Cet article date de plus de neuf ans.

Législatives britanniques : "L'UE a toujours exercé un pouvoir de répulsion au Royaume-Uni"

Si les conservateurs remportent les élections de jeudi, David Cameron a promis la tenue d'un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne. La perspective d'un "Brexit" est-elle crédible ? Pas si sûr, selon Agnès Alexandre-Collier, spécialiste du système politique anglais.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
"Qui dirige vraiment ce pays ?" L'affiche de campagne du Ukip, lors des européennes de mai 2014.  (LUKE MACGREGOR / REUTERS)

Et si un vote en cachait un autre ? Alors que les élections législatives au Royaume-Uni se tiendront le jeudi 7 mai, David Cameron, le Premier ministre conservateur, a promis la tenue, d'ici à 2017, d'un référendum sur le maintien de son pays dans l'UE, si son camp l'emporte lors des élections.

La promesse date de janvier 2013. Une façon de satisfaire son camp et le Ukip, parti europhobe et populiste qui a remporté les élections européennes de 2014. Depuis, le locataire du 10 Downing Street se fait volontairement flou autour de cette question. Car la possibilité d'un "Brexit" (British exit) inquiète. Son adversaire travailliste, Ed Miliband, Européen convaincu, en fait d'ailleurs un argument de campagne. 

La perspective d'un "Brexit" est-elle crédible ? Francetv info a posé la question à Agnès Alexandre-Collier, professeure en civilisation britannique à l'université de Bourgogne et auteure de La Grande-Bretagne eurosceptique ? L'Europe dans le débat politique britannique (Ed. du Temps). 

Francetv info : Comment expliquer le décalage entre les préoccupations des Britanniques et le fait que l'UE soit un enjeu de campagne ?

Agnès Alexandre-Collier : Il y a un réel clivage entre les électeurs et les partis politiques. Lorsque nous observons les études sur les enjeux qui comptent pour les Britanniques, on constate que l'Europe arrive en bas de liste derrière les questions économiques, l'éducation, l'immigration, l'identité nationale... Ce n'est pas une préoccupation importante ou prioritaire. 

En revanche, les partis se positionnent constamment sur l'UE. C'est, de ce point de vue-là, un enjeu crucial. Parce que c'est à la fois un facteur de division entre les partis, mais aussi un facteur de clivage à l'intérieur des grands partis, notamment chez les conservateurs. Et, on le voit avec le Ukip, c'est aussi une question assez importante pour engendrer un nouveau parti. Celui-ci s'est en effet fondé sur la revendication d'une sortie de l'UE.

On a le sentiment que David Cameron est pris au piège de sa promesse de référendum...

Oui, David Cameron essaie de ne pas trop en parler après en avoir fait un facteur assez clivant dans le débat public britannique. Le Premier ministre est empêtré dans son engagement. Il a fait cette promesse pour satisfaire le camp conservateur qui le réclamait depuis des générations. Avec le temps, le parti conservateur s'est rajeuni, le groupe parlementaire s'est féminisé et a intégré de plus en plus de minorités ethniques. Parallèlement, ces élus conservateurs deviennent de plus en plus eurosceptiques.

Et Cameron n'arrive pas à gérer cette tension entre d'un côté ce que réclame sa base et de l'autre son statut de Premier ministre et la position de son pays par rapport à ses partenaires européens. Il y a là un grand écart très douloureux pour Cameron. S'il est reconduit à son poste, il va devoir affronter cette situation et tenir sa promesse. Mais lui ne souhaite pas que son pays sorte de l'Union européenne. Quelle attitude adoptera le parti conservateur s'il y a référendum ? En faveur de la sortie ou du maintien du Royaume-Uni au sein de l'UE au vu de ses divisions ? C'est une énigme... 

Si un référendum est organisé, les électeurs britanniques seront-ils forcément interrogés sur le maintien ou non de leur pays au sein de l'UE ?

Pas forcément, en effet. Ce que veut Cameron, c'est renégocier les termes de l'adhésion de son pays à l'UE. Mais pas sortir de l'Union. La question qui sera posée aux Britanniques jouera un rôle important : elle pourrait porter sur des compétences à attribuer ou non à l'UE, sur quelque chose de pas forcément très précis... Cela sera un jeu d'adresse délicat. On ne sait pas ce qui va passer d'ici à 2017, et cela va créer un climat d'incertitude.  

Que pensent les Britanniques d'un "Brexit" ?

