"N'hésitez pas à tirer" : des déserteurs racontent la répression en Syrie
Des entretiens avec d'ex-soldats syriens recueillis par Human Rights Watch font état de tortures, de mises à mort, de tabassages de manifestants. Des actes ordonnés par des officiers.
"Il se tenait face à l'ensemble de la brigade et il a dit : 'N’hésitez pas à tirer. Personne ne vous demandera d’explications.'" Les 63 témoignages d'anciens soldats syriens publiés jeudi 15 décembre par Human Rights Watch (HRW) sont édifiants. Ils racontent qu'ils ont eu pour ordre de mettre fin aux manifestations contre le régime de Bachar Al-Assad "par tous les moyens nécessaires", dont la force létale. A travers leurs récits, le rapport de l'ONG décrit les différentes facettes de la répression en Syrie, dont le bilan dépasse les 5 000 morts selon l'ONU depuis mars.
• Des ordres directs de tirer sur les manifestants
Selon de nombreux déserteurs interrogés par l'ONG, des commandants syriens ont ordonné d'ouvrir le feu aveuglément sur des manifestants sans armes. Membre du 35e régiment des forces spéciales, "Amjad" a été envoyé en avril dans la ville de Deraa. Il raconte :"[Le brigadier général] se tenait face à l'ensemble de la brigade et il a dit : 'N'hésitez pas à tirer. Personne ne vous demandera d'explications.'"
"Normalement, nous étions censés économiser les balles, poursuit Amjad, mais cette fois, il a dit : 'Utilisez toutes les munitions que vous voulez.'" "Et lorsque quelqu’un lui a demandé sur quoi nous devions tirer, il a répondu : 'Sur tout ce que vous avez devant vous.' Près de 40 manifestants ont été tués ce jour-là", raconte-t-il.
A Homs, l'épicentre de la contestation, le tireur d'élite "Ameen" explique que ses supérieurs lui donnaient un objectif chiffré de victimes. "Pendant les manifestations, les commandants nous donnaient un nombre précis, ou un pourcentage, de manifestants qui devaient être liquidés. Pour 5 000 manifestants, l'objectif était de 15 à 20 personnes", se souvient-il.
"Wassim", un soldat de la 76e brigade, fait lui le récit d'une exécution sommaire à un poste de contrôle, le 28 avril 2011. "Les manifestants arrivaient de tous les côtés et un homme s'est approché de moi et a lancé : 'Si tu es un homme, tue-moi'. A ce moment-là, un membre des moukhabarats [les services de renseignement syriens] à côté de moi lui a tiré dans l'épaule, à bout portant, et a essayé de l'arrêter", témoigne-t-il. La mère du blessé tente alors de s'interposer. "Un moukhabarat en civil a tiré à bout portant [sur l'homme] et l'a abattu, sous les yeux de sa mère", poursuit le soldat.
• Des mauvais traitements et des actes de torture
Les déserteurs rapportent également des mauvais traitements et des actes de torture sur les manifestants, arrêtés parfois arbitrairement. "Nous avons battu les gens à l'intérieur des bus et dans les centres de détention, se souvient un membre des forces spéciales Hani, avant de détailler : Au centre de détention, nous les avons mis dans la cour et les avons battus au hasard, sans les interroger."
Un ancien membre des moukhabarats, affecté à la base militaire de l'aéroport de Mezzeh, énumère les méthodes employées pour faire parler les prisonniers : coups de bâton, de fouets, pendaison par les mains, décharges électriques sur différentes parties du corps, privation de sommeil, de nourriture et d'eau.
• Des blessés battus à l'hôpital, des ambulances confisquées
Pour mettre fin aux manifestations, les autorités syriennes n'ont pas hésité à s'en prendre aux ambulances et aux hôpitaux. "Nizar", un soldat en poste à l'hôpital militaire de Homs, détaille l'accueil réservé aux blessés. "Les moukhabarats et l'armée amenaient les blessés et les déposaient dans la cour juste à côté des urgences, se rappelle-t-il. Tout le monde commençait alors à les frapper, y compris les médecins et les infirmières."
A l'hôpital de Latakia, le soldat "Faysal" décrit une scène glaçante. "Un civil est amené sur un brancard, avec une balle dans l'épaule. Un membre des moukhabarats a hurlé à l'infirmière qui tentait de l'aider : 'Qu'est-ce qu'il fait là ?!' L'infirmière a répondu que c'était son cousin. Mais le moukhabarat a répondu : 'Et alors ! Laisse-le payer pour ses erreurs!'", rapporte-t-il.
Le lieutenant colonel "Ghassan" raconte comment l'armée utilisait les ambulances pour arrêter les manifestants. "Ils ont confisqué les ambulances pour être sûr qu'elles ne seraient pas disponibles pour ramasser les blessés, décrit-il. C'était aussi plus simple pour arrêter les gens au départ, jusqu'à ce que les manifestants se rendent compte que les ambulances étaient utilisées par les forces de sécurité."
• Human Rights Watch veut poursuivre les donneurs d'ordre
Ces entretiens ont permis à l'ONG d'identifier 74 officiers de l'armée et des renseignements "qui auraient ordonné, autorisé, ou toléré des opérations de grande ampleur de meurtres, de torture, et des arrestations illégales".
"Chacun des officiers identifiés dans ce rapport, jusqu'aux plus hauts niveaux du gouvernement syrien, devraient répondre de leurs crimes contre le peuple syrien", a indiqué Anna Neistat, directrice associée de HRW pour les urgences, pressant le Conseil de sécurité de l'ONU de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de ces cas.
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