Syrie : quatre questions pour comprendre les soupçons sur les frappes russes
Moscou a mené ses premiers raids aériens, mercredi. Mais cette intervention est critiquée, notamment par Washington et Paris, qui accuse la Russie d'avoir bombardé des opposants au régime de Bachar Al-Assad.
L'intervention de la Russie en Syrie n'a pas tardé. L'aviation russe a mené, mercredi 30 septembre, ses premiers bombardements sur le pays. Ils ont été réalisés à la demande du dirigeant syrien Bachar Al-Assad, a indiqué Moscou. Mais cette intervention militaire est décriée, notamment par Washington et Paris, qui accusent Moscou d'avoir frappé les opposants au régime syrien plutôt que les terroristes du groupe Etat islamique. Francetv info revient sur cet imbroglio.
Que disent Moscou et Damas ?
Selon le ministère russe de la Défense, les bombardements ont détruit "des équipements militaires" et des "stocks d'armes et de munitions" du groupe Etat islamique (EI). "Nos avions ont attaqué huit cibles. Toutes ont été touchées, notamment un centre de commandement des terroristes, et ont été entièrement détruites", a-t-il précisé en fin de journée.
Le porte-parole du ministère, Igor Konachenkov, cité par les agences russes, a évoqué "vingt sorties aériennes" effectuées dans la journée. La télévision d'Etat syrienne affirme, elle aussi, que les raids ont pris pour cible "des positions terroristes". Selon la chaîne, les bombardements ont touché les provinces de Hama (nord-ouest) et d'Homs (centre). L'armée syrienne a aussi mené un raid dans la région de Lattaquié (nord-ouest).
"Les raids ont frappé des objectifs avec précision et des drones russes avaient auparavant survolé les secteurs, a précisé une source de sécurité à l'AFP, sans donner de bilan des victimes. Nous tentons d'établir un bilan, mais ce qui est certain, c'est qu'il y a eu beaucoup de morts notamment parmi les chefs terroristes, dans les attaques qui ont visé l'EI."
Pourquoi y a-t-il des doutes sur les cibles touchées ?
Si les Russes ont ciblé plusieurs provinces, il n'en reste pas moins que ces zones sont stratégiques pour le régime de Damas. Et soumises à un fort risque de bavures.
Ainsi, la région de Homs est divisée entre les forces syriennes, l'opposition au régime de Bachar Al-Assad et les jihadistes de l'EI. La capitale éponyme de la province est sous le contrôle de l'armée officielle, à l'exception d'un quartier. Parmi les zones visées, on trouve aussi les localités de Rastane et Talbissé, majoritairement aux mains du Front Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda, et rival de l'EI.
La région de Hama est, elle, majoritairement sous le contrôle du régime, même si l'EI n'est pas totalement absent de la province. C'est surtout les frappes dans cette zone qui posent problème, car on y trouve des zones contrôlées par des groupes affiliés à Al-Qaïda, par l'EI mais également par des rebelles modérés et islamistes.
Pour le politologue libanais Ziad Majed, "les Russes ont choisi ces régions parce que ce sont des zones où le régime de Bachar a subi des défaites. Daesh [acronyme arabe pour l'Etat islamique] n'a aucune présence à Lattaquié et Hama, et a une présence limitée à Homs", a-t-il ajouté.
Qu'auraient touché les bombardements russes ?
Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), les frappes autour de Homs ont surtout visé des centres de commandement du Front Al-Nosra, branche syrienne d'Al-Qaïda, ainsi que des petits groupes rebelles locaux. Les raids contre les localités de Rastane, Talbissé et Zaafarani n'ont tué que cinq combattants contre 27 civils et des dizaines de blessés, assure l'ONG.
Dans la province de Hama, les avions russes auraient frappé un dépôt d'armes de l'armée Al-Izza, un groupe rebelle soutenu par des pays arabes et les Etats-Unis, ainsi que d'autres positions rebelles et d'Al-Nosra.
Mercredi dans la soirée, la Coalition de l'opposition syrienne a dénoncé les raids russes, les qualifiant de "bombardements sauvages sur des positions civiles syriennes (...) qui ont fait des victimes civiles". Un responsable de la Défense civile dans la région de Homs a assuré à l'AFP que "43 civils avaient été tués dont 6 enfants, et qu'il y avait plus de 100 blessés" par les frappes russes sur Talbissé, Rastane, Zaafarana et Makramiyé. Il a, en outre, fait état de plusieurs énormes incendies provoqués par ces raids aériens.
Selon un militant venu au secours des victimes des raids près de Homs, les frappes ont visé les civils : "Plus de 50 maisons ont été totalement détruites par les raids aériens sur Talbissé, où 22 personnes ont été tuées." Le bombardement de Rastane a visé, selon lui, un marché de légumes et de fruits et tué 8 personnes dont 4 enfants.
Comment réagit la communauté internationale ?
Les frappes russes ont suscité de vives critiques, notamment à Washington et à Paris. Pour le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, il y a "des indications selon lesquelles les frappes russes n'ont pas visé Daesh". Il "faudrait vérifier quels étaient les objectifs", a-t-il précisé.
"Ce n'est pas sur Daesh qu'ils [les Russes] ont frappé, c'est sans doute sur les groupes d'opposition, ce qui confirme qu'ils sont davantage dans le soutien au régime de Bachar Al-Assad que dans la lutte contre Daesh", a renchéri une source diplomatique française sous couvert d'anonymat.
Les doutes de Paris sont partagés par les Etats-Unis. Les frappes russes ne visaient probablement pas l'EI, a déclaré le chef du Pentagone, estimant que l'initiative russe en Syrie était "vouée à l'échec".
"Nous avons dit clairement que nous aurions de sérieuses inquiétudes si la Russie devait frapper des zones où il n'y a pas d'opérations de l'EI et de [groupes] affiliés à Al-Qaïda", a renchéri John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, lors d'une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU. Mais "si les dernières actions de la Russie et celles en cours sont le reflet d'un engagement authentique pour vaincre cette organisation [l'EI], alors nous sommes disposés à accueillir favorablement ces efforts", a-t-il concédé.
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