: Grand entretien Présidentielle en Russie : "Ce sera l’élection la moins transparente de l’histoire de la Fédération de Russie", déplore le président d'une ONG
L’élection présidentielle russe, qui débute vendredi 15 mars, va permettre à Vladimir Poutine de repartir pour un nouveau mandat de six ans. Les sondages officiels lui prédisent un score de près de 80% qui sera obtenu pour partie en ayant recours à la fraude, estime Stanislav Andreïtchouk. Le coprésident de l’ONG Golos, classée "agent de l’étranger" en Russie, a dû fuir son pays.
Son organisation, qui observe les élections en Russie depuis la fin de l’URSS, ne sera pas autorisée cette année à envoyer des observateurs indépendants dans les bureaux de vote. Mais certains signaux indiquent que le pouvoir russe pourrait falsifier massivement les résultats du scrutin pour assurer une réélection triomphale au maître du Kremlin.
Franceinfo : La fraude électorale est-elle systématique en Russie ?
Stanislav Andreïtchouk : Les fraudes sont très importantes, traditionnellement en Russie. Il s'agit de violations à la fois le jour de l'élection et pendant la campagne électorale. Avant l’élection, il s’agit d’abord de l'inégalité des droits entre les candidats. Si vous voulez devenir candidat, vous pouvez vous voir refuser votre inscription à tout moment sur la base d'arguments totalement inventés. Le jour du vote, les gens peuvent être tout simplement forcés de se rendre dans les bureaux de vote, et parfois contraints de voter pour un candidat sous la menace d'un licenciement ou d'une perte de primes. Il y a de très nombreuses façons de faire pression sur les gens. Si vous regardez, par exemple, les dernières élections fédérales de 2021, selon diverses estimations, de 15 à 18 millions de votes ont été falsifiés. Cela représente environ un tiers ou peut-être même la moitié de ce que le parti vainqueur a obtenu lors de cette élection. Quoi qu'il en soit, il s'agit d'un chiffre absolument gigantesque.
Cette année le pouvoir a encore restreint les possibilités de contrôle citoyen sur le vote.
Ce sera plus difficile à surveiller. Au cours des six dernières années les possibilités d'observation ont été considérablement réduites au niveau législatif. Aujourd'hui, le seul moyen de se rendre dans un bureau de vote est de devenir observateur pour l'un des candidats. Il n'y a que quatre candidats. C'est le plus petit nombre dans l'histoire des élections russes. Et ils ne veulent pas vraiment envoyer d'observateurs dans les bureaux de vote. Cela ressemble un peu à une conspiration des candidats pour empêcher les gens de surveiller l'élection. Il y a aussi le vote électronique. Il va s’appliquer dans certaines régions qui représentent 40 % des électeurs russes. Il est impossible de contrôler le vote en ligne, car personne n'a vu le code du système. Il faut donc croire ou ne pas croire les chiffres qui s'affichent sur les écrans. Et la pratique montre qu'il vaut mieux ne pas les croire.
Le vote électronique avait été décrié lors des dernières législatives. L’opposition estimait qu’il avait permis des fraudes massives dans certaines villes.
Il s'agit clairement d'une stratégie et elle est mise en œuvre de manière très active. Les gens sont en fait contraints de voter par voie électronique. Diverses institutions, les entreprises publiques et même certaines sociétés commerciales dépendent de l'État. Il existe dans ces structures un plan qui prévoit le nombre de personnes à inscrire au vote en ligne. La direction oblige les gens à le faire. Le vote en ligne est introduit principalement dans les régions où l’opposition est la plus forte. Vous ne verrez pas de vote en ligne en Tchétchénie, au Tatarstan ou dans toute autre région où les résultats sont totalement falsifiés et où il est impossible d'ajouter quoi que ce soit. En Tchétchénie, le taux de participation est de 99 % et les 99 % votent toujours pour le pouvoir. Le vote électronique est déployé dans les grandes villes, Moscou, Novossibirsk, Ekaterinbourg ou Irkoutsk. Ces régions sont toutes très problématiques pour les autorités.
On va également voter dans les territoires ukrainiens annexés par la Russie.
Ce sont vraiment des territoires particuliers. La procédure de vote y est quelque peu différente et elle est encore plus opaque que dans le reste du pays. Les commissions électorales peuvent y être constituées sans tenir compte de l’avis des partis. Bien entendu, personne n'y envoie d'observateurs. Ce n'est pas sûr. Le vote a déjà commencé là-bas, il se déroule très tôt. Sans véritable contrôle. Il est possible de voter là-bas, par exemple, non seulement avec un passeport russe, mais comme les habitants peuvent ne pas avoir ce document, ils les ont donc autorisés à voter avec des passeports ukrainiens ou avec des passeports des Républiques de Lougansk et Donetsk non reconnues. Cela contredit directement la législation russe. Il s'agit de territoires étranges où même les lois russes ne s'appliquent pas vraiment. Personne n'a la moindre idée de la manière dont le vote se déroule dans ces régions.
Le pouvoir a donc tout fait pour rendre cette élection la plus opaque possible ?
Oui, et on le ressent au travers de la pression exercée sur les électeurs et les observateurs. Le 17 août dernier, sept mois exactement avant l'élection présidentielle, mon collègue Grigory Melkonyants a été arrêté. Il est le coprésident du mouvement Golos. Les charges retenues contre lui sont liées à l'observation des élections. Ainsi, le principal observateur du pays observera le déroulement du vote depuis son centre de détention provisoire. En outre, nous constatons que même les informations officielles sont cachées aux électeurs. Cela relève de l'absurde. Par exemple, nous aurons des caméras vidéo dans un plus grand nombre de bureaux de vote, mais vous ne pourrez pas en regarder les images. La commission électorale centrale va publier les résultats officiels du scrutin sur son site web. Mais si vous voulez copier ces données du site et les coller, par exemple, dans un tableau pour les traiter, cela ne fonctionne pas. Ces données sont cryptées. En effet, il s'agit de l'élection la moins transparente de l’histoire de la Fédération de Russie.
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