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Témoignages Au Royaume-Uni, des Britanniques "malades" de ne plus pouvoir héberger de réfugiés ukrainiens

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale au Royaume-Uni
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Lisa Saper héberge Olena Matiash depuis le mois de juin 2022, mais elle ne pourra plus leur offrir d'hébergement à partir de mai. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)
Après un an de conflit, l'effort collectif pour accueillir des Ukrainiens contraints de quitter leur pays faiblit. Selon le gouvernement, plus de 3 000 familles se retrouvent aujourd'hui sans logement outre-Manche.

Après des au revoir chargés d'émotions, Dana Karabinenko et ses deux enfants ont quitté la région de Bury Saint Edmunds (Royaume-Uni) et leur famille d'accueil britannique. Cette réfugiée ukrainienne est partie, dimanche 29 janvier, pour rejoindre Londres et un avenir incertain. "Dana tentait de faire rentrer toutes ses affaires dans une seule voiture", sourit Michelle, qui a hébergé pendant sept mois ces déplacés de la guerre en Ukraine. "Tout le monde a pleuré. C'était très dur de laisser les enfants sans savoir où ils allaient."

>> REPORTAGE. Guerre en Ukraine : à Londres, faute de solutions d'hébergement, des réfugiés "n'ont nulle part où aller"

Lundi matin, après une première nuit dans le salon d'une amie ukrainienne réfugiée à Londres, Dana est arrivée avec une grande valise noire dans un "council" de la capitale – une administration locale au Royaume-Uni – afin de se déclarer sans-abri. Ses enfants, âgés de 7 et 12 ans, portaient leurs affaires sur le dos. "Je me sentais terriblement mal", lâche Michelle.

"Je sais que j'ai fait tout ce que j'ai pu, mais j'espérais quelque chose de différent pour eux. Ils ont besoin de stabilité."

Michelle, une Britannique ayant accueilli Dana, une réfugiée ukrainienne

à franceinfo

Michelle craint que Dana et ses enfants rejoignent les quelque 3 000 foyers ukrainiens sans logement au Royaume-Uni, selon le gouvernement britannique. Près d'un an après le début de l'invasion russe qui a poussé 158 800 Ukrainiens à s'exiler au Royaume-Uni, selon les chiffres de l'ONU*, ces milliers de déplacés se retrouvent sans domicile fixe outre-Manche, après avoir été hébergés par des familles britanniques ou des proches ukrainiens.

Dana et ses enfants dans un "council" de Londres (Royaume-Uni), le 31 janvier 2022. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

"Personne n'a de chambres à Londres"

"C'est un risque important, et c'est un risque qui prend de l'ampleur", prévient Adis Sehic, chercheur au sein de l'ONG Works Rights Centre et coauteur de rapports sur l'accueil des Ukrainiens au Royaume-Uni. "Certaines familles accueillant ces Ukrainiens comptaient sur le fait qu'on leur avait demandé de les héberger pour six mois, pas indéfiniment. Des familles ne peuvent plus se permettre de les héberger plus longtemps." Dans un contexte de forte inflation, l'aide mensuelle de 350 livres (392 euros) accordée aux Britanniques pour accueillir ces réfugiés ne suffit plus. 

A leur arrivée outre-Manche, de nombreux exilés ukrainiens ont été hébergés grâce à un vaste effort collectif. En août, plus de 250 000 ménages s'étaient portés volontaires pour accueillir des réfugiés sous leur toit, un programme nommé "Homes for Ukraine" ("Des maisons pour l'Ukraine"). Michelle et son mari, qui vivent dans une grande bâtisse de la campagne du comté de Suffolk, ont ainsi laissé leur suite parentale à Dana et sa fille tandis que le fils de l'Ukrainienne dormait dans une autre chambre. Dès le départ, "nous nous étions mis d'accord pour six mois", souligne Michelle, qui décrit malgré tout "une expérience très positive"

A l'approche du mois de février, Michelle a bien tenté de trouver un logement à Bury Saint Edmunds pour Dana et ses enfants. Mais la réfugiée ukrainienne a préféré partir vers la région de Londres, où une amie et davantage d'opportunités professionnelles l'attendaient. "J'ai contacté tous mes amis londoniens en quête d'une nouvelle famille d'accueil, ou pour savoir s'ils avaient des chambres, des appartements disponibles. Personne n'a cela à Londres", déplore la Britannique. Mardi, son invitée ukrainienne avait obtenu sept jours dans une chambre d'hôtel de Wimbledon au sud de Londres. Un hébergement d'urgence, prolongé quelques jours plus tard d'une semaine. "A mon sens, Dana n'était pas prête pour ces défis." 

"Je n'ai pas cet argent"

Dans le quartier résidentiel de Hornsey, dans le nord de Londres, les gratte-ciels de la capitale mondiale de la finance apparaissent au loin, cachés derrière une étendue de maisons aux briques ocres. C'est ici, au domicile de Lisa Saper, qu'Olena Matiash et ses deux enfants ont enfin posé leurs valises en juin. L'Ukrainienne et son fils dorment dans la chambre de la fille de Lisa, aux étagères remplies de livres et de jouets. L'aînée d'Olena a sa propre chambre, dont le désordre fait sourire l'hôte et son invitée originaire de Kharkiv. Les deux femmes ne cessent de rire ensemble, malgré l'obstacle de la langue. 

