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Comment Vladimir Poutine est passé de chef des services secrets à indéboulonnable dirigeant au cœur de l'année 1999

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Vladimir Poutine se présente pour un quatrième mandat de président de la Russie, le 18 mars 2018. (BAPTISTE BOYER / FRANCEINFO)

A la tête du pays depuis plus de dix-huit ans, le président russe se présente pour un quatrième mandat, dimanche. Franceinfo raconte son ascension fulgurante et son accession au pouvoir.

Il a déjà passé dix-huit ans au pouvoir. Vladimir Poutine brigue un quatrième mandat de président de la Russie, dimanche 18 mars. Un scrutin qu'il devrait remporter sans difficulté : il était crédité de 69% des intentions de vote, lundi, selon le dernier sondage de l'institut russe VTsIOM.

Mais comment ce fils d'ouvrier, né en 1952 à Saint-Pétersbourg, est-il parvenu au pouvoir ? Tout s'est joué en 1999, au terme de six mois mouvementés qui ont vu un ancien officier du KGB, les services secrets soviétiques, gravir à grande vitesse les échelons du Kremlin.

Procureur et prostituées

Vladmir Poutine entame son ascension éclair en mars 1999. A l'époque, Boris Eltsine est en difficulté. Le président russe, alcoolique et victime de plusieurs crises cardiaques, souffre d'une image désastreuse auprès de la population. Son Premier ministre, Evgueni Primakov, mène un combat contre la corruption qui menace "la famille", les proches du chef d'Etat. Plusieurs d'entre eux sont visés par une enquête ouverte par le procureur général de Russie : la société Mabetex leur aurait versé des pots-de-vin pour obtenir le chantier de rénovation du Kremlin et la construction de luxueuses résidences.

Le clan Eltsine décide de faire appel au jeune directeur du FSB, qui a remplacé le KGB, pour enterrer l'enquête. Son nom ? Vladimir Poutine. Le quadragénaire dirige les services de renseignement depuis moins d'un an. Mais son efficacité et sa discrétion ont séduit l'entourage du président, qui croit pouvoir facilement le manipuler.

Vladimir Poutine rencontre le président Boris Eltsine au Kremlin, à Moscou (Russie), le 27 juillet 1999. (AFP)

Vladimir Poutine ne déçoit pas. Le 23 mars, il se présente à la télévision et dévoile la vidéo d'un homme qui "ressemble au procureur général", en pleine action avec deux prostituées, relate Vladimir Fédorovski dans Poutine, l'itinéraire secret. Un scandale qui discrédite le magistrat et son enquête, rapidement oubliée. Vladimir Poutine grimpe un premier échelon. Il est nommé à la tête du Conseil national de sécurité, ce qui lui garantit le contrôle de toutes les questions stratégiques, militaires et de sécurité intérieure.

Le parfait poulain

Reste à éloigner la véritable menace pour "la famille" : Evgueni Primakov. Le Premier ministre compte se présenter à l'élection présidentielle, prévue en juin 2000. S'il l'emporte, le clan Eltsine est certain de perdre tous ses privilèges. Résultat : Primakov est démis de ses fonctions, en mai, et remplacé par le terne Sergueï Stepachine. L'ancien chef du gouvernement continue toutefois de bénéficier d'une forte popularité ainsi que du soutien de comités locaux et du maire de Moscou. Valentin Youmachev, conseiller et futur gendre de Boris Eltsine, suggère au président de trouver un "jeune premier" pour le concurrencer, rapporte Vladimir Fédorovski dans L'Express.

Vous avez un adversaire nationaliste : prenez un successeur plus nationaliste ; vous avez un adversaire proche du KGB : prenez encore plus de KGB ; vous avez un adversaire en bonne santé : prenez un jeune et en meilleure santé.

Valentin Youmachev, conseiller de Boris Eltsine

Vladimir Poutine est le parfait poulain. Mais le patron du FSB ne veut pas du poste de Premier ministre que lui propose Boris Eltsine. "C'est un destin trop dur", rétorque-t-il. Boris Berezovski, homme d'affaires proche du président, est chargé de le convaincre. Début août, l'oligarque s'envole pour Biarritz à bord un jet privé, rapporte Sud Ouest. Vladimir Poutine est en vacances sur la côte basque, avec sa femme et ses deux filles. Un déplacement payant puisque lors d'une courte entrevue, Boris Berezovski parvient à le faire changer d'avis.

Le "tsar Eltsine" nomme donc son cinquième Premier ministre en dix-sept mois. Dans un premier temps, Vladimir Poutine semble loin d'avoir la carrure, note L'ExpressLors d'une interview conjointe avec Boris Eltsine, le nouveau Premier ministre décroche difficilement plus de deux mots à la suite. "Comment vous sentez-vous ?" lui demande le président. "Combatif", répond Vladimir Poutine, le visage impassible. Seules ses lèvres bougent lorsqu'il s'exprime. Le journaliste chargé de conduire l'entretien peine à le faire parler. Il finit par tenter une question sur les sports préférés de l'ancien espion. "La lutte et le judo", lâche Vladimir Poutine, avant de s'enfermer à nouveau dans son mutisme.

