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Soutenir ou combattre Bachar Al-Assad ? Les frappes françaises en Syrie créent le malaise chez les Républicains

L'intervention française, américaine et britannique menée en Syrie après une attaque chimique présumée divise les rangs des Républicains. Certaines figures historiques du parti de droite grincent des dents en constatant qu'il semble de plus en plus favorable à un rapprochement avec le dirigeant syrien. 

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Laurent Wauquiez, président du parti Les Républicains, le 18 avril 2018, à Paris.  (ERIC FEFERBERG / AFP)

Faut-il soutenir les frappes françaises en Syrie ou profiter de ce dossier brûlant pour défier Emmanuel Macron ? La question divise les rangs de la droite depuis que les Rafale français ont visé, aux côtés des aviations américaines et britanniques, les sites de production d’armes chimiques du régime syrien, dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 avril. 

D'un côté, un camp – mené par les deux anciens ministres de la Défense, Alain Juppé et Gérard Longuet – approuve ces frappes. "Ne rien faire en Syrie, c'était signer l'arrêt de notre impuissance et de notre indignité face aux agissements monstrueux d'un régime criminel", a plaidé Alain Juppé dans un billet sur son blog.

De l'autre, l'état-major du parti, qui émet des critiques sur le bien-fondé stratégique de ces frappes. Avec des éléments de langage similaires, plusieurs cadres des Républicains ont martelé que la lutte contre le groupe Etat islamique doit être l'alpha et l'oméga de la diplomatie française dans la région. "La seule question qui vaille est 'Est-ce que [ces frappes] vont renforcer ou affaiblir les islamistes de Daech ?' Je crains qu'elles ne les renforcent !", a écrit le député Eric Ciotti sur Twitter. Une rhétorique partagée par Bruno Retailleau, le chef de file des Républicains à la chambre haute. 

Je ne vois pas en quoi rajouter la guerre à la guerre puisse faire avancer la paix. Notre ennemi numéro 1, c’est le terrorisme islamique.

Bruno Retailleau

président du groupe LR au Sénat

"Qui est vraiment notre ennemi ?"

Lutter contre le terrorisme au point de faire alliance avec Bachar Al-Assad contre le groupe jihadiste ? Interrogé sur ce point lors d'une interview au "20 heures" de France 2 lundi 16 avril, Laurent Wauquiez n'a pas apporté de réponse claire. "Ce n'est pas ce que je dis", a-t-il seulement affirmé. 

Valérie Boyer, secrétaire générale adjointe du parti et ardente défenseuse des chrétiens d'Orient, se refuse elle aussi à plaider clairement pour un rapprochement avec le dictateur syrien. Interrogée par franceinfo, elle répond par une série de questions. "Qui est vraiment notre ennemi ? Bachar Al-Assad ? Et Erdogan, qui mène illégalement une guerre contre les Kurdes en Syrie, est-il notre ami ? Et Mohamed ben Salmane, le prince d'Arabie saoudite chaleureusement reçu par Emmanuel Macron à Paris alors qu'il mène un massacre au Yémen ? C'est notre ami ?" Avant d'enchaîner : "Personne n'est intervenu pour les chrétiens d'Orient qui se sont fait massacrer ou pour les yézidis qui ont été réduits en esclavage (...). Ce n'est pas la peine de se parer des plumes de l'humanisme, quand notre humanisme est à géométrie variable." 

Une position qui fait grincer des dents certaines figures historiques du parti de droite. Interrogé par franceinfo, un ancien ministre, qui a récemment claqué la porte du parti, s'indigne : 

Ils ne savent plus où ils habitent ! Ils se retrouvent à défendre, sans l'avouer clairement, un type qui massacre sa population avec des armes chimiques.

Un ancien ministre LR

"Avant, on retrouvait seulement ce type de discours chez quelques illuminés qui faisaient copain-copain avec Bachar Al-Assad", lance-t-il en référence à Thierry Mariani, ancien député Les Républicains, qui s'est rendu à plusieurs reprises à Damas pour rencontrer le dirigeant syrien.  

Mariani, défenseur du régime syrien

Retour en novembre 2015. Cinq députés s'envolent pour Damas pour rencontrer Bachar Al-Assad, sans l'approbation du quai d'Orsay. Parmi eux figurent quatre élus Les Républicains : Thierry Mariani, Yannick Moreau, Michel Voisin et Nicolas Dhuicq, passé depuis dans les rangs de Debout la France. L'année suivante, pour le week-end de Pâques, Valérie Boyer suit à son tour Thierry Mariani pour un voyage organisé "en solidarité avec les chrétiens d'Orient". 

Le séjour des députés fait couler beaucoup d'encre. On les accuse de promiscuité avec l'extrême droite. Cette visite est organisée en "collaboration" avec l'ONG SOS chrétiens d'Orient, dans laquelle militent plusieurs membres de l'extrême droite radicale, comme l'expliquait Buzzfeed. Les élus sont aussi accompagnés par Julien Rochedy, l'ex-président du mouvement de jeunesse du Front national. Entourés par de nombreux journalistes, les députés plaident en faveur d'un rapprochement avec le dictateur syrien. "Je n'ai jamais considéré Bachar Al-Assad comme un modèle politique (...) mais aujourd'hui, c'est lui ou personne", affirme alors Thierry Mariani, provoquant, à l'époque, le malaise chez plusieurs cadres du parti. 

Une étonnante activité de défenseur de Damas, que Thierry Mariani continue de pratiquer aujourd'hui. "L'intérêt de la France, c'est que le régime reste et que le chaos ne s'installe pas en Syrie", lance-t-il, mercredi 18 avril, sur le plateau de LCI, avant de remettre en cause la réalité de l'attaque chimique imputée au régime. "Les preuves, c'est du bidon (...). C'est du bluff, tout ça est une farce tragique."

"Un langage ultra"

Cette position, autrefois minoritaire, pourrait-elle s'imposer à la tête du parti ? "Je vois une évolution droitière des Républicains, dans ce dossier comme dans d'autres d'ailleurs, avec un langage ultra auquel on n'était pas habitués chez Chirac, Sarkozy ou Juppé, regrette auprès de franceinfo un autre ancien ministre, qui a lui aussi quitté Les Républicains. Aujourd'hui, avec Wauquiez, il y a une banalisation de cette pensée qui est un peu inquiétante."

Difficile pour les juppéistes, favorables aux frappes françaises, de trouver leur place au sein du parti. "Il y a des opinions différentes, mais je pense, de mon côté, qu'il y a une majorité des élus qui sont favorables à l'intervention, explique à franceinfo François Grosdidier, un proche d'Alain Juppé. Maintenant notre ligne politique est claire et partagée au sein du parti : nous devons montrer aux Russes et aux Syriens qu'on n'accepte pas l'utilisation d'armes chimiques, mais nous devons en même temps être en mesure de travailler avec eux pour éradiquer le groupe Etat islamique." Une véritable position d'équilibriste.

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