Quatre questions pour comprendre à quoi joue la Russie en Syrie
Soupçonnée d'avoir bombardé des hôpitaux dans la région d'Alep, la Russie s'est mise à dos les puissances occidentales et régionales. Francetv info décante la stratégie de Moscou sur le front syrien.
La Russie est engagée dans la coalition internationale contre le groupe État islamique, mais pilonne surtout les rebelles syriens, qui eux-mêmes luttent contre les jihadistes. Moscou condamne aussi violemment la Turquie, qui bombarde les rebelles kurdes, affrontant eux aussi l’EI dans le nord du pays.
S'il est difficile d’y voir clair dans le bourbier syrien, il est encore plus ardu de comprendre la multitude d’enjeux géopolitiques présents dans ce conflit, où la Russie est devenue l’un des principaux belligérants. En répondant à quatre questions essentielles, Francetv info éclaircit la stratégie de Moscou dans la bataille en cours.
Qu’est-il reproché à la Russie ?
Depuis le début de son engagement en Syrie, le 30 septembre 2015, l’armée russe bombarde massivement. Ces frappes se sont encore intensifiées ces dernières semaines. Selon les propres chiffres de Moscou, l'aviation russe a effectué en Syrie 444 sorties aériennes pour frapper 1 593 cibles, rien qu’entre le 10 et le 16 février. Nord-Ouest, Sud, Est : les missiles russes s’abattent sur tout le territoire.
Les Etats-Unis, la France, l’Union européenne : à peu près toutes les puissances occidentales reprochent à la Russie de pilonner le territoire syrien sans se soucier de la présence de civils. Dernier fait en date, le 15 février, le bombardement de plusieurs hôpitaux et écoles à Alep et Idlib, qui a fait près de cinquante morts, dont des enfants. Attribuées à Moscou par l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), les frappes ont notamment détruit un hôpital de Médecins sans frontières.
Surtout, les puissances occidentales accusent Moscou de concentrer ses frappes contre les rebelles, sous couvert d’une intervention contre les jihadistes de l’État islamique. Selon les données régulièrement produites par l'Institut pour l'étude de la guerre américain (ISW), l’immense majorité des missiles russes visent en effet des zones contrôlées par les rebelles, que soutiennent l’Europe et les Etats-Unis, dans leur combat contre l’État islamique et contre Bachar Al-Assad.
Mais quels sont les intérêts russes en Syrie ?
L'objectif de Moscou est clair : maintenir Bachar Al-Assad, son allié historique, à la tête du pays. Le Kremlin continue d’exprimer son soutien indéfectible au régime de Damas et de répéter qu’aucune sortie de crise ne sera possible sans lui.
Si la Russie soutient Bachar Al-Assad envers et contre tous, c’est avant tout parce qu’elle dispose de nombreux intérêts en Syrie. Économiquement, d’abord : Damas a toujours été un client de choix pour le complexe militaro-industriel russe. Et Moscou ne souhaite pas perdre cet allié, comme elle a perdu la Libye de Khadafi – qui était un autre très gros client – en quelques semaines, durant l’année 2011.
“Aujourd’hui, le régime de Damas est en faillite, mais l’industrie russe se sert de la Syrie comme une sorte de showroom grandeur nature, pour montrer la puissance de son armement aux autres acteurs régionaux comme l’Iran, explique à francetv info Cyrille Bret, spécialiste de l’armement et enseignant à Sciences-Po. Des contrats sont en train d’être signés avec Téhéran, en matière de chars et d'arsenal de défense antimissiles.”
On l’aura compris, la Syrie est la chasse gardée de Moscou. C’est aussi dans ce pays que la Russie détient son dernier accès à la Méditerranée, avec le port militaire de Tartous, dans le Sud du pays, où elle possède une base. Gare donc à celui qui voudra faire la loi en Syrie. Depuis que la Turquie a décidé de lancer, samedi 13 février, ses avions de guerre contre les forces kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), qui combattent les jihadistes de l’État islamique dans la région d'Azaz, au nord d'Alep, la tension est extrême entre Ankara et Moscou.
Y a-t-il un vrai risque de confrontation avec la Turquie ?
Moscou et Bachar Al-Assad ont déposé, auprès du Conseil de sécurité de l'ONU, une plainte contre la Turquie après les bombardements dans des zones kurdes. "Ce qui se passe actuellement à la frontière turco-syrienne est totalement illégal, a déclaré Maria Zakharova, la porte-parole du ministère russe des Affaires étrangères, mercredi 17 février. La Turquie bombarde des habitations de l'autre côté de la frontière, envoie des fonds, des personnes et de l'approvisionnement."
De son côté, la Turquie a qualifié les frappes russes de “crimes de guerre”. “Les YPG sont des mercenaires de Moscou (…) S'ils approchent d'Azaz, ils verront notre riposte la plus violente”, a menacé mardi le Premier ministre turc, Ahmet Davutoglu. “Si la Turquie n'était pas membre de l'Otan, une confrontation directe avec la Russie aurait déjà pu avoir lieu”, juge le politologue turc Ahmet Insel dans une interview au Figaro.
C’est en réalité deux jeux d’alliances qui s’affrontent. D’un côté, un “axe chiite”, incarné par Bachar Al-Assad, épaulé par les troupes iraniennes et du Hezbollah libanais, eux-mêmes soutenus par la Russie. De l’autre, les puissances régionales sunnites : la Turquie et l’Arabie Saoudite sont décidées à faire tomber Bachar Al-Assad. Déjà engagées dans la coalition contre l’Etat islamique menée par l’Europe et les Etats-Unis, Ryad et Ankara ont affirmé qu’elles étaient prêtes à envoyer des troupes au sol. "Nous avons glissé dans une période de nouvelle guerre froide", a lancé Dimitri Medvedev, le Premier ministre russe, le 13 février.
Que fait l’Occident face à tout ça ?
Le gouvernement français, les dirigeants européens comme la présidence américaine n’ont de cesse de s'indigner face aux bombardements russes qui ciblent les rebelles et tuent parfois les civils. Mais force est de constater que personne n’est réellement décidé à arrêter Moscou.
Sur Europe 1, Laurent Fabius a souligné les “ambiguïtés” et le manque “d’engagement très fort” des Américains en Syrie. “Quand on écrira l'histoire, on s'apercevra que c'est un tournant, pas seulement dans la crise du Moyen-Orient, mais aussi pour l'Ukraine, la Crimée et pour le monde", a taclé l’ancien ministre des Affaires étrangères.
Aux Etats-Unis, l’administration Obama est aussi largement critiquée pour son manque de leadership en Syrie face au rouleau compresseur russe. L'un des opposants virulents de Barack Obama, le sénateur républicain John McCain, a dénoncé une "diplomatie russe au service d'une agression militaire que, malheureusement, l'administration Obama a favorisée". Dans une tribune publiée dans le Washington Post, les chercheurs Michael Ignatieff et Leon Wieseltier ont de leur côté condamné une "faillite morale de la politique américaine et occidentale en Syrie".
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