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L’héritage du conflit en Ulster rattrape Gerry Adams

Alors que son parti, le Sinn Fein, est en campagne pour les Européennes, Gerry Adams vient de faire quatre jours de garde à vue, dans le cadre de la réouverture de l’enquête sur l'assassinat de Jean McConville en décembre 1972 en Irlande du Nord. Cette affaire remet en perspective la nécessité d’un travail de réconciliation entre les deux camps.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Belfast, en Irlande du Nord, le 3 mai 2014: des partisans de Gerry Adams, le chef de file du Sinn Fein, appellent à sa libération.  (AFP PHOTO / PETER MUHLY)

Jean McConville avait été torturée puis abattue d’une balle dans la nuque (un acte qualifié par le journaliste irlandais Paul Williams «d’acte de barbarie emblématique»), avant d’être enterrée dans un endroit secret par l'Armée Républicaine Irlandaise. L’IRA la soupçonnait, à tort, d'informer les forces de sécurité britanniques. La dépouille de cette veuve, mère de dix enfants, âgée de 37 ans le jour de sa mort, avait été retrouvée sur une plage en 2003, soit onze ans plus tard. L'IRA n'avait admis le meurtre qu'en 1999.

Acteur de la construction de la paix en Ulster, Gerry Adams, qui a toujours nié avoir appartenu à l'IRA, a été accusé par d’anciens camarades d'implication directe dans l'enlèvement, l’assassinat et l'enterrement de Jean McConville. Ce qu’il dément formellement.

Adams, acteur d'une paix encore fragile
Cette affaire constitue l'une des pages les plus noires des «Troubles» (autre nom donné au conflit nord-irlandais qui a duré 30 ans, de 1968 à 1998) dans la province britannique. Et remet en avant la problématique de la réconciliation, dont le président du Sinn Fein (il a pris la tête de l'aile politique de la défunte IRA en 1983) se veut la figure emblématique pour les catholiques nord-irlandais.

Bien que détesté de beaucoup de protestants loyalistes pour ses liens avec l'IRA, Gerry Adams, 65 ans, est celui qui a réussi à faire déposer les armes à l'organisation paramilitaire catholique. Il a négocié l'accord de paix du Vendredi Saint, scellé en 1998 entre les communautés catholique et protestante d’Ulster, province britannique aujourd'hui dirigée par un gouvernement biconfessionnel.
 

Une partie de la famille McConville peu avant décembre 1972. (FAMILY HO / HELEN MCKENDRY / AFP)

Mais malgré la résolution du conflit, un problème demeure. Celui de «l'incapacité des communautés à évaluer précisément tous les crimes commis pendant la période des Troubles, que ce soit par l'IRA, les groupes paramilitaires protestants ou les forces de sécurité britanniques», précisait le 2 mai 2014 Courrier International, reprenant un article du Financial Times. En vertu de l’accord de 1998, «toute personne reconnue coupable de crimes dans le cadre d'organisations paramilitaires a pu bénéficier d'une libération anticipée de prison. En revanche, rien n'a été prévu pour les suspects en cavale, qui peuvent encore être arrêtés et restent passibles de poursuites», dit encore l’article.

Des familles de victimes veulent savoir
En février 2014, la police nord-irlandaise a entraîné une levée de boucliers après avoir envoyé des lettres à d’anciens membres du Sinn Fein dans lesquelles il était précisé qu’ils ne seraient plus arrêtés en rapport avec des crimes commis à cette époque, selon Courrier International. Deux mois plus tard, l’ancien secrétaire d’Etat pour l’Irlande du Nord, le Britannique Peter Hain, a relancé la polémique. Il prônait une amnistie pour les auteurs de crimes dans la période précédent 1998.
 
Anne Cadwaller, dans le New York Times, replace l’affaire McConville dans son contexte historique et analyse ses répercussions : «Des centaines de familles cherchent encore à savoir pourquoi leurs proches ont été tués, et qui était responsable.» Selon la journaliste, la question divise les familles des républicains nationalistes et celles des unionistes, loyalistes pro-britanniques. Les premières demandent un droit à la vérité pour tous. Les secondes estiment que les enquêtes doivent impliquer les seuls auteurs de meurtres d’innocents.

Anne Cadwaller pense qu’aujourd’hui encore, il «n'y a pas de processus cohérent, équitable ou indépendant» sur lequel les victimes peuvent s’appuyer. Et qu’elles sont obligées «de recourir à des moyens juridiques existant» pour se faire entendre.
 
La foule célèbre, le 15 juin 2010 à Londonderry, les conclusions du rapport Saville, qui a fait la lumière sur le «Bloody Sunday». (AFP PHOTO / POOL / Paul foi)

Un premier pas avait été fait dans le sens du rétablissement de la vérité, le 15 juin 2010. Ce jour-là, Londres avait reconnu la responsabilité de ses soldats dans la répression sanglante qui avait fait 14 morts, le 30 janvier 1972, lors du Bloody Sunday. Et ce, alors même qu’une première enquête avait blanchi l’armée de toute responsabilité. Le Premier ministre d’alors David Cameron avait également adressé ses excuses aux victimes.
 
«On peut dorénavant proclamer au monde que les morts et les blessés du Bloody Sunday… étaient innocents, abattus par balles par des soldats à qui on a fait croire qu'ils pouvaient tuer impunément», avait déclaré Tony Doherty, dont le père figurait parmi les morts. Ce jour funeste représente aux yeux des nationalistes irlandais l’arbitraire de l’ennemi britannique. «La tragédie avait provoqué un point de non-retour dans le conflit, en précipitant de nombreux jeunes volontaires dans les rangs de l’IRA», avait écrit Rue89
  


Gerry Adams, qui a permis au Sinn Fein de devenir la deuxième force politique en Irlande du Nord, est sorti libre de sa garde à vue, sans qu’aucune charge n’ait été retenue contre lui dans le meurtre de Madame McConville. Toutefois, le procureur pourrait encore décider qu’il a assez de charges pour le poursuivre ultérieurement.
 
On le voit, ces derniers événements ont fait remonter à la surface la gestion de l'héritage d’un conflit qui a fait 3500 victimes. La conclusion revient à l’Express selon qui «savoir s'il faut traquer les coupables ou sacrifier la quête de justice sur l'autel de la paix est une question qui risque d'empoisonner les débats pendant de longues années encore en Irlande du Nord». 

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