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Essais nucléaires : ces îles qui réclament toujours réparation

Le président français François Hollande, qui a achevé son déplacement en Polynésie française le 22 février 2016, était attendu sur la question de l’indemnisation des victimes des essais nucléaires. L’Etat français n’est pas le seul à qui populations civiles et vétérans demandent des comptes et surtout des compensations depuis des années. A Paris, Londres ou Washington, les réponses diffèrent.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 10min
Explosion nucléaire dans l'atoll de Mururoa en 1971 (AFP PHOTO)

En Polynésie française où a séjourné François Hollande jusqu'au 22 février 2016, les associations de victimes des essais nucléaires conduits à Mururoa souhaitaient que Paris admette les conséquences de son programme nucléaire. C'est chose faite. «Je reconnais que les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires», a affirmé le président français. Cependant la question de l'indemnisation reste problématique. 



Le flou français
Pendant quatre décennies, la France n’a pas admis les liens de cause à effet sur la santé des personnes exposées à la radioactivité lors de ses tests, souligne-t-on sur le site de l'Organisation du Traité d'interdiction complète des essais nucléairese (CTBTO). Il faudra attendre novembre 2008 pour qu'un projet de loi soit évoqué. Objectif: permettre d’indemniser ceux qui ont développé des maladies suite aux essais effectués en Algérie et en Polynésie. 

En janvier 2009, la France consacre ainsi 60 millions d'euros (80 millions de dollars américains) pour la réhabilitaion de l’atoll d’Hao, en Polynésie française, base arrière de son programme nucléaire. La même année, le 25 mars, le ministère de la Défense octroie une enveloppe de 10 millions d’euros (13,5 millions de dollars) aux victimes. 

Quant à la loi (baptisée Morin), finalement votée en 2010, elle est considérée comme restrictive. Notamment à cause de la notion de «risque négligeable» dans le cas de l'indemnisation. François Hollande a promis une révision le 22 février 2016. A ce jour, rapporte Reuters citant le réseau Sortir du nucléaire, «seules 19 personnes, dont à peine cinq Polynésiens, ont pu bénéficier d'une indemnisation».

Pour ce qui est de la rente annuelle versée à la Polynésie française (Dotation globale d'autonomie ou dette nucléaire) depuis l'arrêt des essais en 1996 en guise de réparation, elle sera «sanctuarisée dans le statut (de la Collectivité d'Outre-Mer)», a affirmé François Hollande. «Fixée à 150 millions d'euros en 1996, elle chuterait à 84 millions d’euros en 2016», indique Reuters. Mais son niveau devrait être «rétabli à 90 millions» en 2017. 



L'indifférence des Britanniques
L'Etat français n'est pas le seul à avoir des positions ambiguës. Voilà des années que le Royaume-Uni ne se reconnaît aucune responsabilité particulière en la matière. Plusieurs victimes civiles ou militaires ont été déboutées à l'issue d'actions judiciaires où elles réclamaient d'être indemnisées pour avoir été exposées à des radiations.

Avec la bénédiction de l’Australie, Londres a conduit jusqu'en 1958 des essais nucléaires sur les territoires australiens de Maralinga, Emu Field et Monte Bello (entre 1952 et 1957), puis sur l'île Christmas (Kiritimati) et l'île Malden ( République des Kiribati) dans l'Océan Pacifique (1957-1958). Des militaires britanniques, australiens, fidjiens et néo-zélandais ont pris part à ces opérations, notamment sur l'île de Christmas. 

Les premières demandes de compensation émergent en octobre 1986 auprès du gouvernement australien, indique le CTBTO. Cette année-là, l’Etat australien versera 500 000 dollars australiens (330. 000 dollars américains). Par ailleurs, il consacrera 108 millions de dollars (71 millions de dollars) à la décontamination des sites de Maralinga et d'Emu entre 1996 et 2000.

De même, dans les années 90, les autorités australiennes ont notamment versé aux populations indigènes de l’île de Maralinga 13,5 millions de dollars australiens (8,5 millions de dollars américains) pour les avoir déplacées. Les Aborigènes Maralinga-Tjarutja rentreront en possession de l'intégralité de leurs terres en 2014. Les touristes ont d'ailleurs la possibilité de visiter les anciens sites nucléaires.

Les autorités judiciaires australiennes ont, elles aussi, débouté à maintes reprises les victimes des essais nucléaires. En 2010, l’organisation de défense des droits des aborigènes (Aboriginal Legal Rights Movement) introduit une action en justice contre le gouvernement britannique. Leurs avocats soulignent, entre autres, que si les populations blanches des régions concernées par les tests nucléaires ont été prévenues, rien n'a été fait du côté des indigènes. La démarche judiciaire des Aborigènes se soldera par un échec. Quant aux vétérans néo-zélandais, ils se tourneront vers la Cour européenne des droits de l'Homme en 2013, après avoir échoué à obtenir gain de cause devant les tribunaux du Royaume-Uni. 

