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Avant le Brexit,le non de de Gaulle au «Brentry»,entrée de Londres dans l’Europe

La Grande-Bretagne est devenue membre de la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’Union européenne (UE) en 1973. Par deux fois, en 1963 et en 1967, la France avait refusé cette adhésion par la voix du général de Gaulle. Explications.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le général de Gaulle à la télévision le 31 décembre 1962 (AFP)

Pour le général, la question était visiblement importante. Le 14 janvier 1963, il y consacre plus de 20 minutes (sur un total de 82 minutes) lors de sa conférence de presse, entouré de son gouvernement et salué à son arrivée par les journalistes debout. A son habitude, il va droit au but. «Les sentiments, si favorables qu'ils puissent être ou qu'ils soient, ces sentiments ne sauraient être invoqués à l'encontre des données réelles du problème» (27’01), explique-t-il d’emblée. Les «sentiments», c'est-à-dire «ce que l’Angleterre (sic) a fait à travers les siècles dans le monde» (43’18), son rôle pendant les deux guerres mondiales du XXe siècle, ne viendront qu’à la fin de l’intervention présidentielle…


De Gaulle rappelle que la Grande-Bretagne a demandé à adhérer «suivant ses propres conditions» (33’44). Un élément qui trouve un écho dans les négociations d’aujourd’hui entre Londres et Bruxelles…
 
Mais les choses ne sont pas aussi simples, rappelle le locataire de l’Elysée. «L'Angleterre (…) est insulaire. Elle est maritime. Elle est liée par ses échanges, ses marchés, ses ravitaillements aux pays les plus divers, et souvent les plus lointains. Elle exerce une activité essentiellement industrielle et commerciale, et très peu agricole. Elle a dans tout son travail des habitudes et des traditions très marquées, très originales. Bref, la nature, la structure qui sont propres à l'Angleterre diffèrent profondément de celle des continentaux» (34’01).

Conclusion logique : Albion doit changer. «Il est possible qu'un jour, l'Angleterre parvienne à se transformer elle-même suffisamment pour faire partie de la Communauté européenne sans restriction, sans réserve» (38’56)… Un jour qui n’est visiblement pas encore venu. La candidature britannique devra donc attendre.

«Rapports particuliers avec l’Amérique»
Le 16 mai 1967, nouveau refus français, toujours lors d’une conférence de presse. Sur une intervention d’une durée de 72 minutes, l’ancien chef de la France libre consacre au sujet plus d’une demi-heure. Cette fois, le contenu de l’intervention est plus technique. Mais il n’en est pas moins d’une redoutable franchise.


De Gaulle constate que les obstacles à franchir pour une adhésion britannique restent «formidables» (56’30). Et de dramatiser l’enjeu : «Faire entrer l'Angleterre dans la Communauté, sans qu'elle soit astreinte aux règlements agricoles des Six, c'est détruire ce règlement là, c'est le faire éclater. Et par conséquent, rompre, c'est rompre l'équilibre du Marché Commun tout entier» (58’37). 

Le général insiste à nouveau sur les «obstacles». En une phrase typiquement gaullienne, tout est dit : «Par comparaison avec les motifs qui ont amené les Six à organiser leur ensemble, on comprend très bien pour quelle raison l'Angleterre, qui n'est pas continentale, qui en raison, à cause de son Commonwealth, et de sa propre insularité, est engagée au lointain des mers, qui est liée aux Etats-Unis par toutes sortes d'accord spéciaux, l'Angleterre n'ait pas pu se confondre avec une Communauté aux dimensions déterminées et aux règles rigoureuses» (54’17). 

Un peu plus loin, il insiste sur «les rapports particuliers de l’Angleterre, des Britanniques, avec l’Amérique» (64’12). En clair, (la perfide ?) Albion, détachée de l’Europe, ne serait qu’un cheval de Troie des Etats-Unis… En l’intégrant, «à quoi alors aboutirait-on, sinon, peut-être à la création d'une zone de libre échange de l'Europe occidentale, en attendant la zone atlantique, laquelle ôterait à notre continent sa propre personnalité» (69’03). Et ce alors que le chef de l’Etat va répétant que «la France entend avoir en propre sa défense nationale», «impératif catégorique» «pour un grand peuple».
 
De Gaulle en profite pour égratigner les Britanniques qui «assument encore, croient devoir assumer encore des obligations spéciales dans diverses régions du monde, ce qui les distingue fondamentalement des Occidentaux». On notera au passage le «croient devoir»… Une critique assez piquante quand on se souvient de la conception gaullienne de la «grandeur» de la France…

Pour autant, 19 mois plus tard, au sommet des Six à La Haye en décembre 1969, Paris lève son véto. Il faut dire qu’entre temps, Charles de Gaulle a été remplacé (aux élections de juin 1969) par Georges Pompidou. Des négociations vont alors s’engager entre les deux parties. Et trois ans plus tard, la Grande-Bretagne intègre la CEE en compagnie du Danemark et de l’Irlande.

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