou des preuves. Or là, on est très très loin de la date de l'événement.
Les traces physicochimiques ou les prélèvements biologiques sur les victimes sont évidemment beaucoup plus complexes à effectuer dix jours après l'attaque chimique présumée.
L'organisme élimine au fur et à mesure l'agent chimique. Pour les morts, on imagine bien que les corps ont déjà été enterrés et ne sont plus accessibles aux enquêteurs.
Olivier Lepickà franceinfo
L'autre difficulté, c'est bien évidemment l'accès total et libre à l'ensemble du site de l'attaque chimique présumée. Mais aussi aux témoignages, aux victimes et à un certain nombre de données que les enquêteurs de l'OIAC vont sans doute demander aux Syriens, comme les plans de vol des hélicoptères, des forces aériennes qui étaient dans l'espace aérien de cette zone le jour de l'attaque. Si les autorités syriennes ne coopèrent pas, ça peut générer des difficultés supplémentaires pour les inspecteurs de l'OIAC.
Que va-t-il se passer si les inspecteurs trouvent des preuves de l'attaque chimique ?
Les échantillons prélevés vont être rapatriés dans leurs laboratoires pour être analysés et l'OIAC publiera des résultats officiels. S'en saisira qui voudra. Si l'attaque chimique est avérée, les membres du Conseil de sécurité demanderont probablement une réunion pour débattre des résultats. Ensuite, il y aura un débat diplomatique sur la nature des mesures à prendre. On pourrait assister au vote d'une résolution condamnant le régime syrien. Eventuellement, des sanctions pourraient être prises... Et pourquoi pas de nouvelles frappes militaires.
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