Des Tchétchènes qui tombent à pic

Jusqu'ici inconnu du grand public, le nouveau Premier ministre ne dispose que de 5% d'opinions favorables. La série d'attentats qui frappe la Russie à la fin de l'été va changer la donne. Une bombe explose au cœur de Moscou, le 31 août, faisant un mort. Quatre jours plus tard, une voiture piégée souffle un immeuble habité par des militaires russes et leurs familles, à Bouïnaksk, au Daghestan. Soixante-quatre personnes perdent la vie. Le 9 septembre, à Moscou, 300 à 400 kilos d'explosifs rayent un bâtiment de la carte, tuant 94 personnes, raconte Régis Genté dans Poutine et le Caucase. Le 13 septembre à l'aube, une bombe saute dans le sous-sol d'un autre immeuble de la capitale. Bilan : 118 morts. Trois jours plus tard, une attaque au camion piégé tue 17 personnes à Volgodonsk, dans le sud-ouest du pays.

Un immeuble est soufflé par l'explosion d'une bombe à Moscou, le 9 septembre 1999. (AFP)

Les coupables sont tout trouvés : médias et autorités accusent les indépendantistes tchétchènes d'avoir perpétré ces attaques. Poutine en tête. "Aujourd'hui, la Tchétchénie (...) est quasiment devenue un camp d'entraînement légal pour terroristes", assure le Premier ministre face à la Douma, le 14 septembre, cité par Tania Rakhmanova dans Au cœur du pouvoir russe : enquête sur l'empire Poutine. Il n'a pourtant aucune preuve tangible de la responsabilité des indépendantistes. Un responsable du FSB admet même, le 23 septembre, "qu'il n'y a pas un seul Tchétchène" parmi les poseurs de bombe identifiés, précise Régis Genté.

De quoi éveiller les soupçons chez certains opposants, qui s'interrogent sur le rôle des services secrets dans ces attaques. D'autant que "la famille" avait décidé dès le printemps d'instrumentaliser "une petite guerre victorieuse dans le Caucase" pour contrer Evgueni Primakov, assure Vladimir Fédorovski dans Poutine, l'itinéraire secret. En présentant Vladimir Poutine comme son Premier ministre et futur successeur, début août, Boris Eltsine avait même affirmé : "Cet homme, c'est la solution finale au problème tchétchène".

"On les butera jusque dans les chiottes"

Qu'importe, l'opinion publique, dans un premier temps opposée à la guerre, s'enferme dans un réflexe sécuritaire. Vladimir Poutine ordonne le bombardement de la capitale tchétchène, Grozny. Le jour des premières frappes, le 23 septembre, il se trouve à Astana, au Kazakhstan. Il profite d'une conférence de presse pour cultiver son image de dirigeant inflexible. "Les avions russes frappent et vont continuer à frapper exclusivement les bases des terroristes. Et ça va continuer, où que les terroristes se trouvent", lâche Vladimir Poutine, blême de colère.

On poursuivra les terroristes partout, dans les aéroports s'ils sont dans les aéroports. Excusez-moi mais, s'il le faut, (...) on les butera jusque dans les chiottes.

Vladimir Poutine

La virulence du Premier ministre choque les Occidentaux. Mais fait mouche auprès des électeurs russes. Vladimir Poutine renvoie l'image "d'un homme athlétique, dans la pleine force de l'âge, à l'inverse d'un président [Boris Eltsine] chancelant et cardiaque, bouffi par l'alcool et la maladie", estime Vladimir Fédorovski dans son livre Poutine de A à Z. Le Premier ministre a bien mesuré l'impact de cette phrase, testée à plusieurs reprises auprès de son entourage avant d'être prononcée face aux caméras. A cette époque, la cote de popularité de Vladimir Poutine "monte presque chaque jour de 2%", rapporte la journaliste Tania Rakhmanova.

Début octobre, l'ancien patron du FSB est favori pour la présidentielle et le parti Unité, créé pour le soutenir, grimpe dans les sondages. Vladimir Poutine a su gagner le soutien des anciens des services secrets, en les plaçant au gouvernement, des militaires, en déclarant la guerre à la Tchétchénie, et des oligarques, en restant proche de la "famille" Eltsine. Il est assuré d'accéder au pouvoir. Et les mois suivants vont le confirmer : début décembre, Unité remporte les législatives ; fin décembre, Boris Eltsine démissionne et nomme Vladimir Poutine président par intérim ; en mars, l'ex-espion remporte une large victoire à la présidentielle. Dix-huit ans plus tard, il est toujours à la tête de la Russie.

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