Syrie : quatre jours à Alep, ville assiégée
Une ligne de démarcation longue d’une vingtaine de kilomètres traverse Alep et son cœur historique, aujourd’hui totalement dévasté. Il n’y a plus âme qui vive dans le souk, où les Alépins aimaient autrefois se promener. C’était le plus ancien de Syrie.
Au détour d’une rue, derrière un monticule de pierres que les soldats syriens ont érigé pour se protéger des snipers, un drapeau noir du Front Al-Nosra a été planté au sommet d’un immeuble. Le soldat qui nous accompagne nous demande de nous dépêcher : les francs-tireurs sont de l’autre coté. Il faut traverser en courant sur une dizaine de mètres. Nous débouchons sur une petite place. Juste derrière, la citadelle d’Alep, majestueuse. Elle domine la ville et offre une position idéale. La citadelle a toujours été aux mains de l’armée syrienne depuis le début de la guerre, nous explique Bassel Shuhema. Il était architecte avant la guerre. C’est la première fois qu’il revient dans cette partie de la ville. Bassel se met à pleurer en voyant l’ancien Hôtel Carlton, situé au pied de la citadelle, et qui fut longtemps occupé par des soldats syriens et des miliciens pro-régime. Il a été dynamité par les rebelles l’an dernier qui avaient placé des charges explosives dans des souterrains…
A quelques encablures de la vieille ville, un autre hôtel est lui toujours debout : l’Hôtel Baron. Une institution à Alep. Les plus grandes figures du XXe siècle y sont passées : Nasser y a prononcé un discours en 1958, Agatha Christie a écrit Le Crime de l’Orient Express dans son jardin et Lawrence d’Arabie y avait ses habitudes. Le propriétaire de l’hôtel Baron, Armen Mazloumian, ne décolère pas. Il a dû se résoudre à fermer les portes. "Ça va durer encore longtemps, très longtemps, plus de cinq ans, dit-il. Avec des idiots comme ces gens de Daech, comment voulez-vous avoir un pays touristique, avec ces salauds ? "
Dans le reste de la ville, le bruit des détonations nous rappelle que les Alépins vivent en état de guerre. Et qui dit guerre dit pénurie. De carburant, tout d’abord. Il faut attendre de longues heures pour faire le plein d’essence. Pénurie de mazout aussi, une denrée rare alors que l’hiver est rude en Syrie en ce moment. Il n’y a pas de chauffage. Et puis les Alépins de l’Ouest subissent des coupures de courant pour une raison simple : la centrale électrique qui alimente la ville est située dans la partie Est, contrôlée par les rebelles.
L’espoir du gouverneur
Dans son bureau aux fenêtres baissées, derrière lequel trône un énorme portait de Bachar al-Assad, le gouverneur d’Alep nous montre les roquettes qui sont tombées sur le bâtiment. Le gouvernorat, qui représente le pouvoir syrien, est une cible pour les rebelles. Mohamad El Elabi affiche pourtant une certaine confiance. L’armée syrienne reprendra bientôt toute la ville qu’elle encercle. Ce n’est qu’une question de temps, dit-il. Quant à un projet de trêve que défend l’émissaire des Nations unies pour la Syrie, Staffan de Mistura, il y est plutôt favorable mais sous certaines conditions. "Nous, en tant qu’Etat, on est prêt à tout faire pour que le sang des Syriens arrête de couler. On peut prendre la décision d’accepter un accord. Mais les autres, ils sont des milliers, et ils n’ont pas de leader. Ils ne peuvent pas prendre de décision. Et on ne peut pas croire ce qu’ils disent. "
Un cessez-le-feu parait bien lointain. Entre un régime qui continue de bombarder les secteurs tenus par les opposants à Bachar al-Assad, et des rebelles qui envoient des obus de mortier sur les quartiers pro-régime, les Alépins sont pris entre deux feux. Ils se préparent déjà à vivre leur quatrième année de guerre, comme l’ensemble des Syriens.
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