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Pourquoi Vladimir Poutine est devenu le "super-héros" de l’extrême droite européenne

En Europe, le président russe fascine les militants et les formations de droites radicales. Franceinfo tente d'expliquer ce magnétisme.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vladimir Poutine sur un cheval, le 3 août 2009, dans les montagnes sibériennes. (ALEXEI DRUZHININ / SIPA)

Du FPÖ autrichien, à Viktor Orban, l’autoritaire Premier ministre de la Hongrie, en passant par l’alt-right américaine qui a soutenu Donald Trump, toutes les formations d’extrême droite semblent séduites par Vladimir Poutine. D’après les révélations du Canard enchaîné, publiées mercredi 21 décembre, un parlementaire américain craint une ingérence de Moscou dans les élections en Europe et réclame une enquête sur les liens entre le président russe et Marine Le Pen. Selon l’élu américain, le Front national aurait demandé un prêt de 30 millions d’euros au dirigeant russe. Proximité idéologique ou intérêts financiers ? Franceinfo tente de comprendre pourquoi Vladimir Poutine est devenu le "super-héros" de l’extrême droite.

Parce qu'il fait figure d'homme fort

Historiquement, la culture du chef est centrale dans les formations d'extrême droite. Le Front national de Marine Le Pen, ou l'engouement qu'a suscité Donald Trump chez ses soutiens les plus radicaux, en sont des exemples contemporains. Et dans cette mise en scène de l'homme fort, Vladimir Poutine fait figure de maître. "Il incarne la puissance d'un gouvernement centralisé, qui réussit à régner sur un territoire extrêmement étendu. Cela parle évidemment à l'extrême droite", explique Jean-Yves Camus, directeur de l'Observatoire des radicalités politiques à la Fondation Jean-Jaurès.

Une scène issue d'un documentaire, diffusé sur France 5 il y a plusieurs années, a été récemment exhumée par les militants proches de l'extrême droite française sur les réseaux sociaux. On y voit Vladimir Poutine, Premier ministre à l'époque, forcer les propriétaires d'une cimenterie à signer un accord pour éviter des licenciements. Un véritable exercice d'intimidation, vu comme une leçon de courage politique.

Parce qu'il incarne des valeurs conservatrices

Vendredi 23 décembre, Vladimir Poutine va donner sa douzième conférence de presse. Une messe de plusieurs heures, lors de laquelle le président russe choisit lui-même les journalistes qui l'interrogent. Lors de cet évènement, le chef d'État a pour habitude de rappeler son attachement aux valeurs conservatrices qui, selon lui, forment le terreau de la nation russe.

"Vladimir Poutine défend explicitement des valeurs antilibérales, explique Olivier Schmitt, professeur en sciences politiques à l’université du Danemark du Sud. Il dit assez clairement son opposition à la démocratie libérale, à l’égalité des citoyens devant la loi, aux droits des minorités ethniques, religieuses ou sexuelles. Autant de combats fondamentaux pour l’extrême droite."

Autre explication de l'admiration qu'il suscite : son rapport à l'histoire nationale qu'il entretient dans le pays. "Dans la société russe, il n’y a pas cette idée répandue en Occident selon laquelle nous devons faire le tri dans notre passé et nous repentir par rapport à certains épisodes nationaux douloureux. La Russie prend son passé en bloc. Le sentiment de grandeur nationale imprègne l’ensemble de la société." C'est précisément ce que préconisent les discours identitaires européens, qui s'indignent de l'autoflagellation dont feraient preuve les responsables politiques, notamment à propos de l'esclavage ou de la colonisation. En 2014, le maire FN de Villers-Cotterêts (Aisne), Franck Briffaut, avait par exemple refusé de commémorer l'abolition de l'esclavage, en dénonçant "un esprit de culpabilisation".

Parce qu'il défie les Etats-Unis et l'Union européenne

En Europe ou aux Etats-Unis, les formations d'extrême droite partagent des idéaux communs : elles dénoncent une "mondialisation" qui aurait pour conséquence d'appauvrir les citoyens et de confisquer leur souveraineté. En s'opposant directement aux forces de l'Otan sur le conflit syrien ou à l'Union européenne sur le dossier ukrainien, Vladimir Poutine fait, là encore, figure d'exemple à suivre. "La Russie représente un projet géopolitique fascinant pour ces formations. Elle est le principal acteur du monde multipolaire que souhaitent ces partis", analyse Jean-Yves Camus.

Bien qu'isolé sur le plan international après l'annexion de la Crimée en 2014, Vladimir Poutine n'a pas cédé aux sanctions européennes. "Elles ont obligé la Russie à développer ses capacités dans certains secteurs pour approvisionner son propre marché intérieur, notamment dans l’agriculture. Quand on ne peut plus importer, il y a deux solutions. Soit la population meurt de faim, soit on peut compter sur son propre secteur agricole. C’est ce qu’il s’est passé en Russie." Un argument qui permet aux formations d'extrême droite de conforter leurs discours économiques protectionnistes.

Parce qu'il affirme combattre l'islamisme

Pour justifier sa campagne militaire en Syrie, le discours du Kremlin consiste à présenter la Russie comme la seule armée luttant efficacement contre les groupes terroristes à l'œuvre dans le pays. Cet argumentaire, massivement relayé par les sites pro-russes comme Russia Today, fait mouche chez les militants de droite radicale. “Dans l’imaginaire d’extrême droite, la Russie, considérée comme blanche et chrétienne, est présentée comme un des derniers remparts contre l’invasion islamiste menaçante”, explique Olivier Schmitt.

"Ces militants sont persuadés que la Russie est le seul pays qui traite l’islamisme de façon radicale, et ce, depuis la fameuse phrase de Vladimir Poutine à propos des Tchétchènes : 'on ira les buter jusque dans les chiottes'", continue Jean-Yves Camus. Ces mots, qui avaient déjà marqué les esprits lorsqu'ils ont été prononcés il y a 17 ans, ont trouvé un regain de popularité après les attentats du 13-Novembre. Sur les réseaux sociaux, ils ont été massivement repris par les militants de l’extrême droite française, pour fustiger les difficultés de l'exécutif à lutter contre le terrorisme.

Parce qu'il peut les soutenir financièrement

Journalistes et enquêteurs ont révélé des liens financiers entre le Kremlin et différentes formations d'extrême droite européenne. Un parlementaire américain affirme que le Front national chercherait à contracter un prêt de 30 millions d'euros auprès de la Russie. En 2014, Mediapart avait révélé que le parti de Marine Le Pen avait déjà bénéficié d'un emprunt russe de neuf millions d'euros. 

La France n'est pas le seul pays dans ce cas. En Bulgarie, la formation d’extrême droite Ataka, dont le leader Volen Siderov a fait polémique pour ses propos antisémites, est très proche de Vladimir Poutine. D’après des câbles diplomatiques révélés par le site d’informations Bivol (en bulgare) et WikiLeaks, le parti aurait reçu des fonds de la part de Moscou, comme l'explique Slate. Autant d'éléments qui font craindre aux élus républicains américains une ingérence de Moscou dans certaines élections européennes, rapporte le Wall Street Journal.

Pour Jean-Yves Camus, cette place de prêteur qu'occupe Moscou n'est que la conséquence d'une proximité idéologique. "Une erreur assez générale est commise en affirmant que les droites radicales sont proches de la Russie parce qu’elle leur prête de l’argent, explique-t-il. Cet engagement financier n’est que la conséquence, parce qu'il y a d'abord une adhésion de ces partis à ce que la Russie représente."

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