Quand on analyse les sondages, on constate que les Britanniques n'arrivent pas à se positionner sur le maintien de leur pays au sein de l'UE. Ils expriment au départ un euroscepticisme plus ou moins prononcé. Mais, en fonction de la formulation de la question qui leur est posée [Etes-vous favorable à un maintien du Royaume-Uni au sein de l'UE ? La Grande-Bretagne irait-elle mieux si elle quittait l'UE ? Un Brexit aurait-il des conséquences favorables sur l'économie et l'emploi ? etc.], il n'y a qu'un faible pourcentage de personnes vraiment disposées à quitter l'UE. Les choses peuvent évidemment évoluer. Mais, si le référendum devait se tenir demain, les Britanniques resteraient finalement [56% des Britanniques se disent partisans du maintien de leur pays dans l'UE, contre 36% qui préféreraient en sortir, selon un sondage Ipsos d'octobre 2014], ce qui révèle une certaine ambiguïté de leur part. 
 
Pour l'instant, cela reste très abstrait. L'opinion publique, pragmatique, attend les résultats des élections qui vont déterminer la suite. Les conséquences vertigineuses d'un "Brexit" expliquent  les importantes fluctuations des sondages. L'une des grandes difficultés, ce sont les conséquences économiques, notamment pour La City et pour les partenaires économiques et commerciaux du Royaume-Uni. En raison de leurs lourdes craintes, David Cameron ne pourra pas ou très difficilement faire campagne en faveur d'une sortie de l'UE. Ces craintes ont déjà été exprimées d'ailleurs.
 
Comment expliquer l'euroscepticisme britannique ?
 
Il y a plusieurs explications culturelles, historiques, géographiques... Aujourd'hui, on peut dire que la crise économique (en particulier à partir de 2008) s'est traduite de manière significative en Grande-Bretagne. Il y a aussi un réflexe identitaire qui se tourne contre l'Union européenne, comme il y a une crispation autour de l'immigration. Mais l'UE a toujours exercé un pouvoir de répulsion au Royaume-Uni. Il y a un fond nationaliste, une forme d'exceptionnalisme britannique qui est stimulé constamment par la presse. La presse populaire joue un rôle fondamental dans la façon dont les débats s'articulent. La presse de Murdoch [The Sun, The Times...] a beaucoup d'influence dans l'opinion publique. L'enjeu européen est constamment mis en avant pour expliquer un certain nombre de problèmes économiques et sociaux, pour donner une justification, comme une sorte de bouc émissaire.

L'euroscepticisme a vraiment toujours existé, pas forcément depuis Margaret Thatcher, qui est souvent présentée comme la "mère spirituelle" de l'euroscepticisme. Les tensions les plus aiguës autour de l'UE remontent au traité de Maastricht, en 1992. Le texte a été ratifié au bout de dix-huit mois et a engendré des divisions irréparables au sein du parti conservateur. Celui-ci s'est transformé, il en a fait son cheval de bataille et s'est rendu compte que l'euroscepticisme plaisait à ses électeurs. Alors il s'est radicalisé, en devenant de plus en plus eurosceptique. 

Mais l'impact de ces tensions autour de l'Europe ne s'est pas limité aux conservateurs...

Absolument. A partir de ces années, l'euroscepticisme et l'ensemble des partis politiques se sont positionnés sur cette question. Le parti travailliste est aussi divisé par la question européenne, mais il a réussi dans les années Blair à atténuer son positionnement. Et le Ukip a réellement émergé aussi au début des années 1990. Ce groupe de pression en faveur d'un retrait du Royaume-Uni de l'UE est devenu un parti politique et est entré au Parlement européen lors des dernières élections. Le Ukip est en quelque sorte une anomalie parce que c'est un parti populiste qui fait figure d'outsider dans la grande tradition parlementaire et libérale britannique. Cela explique que ce parti pose des problèmes aux partis traditionnels, ils n'arrivent pas vraiment à se positionner par rapport à lui, c'est particulièrement le cas des conservateurs. 

Après la crise de 2008, les quelques partis pro-européens, comme les Libéraux-démocrates, se sont mis à adopter un discours de plus en plus critique vis-à-vis de l'UE. Aujourd'hui, on a donc un euroscepticisme très majoritaire au sein de l'opinion et des partis politiques. Mais l'opinion publique adhère mollement, sans vraiment s'intéresser à cette question.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.