La justice britannique donnera néanmoins raison en 2013 à des vétérans anglais exposés aux radiations des essais nucléaires au terme d'une bataille judiciaire de quatre ans contre le ministère de la Défense. C'est la première fois que des victimes des tests du Royaume-Uni recoivent une réparation financière (sous forme de pension de guerre), explique The Mirror.  En mars 2015, le gouvernement britannique annonce une provision de 25 millions de livres dans son budget 2015 en faveur de ses vétérans, y compris ceux de son programme nucléaire. A ces exceptions près, Londres n'a quasiment jamais versé d'indemnités aux victimes de ses tests. Excédé, le gouvernement fidjien avait même fini par dédommager  en janvier 2015 ses militaires ayant participé aux essais de 1958. Tout comme l'avait fait la Nouvelle-Zélande en 1990 et en 2000.  

L'engagement américain
Contrairement aux Britanniques, les Etats-Unis ont pris très vite des mesures compensatoires même si elles s'avèrent insuffisantes. Washington a conduit 67 essais nucléaires entre 1946 et 1958 dans les atolls de Bikini et d'Enewetak dans les îles Marshall (Océan Pacifique). Les populations de ces îlots seront évacuées mais l'essai de Castle Bravo (1er mars 1954) contaminera les atolls de Rongelap, Utrik et celles inhabitées à l'est et au sud-est de Bikini. Les habitants de cette dernière atoll seront déplacées à plusieurs reprises, le plus souvent dans des mauvaises conditions jusqu'à ce qu'ils soient définitivement exilés en 1978 sur d'autres territoires des îles Marshall.  Au début des années 80, les Marshallais intentent plusieurs actions en justice contre l'Etat américain et ils continuent toujours à réclamer réparation. 

L'entrée en vigueur, en 1986, de l'accord d'association libre (Compact of free association), signé entre les Etats-Unis et les Marshall, ne vient résoudre qu'une partie du problème. Car le Congrès américain reconnaît alors le sacrifice des Marshallais au regard des conséquences du programme nucléaire de Washington et établit un fonds de 150 millions de dollars (Nuclear Claims Trust Fund, NCT) dont les intérêts sur quinze ans doivent permettre d'atteindre la somme 270 millions. Il a pour objectif de faciliter le suivi médical et l’indemnisation des habitants des atolls les plus impactées (Bikini, Enewetak, Rongelap et Utrik). Des compensations additionnelles seront versées dans le cadre du NCT, notamment pour les trente-trois années d’exil des habitants Enewetak sur l’atoll Ujelang.

Le fonds servira à indemniser les victimes jusqu'à épuisement de ses ressources, et voire au-delà. Il ne couvre pas pour autant toutes les demandes de réparation. En 2000, les îles Marshall réclament au congrès américain des indemnisations supplémentaires.


Le combat des îles Marshall
Un rapport du Congrès américain publié en 2005 note alors que l’Etat américain aurait versé 531 millions de dollars aux îles Marshall depuis 1954 dans le cadre de son programme nucléaire. Un groupe d’anciens habitants de l’île de Bikini saisira la justice américaine en 2006. Elle leur oppose une fin de non-recevoir confirmée par une décision de la Cour suprême en 2010. Aujourd'hui, les natifs de Bikini demandent l'asile aux Etats-Unis à cause du réchauffement climatique. Ejit et Kili, les autres îles de l'archipel des Marshall, où la plupart ont trouvé refuge sont régulièrement inondées, explique Le Vif.  

En 2012, suite à la publication d'un rapport des Nations Unies sur les conséquences des essais en termes de droits humains pour les îles Marshall, les Etats-Unis réaffirment leur engagement à soutenir l'archipel. Toutefois, aucune suite n'a été jusqu'ici donnée à la nouvelle demande d'indemnisation introduite en 2000.

Désormais en croisade contre les puissances nucléaires, les autorités marshallaises ont déposé plainte devant la Cour internationale de justice des Nations Unis en 2014. Elles accusaient neuf pays de violer le droit international en matière de désarmement nucléaire. L'institution entamera des auditions en mars 2016 pour seulement trois pays, à savoir ceux qui la reconnaissent (l'Inde, le Pakistan et la Grande-Bretagne).  

Source IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire)


Source : site du CTBTO

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