Lisa Saper (à droite), Olena Matiash et son fils, le 31 janvier 2022 dans le nord de Londres (Royaume-Uni). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Lisa Saper, dont le grand-père était ukrainien, n'a pas hésité une seconde quand la guerre a éclaté. Après l'accueil des premières semaines, "un travail à plein temps" pour la Britannique, les mois suivants "ont été assez faciles, jusqu'à récemment", confie l'ancienne salariée de la Bourse de Londres. Sa fille, dont les photos habillent les murs de la cage d'escalier, vit à New York et compte rentrer en mai.

"Je suis dans cette situation impossible où, si je veux que ma fille dorme dans sa propre chambre, cela signifie qu'Olena et ses enfants doivent trouver un logement. Je dois faire un choix entre ma fille et mes invités, et cela me rend malade."

Lisa Saper, une Britannique accueillant Olena, une réfugiée ukrainienne

à franceinfo

Depuis la mi-janvier, la recherche d'un logement est un deuxième "travail à plein temps", souffle Lisa, exaspérée. "Je me disais que ce ne serait pas si difficile, mais c'est impossible." La Britannique, qui cherche "partout dans le nord de Londres", dit avoir envoyé des messages pour plus d'une centaine d'appartements. Elle ne voit que des biens se louant entre 2 000 et 4 000 livres par mois, un montant inconcevable pour Olena, bénéficiaire de 1 000 livres (1 121 euros) d'allocations, et payée seulement dix livres de l'heure pour 18 heures hebdomadaires de lessives. "Elle a besoin d'un garant, mais je n'ai pas cet argent", poursuit Lisa Saper. Les nombreux documents requis, des preuves de solvabilité aux recommandations, sont un frein supplémentaire dans cette recherche, sans compter le manque de logements sociaux dans la quatrième ville la plus chère au monde, selon l'organisation ECA International*. 

"Nous avons les options suivantes : leur trouver un logement, ce qui est de moins en moins probable ; le retour en Ukraine, ce qui n'est pas une option ; ou partir de Londres, mais ils ne connaissent personne ailleurs."

Lisa Saper, une Britannique accueillant Olena, une réfugiée ukrainienne

à franceinfo

"J'aime énormément Olena, mais si j'avais su en mai ce que je sais maintenant, je n'aurais jamais suggéré à sa famille de venir à Londres", poursuit la Britannique. Pour des hôtes comme Lisa, la difficulté la plus courante est "l'incertitude sur ce qui arrivera à leurs invités après la fin de l'hébergement", reconnaît une enquête du gouvernement britannique*. 

"Aider autant que possible" 

À Sutton, dans le sud de Londres, Halyna Boyarski s'apprête à conduire Yanina au travail après avoir préparé scones et en-cas traditionnels de l'Ukraine. Son mari, Serguey, joue avec la petite Sofia, la fille de Yanina. Le couple sexagénaire, installé au Royaume-Uni depuis près de vingt-cinq ans, a accueilli depuis le début du conflit 13 Ukrainiens, dont Yanina, sa fille et son mari Dima. Des réfugiés arrivés grâce au programme "Homes for Ukraine" et au "Ukraine Family Scheme", une mesure permettant l'accueil de membres de sa famille forcés à l'exil depuis un an. Une nièce arrivera bientôt à Sutton. "Nous avons décidé d'aider, autant que possible", résume Serguey.

Halyna Boyarski (à droite) accompagnée de Yanyna et Dima, des Ukrainiens membres de sa famille qu'elle a hébergés pendant six mois, le 30 janvier 2022 à Sutton (Royaume-Uni). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Les Boyarski, après avoir hébergé la famille de Yanina pendant six mois, sont parvenus à leur trouver un nouveau logement dans les environs, une maison de trois chambres partagée avec un autre couple. L'aide d'un ami agent immobilier a été vitale. Cinq autres amis ukrainiens, hébergés à leur tour par le couple, ont finalement fait marche arrière, quittant Sutton pour retrouver l'ouest de l'Ukraine. 

"Ils voulaient rentrer, mais ils savaient aussi qu'il serait très difficile de trouver un logement et de payer pour ce logement."

Halyna Boyarski, une Ukrainienne résidant au Royaume-Uni

à franceinfo

En ce début de semaine, Halyna se prépare à rendre visite à sa sœur, qui accueille désormais une cousine d'abord logée par le couple de Sutton. Avec le programme "Ukraine Family Scheme", ces résidents ukrainiens au Royaume-Uni se battent pour accueillir autant de proches que possible, dans des conditions toutefois plus difficiles. Contrairement à "Homes for Ukraine", ceux qui hébergent leurs proches ne bénéficient d'aucune aide financière outre-Manche.

Une distinction qui multiplie les risques de perte d'hébergement, alerte Works Right Centre*. "Ces personnes voulaient faire rapidement sortir leurs proches de l'Ukraine. Ils n'ont pas de soutien financier, et il y a davantage un risque de logement surpeuplé", souligne Adis Sehic. Ce manque de soutien a en effet eu un impact sur les finances d'Halyna et Serguey, sur fond d'explosion du coût de la vie au Royaume-Uni. "Les factures sont montées en flèche. Nous ne sommes pas riches, nous devons continuer de travailler pour les payer. Je redoute ma prochaine facture d'eau", décrit Halyna. Combien de temps pourront-ils encore tenir ? "Tant que la guerre continuera", promet-elle.

* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des pages en anglais.

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