Alep : trois conséquences de la chute de la ville
Près d'un mois après la violente offensive lancée contre les rebelles, les forces du régime syrien sont sur le point de reprendre le contrôle d’Alep, la deuxième ville du pays. Mais la fin de la crise est encore très loin, expliquent plusieurs spécialistes interrogés par franceinfo.
Des civils qui fuient, qui se cachent ou qui meurent dans les décombres. Alep est devenu un champ de ruines que le monde observe, horrifié. L'offensive lancée par le régime il y a un mois a tué ou blessé plus de 5 000 personnes, selon l'Observatoire syrien des droits de l'Homme. Alep va retomber aux mains du pouvoir, c'est une certitude. Mais ce n'est toujours pas le point final d'une crise qui devrait encore durer plusieurs années, selon les spécialistes interrogés par Franceinfo.
La rébellion a définitivement perdu
Quatre ans que les rebelles tenaient Alep-Est. C'était devenu le bastion symbole de leur bataille contre le régime. Mais ils l'ont perdu. Leurs dernières poches de résistance ne représentaient plus, mardi 13 décembre à la mi-journée, que "deux ou trois kilomètres carrés environ, calcule François Burgat, directeur de recherche au CNRS. C’est donc une question d'heures ou de jours", avant un "écrasement total" de la rébellion présente dans la ville.
Fabrice Balanche, spécialiste de la géographie politique de la Syrie, va même plus loin. "On peut désormais le dire, l’opposition a perdu. Alors oui, il reste 150 000 rebelles en armes à travers le pays." Mais trop tard, "ils n’ont pas été capables de représenter une alternative militaire et politique crédible. Ils ne changeront plus la donne, c’est un combat d’arrière-garde qu’ils mènent désormais", poursuit celui qui voit dans la bataille d'Alep "un tournant dans le conflit, comme Stalingrad l’a été" lors de la seconde guerre mondiale.
Le régime de Bachar Al-Assad est renforcé
Rue après rue, quartier après quartier. L'armée syrienne s'attaque depuis un mois à la reprise d'Alep, la deuxième ville du pays. C’est important "symboliquement" et "stratégiquement", explique Fabrice Balanche. "Sans Alep, Bachar el-Assad était une sorte de demi-président de la Syrie. Avec Alep dans sa besace, il est de nouveau président à 100 %."
Parce qu'Alep, "ce n'est pas rien". Avant le début du conflit en 2011, la ville était l'un des poumons économiques du pays. "C'est la capitale industrielle de Syrie et la principale plaque tournante pour le commerce agricole", expliquait d'ailleurs Jihad Yazigi, rédacteur en chef du bulletin économique en ligne The Syria Report, cité par Le Monde, en 2012.
Maintenant qu'Alep est en train de lui revenir, le régime peut se vanter de contrôler les cinq principales villes de Syrie avec Damas, Hama, Homs et Lattaquié. Pour autant, François Burgat refuse de parler de victoire. "C’est une fausse victoire. Parce qu'elle a été acquise grâce au soutien russe et iranien." Comme pour ne pas oublier que "la crise syrienne n’est plus syrienne depuis longtemps", il rappelle que "la Russie a offert au régime un soutien dans les airs mais également au sol. Il était totalement disproportionné avec celui que les occidentaux, les Turcs et les monarchies pétrolières ont un temps apporté à ses opposants."
Le pays reste encore à réconcilier
Dans le chaos actuel, personne ne semble en mesure d'avancer un nombre précis de victimes dans cette ville qui comptait plus de 2 millions d'habitants. Depuis le début de l’offensive du régime il y a un mois, les bombardements n’ont jamais cessé. Combien de civils se cachent en attendant le calme ? Combien sont-ils à avoir fui ? Combien sont-ils à avoir péri ? Impossible encore de faire le bilan précis de "ce massacre", appuie François Burgat. L'urgentiste Raphaël Pitti décrit à franceinfo "des exactions et des exécutions sommaires", "des enfants brûlés", rapporte celui qui a soigné des civils et formé du personnel sur place. "Cela a commencé par l’hôpital Al-Hayat où des gens, qui fuyaient les zones attaquées, ont pénétré à l’intérieur de l’hôpital, poursuivis par des hommes du régime. Ils ont été massacrés à l’intérieur de cet hôpital."
Une fois les armes posées au sol, il sera alors compliqué de cicatriser toutes les plaies. François Burgat craint le pire. "On s’achemine vers une situation où la réconciliation sera extrêmement difficile, voire impossible. (...) Les survivants du drame n’auront pas la moindre envie de participer à un processus de reconstruction", prédit l'auteur de Pas de printemps pour la Syrie, aux éditions La Découverte.
Fabrice Balanche ne croit pas en l'hypothèse d'une partition du pays, longtemps évoquée. "Au contraire ! En reprenant Alep, Assad empêche la division du pays." Le géographe, qui s'est rendu plusieurs fois sur place, a déjà un scénario en tête. Il pense que des négociations vont avoir lieu, "comme il y en a autour de Damas, dans les villes qui ont expulsé les rebelles et qui sont rentrées dans le rang". Il évoque des populations "exténuées par cinq ans de conflit" qui ne veulent "que la paix", "peu importe qui est au pouvoir", "quelqu'un qui ramène la sécurité le plus vite possible". Et cet homme, "c’est encore Bachar el-Assad".
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