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«Avenue de l'Europe» : dans les pas de jeunes musulmans britanniques radicalisés
Frédérique Maillard et Salah Agrabi, grands reporters à France 3, sont partis sur les traces de trois djihadistes britanniques et se sont entretenus avec ceux qui tentent de prévenir la radicalisation des jeunes musulmans au Royaume-Uni. Avant la diffusion de son enquête le 31 janvier 2015 dans «Avenue de l’Europe», une émission de Véronique Auger, Frédérique Maillard revient sur ce reportage.
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A Londres, vous avez pu rencontrer un père dont les trois fils sont partis faire le djihad en Syrie. Ce père demande-t-il à ses enfants de rentrer ?
Ses deux fils les plus jeunes, de 17 et 18 ans, ont été tués en 2014 lors de combats contre l'armée de Bachar al-Assad. Le plus âgé, qui a 21 ans, se bat actuellement en Syrie dans les rangs d'al-Nosra, une branche d'al-Qaïda que l'ONU a classée sur sa liste des organisations terroristes. Le père a lancé des appels à son fils survivant pour qu'il rentre à Londres, mais celui-ci refuse de l'entendre. Nous voulions comprendre pourquoi ces trois jeunes frères se sont radicalisés.
Nous avons découvert une longue histoire de famille. Celle de leur grand-père assassiné par le régime Kadhafi. Celle de leur oncle, torturé à Guantanamo, où il a été incarcéré six ans pour terrorisme. A Londres, des associations s'étaient mobilisées, dont Amnesty International, pour démontrer que dans l'affaire de leur oncle il y avait eu erreur d'identité. Les trois enfants, qui se sont enrôlés en Syrie, ont grandi à Brighton en militant contre la «War on Terror» (guerre contre la terreur) menée par George W. Bush.
Son fils survivant peut-il rentrer à Londres?
Alors que nous rencontrions le père de ce jeune djihadiste, le débat faisait rage à Londres sur les mesures anti-terroristes proposées par le gouvernement Cameron. Il est envisagé de supprimer le passeport pendant deux ans minimum des djihadistes britanniques de retour de Syrie. Londres veut leur fermer ses frontières. Une politique anti-terroriste à l'opposé de celle du Danemark, par exemple, qui incite au retour des jeunes pour leur faire suivre un programme de «déradicalisation».
Si ce jeune djihadiste britannique rentre en Grande-Bretagne, il sera arrêté dans le cadre du «Terrorism Act». Il peut être placé en garde à vue pendant quatorze jours. Deux djihadistes anglais ont déjà été condamnés à douze ans de prison ferme. Partir en Syrie n'est pas considéré comme illégal au Royaume-Uni. Ce qui l'est, c'est l'appartenance à un groupe terroriste comme al-Nosra. Les enquêtes s'annoncent difficiles. Certains parents bravent tous les interdits et les dangers. Un autre père britannique est allé récupérer lui-même son fils en Syrie pour le ramener en Grande-Bretagne. Mais ce dernier lui avait lancé un appel à l'aide pour l'aider à sortir des griffes d'al-Qaïda.
Quelle est la responsabilité de ce père dans la radicalisation de ses fils?
Quand on lui a demandé comment il jugeait al-Nosra, cette organisation terroriste, il n'a pas condamné clairement ce groupe islamiste radical. Il reprend bien entendu à son compte la rhétorique radicale qui pointe du doigt les contradictions et évolutions de la politique étrangère britannique à l'endroit de la rébellion. Le gouvernement Cameron a été parmi les premiers en Europe à dénoncer les exactions d'Assad au début de la guerre, à vouloir son éviction du pouvoir et à soutenir les rebelles.
Mais aujourd'hui, sur le terrain, l'opposition au régime syrien est dominée par les islamistes extrémistes. Londres procède désormais à leurs arrestations quand ils rentrent. Les djihadistes, eux, osent brandir leur soutien au peuple syrien pour justifier leur embrigadement dans ces groupes terroristes. Lors d'une perquisition à son domicile, la police a saisi le passeport de ce père pour qu'il ne rejoigne pas à son tour les rangs des islamistes radicaux. Lui prétend qu'on l'empêche de partir à la recherche de son fils survivant. Sont ils aujourd'hui une menace pour la Grande-Bretagne? Le père assure que son fils n'a aucune intention de mener des attaques terroristes contre son pays. C'est la parole d'un homme aujourd'hui sous haute surveillance.
Au moment où plusieurs voix s’élèvent pour demander aux musulmans d’être aux avant-postes de la lutte contre les islamistes, on découvre dans votre reportage un militant associatif qui est à l’origine de la campagne lancée sur les réseaux sociaux «Not in my name»…
Le positionnement d'Hanif Qadir, président de l'association Active Change Foundation (ACF) au Royaume-Uni, est clair. L’action qu'il a menée contre l'amalgame entre islam et islamisme radical a fait le tour du monde. Il a lancé une campagne sur internet avec des jeunes musulmans du grand Est de Londres. Un quartier sensible où de nombreux départs pour le djihad ont été enregistrés. Il nous a confié que cette réappropriation de leur image par les jeunes musulmans est essentielle.
Djihadiste repenti, il a lui-même été embrigadé en 2002 par al-Qaïda en Afghanistan. Il travaille désormais sur la prévention de la radicalisation. Hanif Qadir, en Britannique pragmatique, estime que les djihadistes repentis comme lui peuvent devenir des remparts contre l'extrémisme. Il pense qu'il faut, au contraire, ouvrir les portes aux jeunes partis en Syrie pour les prendre en charge et éviter qu'ils ne constituent un danger pour la société. Des jeunes qui deviennent apatrides constitueraient, selon lui, un véritable danger pour l'Europe elle-même. Hors caméra, il m’a confié que sans son initiative, il y aurait certainement plus de jeunes terroristes originaires de son quartier. Sa campagne sur internet a été saluée par Barack Obama.
Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience de nos voisins anglais au moment où la France a de nombreux défis à relever depuis les attentats?
La Grande-Bretagne a été traumatisée il y a dix ans par les attentats perpétrés par des jeunes qui avaient grandi sur son sol. D’abord, un constat. Le pragmatisme anglais se passe d’état d’âme quand il s’agit d’être efficace. Londres a radicalement changé de stratégie depuis dix ans. Avant 2005, les imams extrémistes de la mosquée de Finsbury Park prêchaient dans la rue.
Aujourd'hui, les imams sont sous haute surveillance. Les Anglais que nous avons interrogés attendent, au nom de leur sécurité, que leurs frontières soient bien protégées. La proposition de retrait des passeports des djihadistes pose pourtant de vraies questions de droit international. Pour cette raison, certains députés conservateurs, proches de Cameron, remettent en cause cette proposition du gouvernement. La question se pose bien entendu aujourd'hui, après les attentats de Paris et dix ans après ceux de Londres, de l'harmonisation des mesures anti-terroristes en Europe.
Retrouvez l'intégralité du reportage de Frédérique Maillard et Salah Agrabi dans Avenue de l'Europe le samedi 31 janvier 2015 à 18h30.
Ses deux fils les plus jeunes, de 17 et 18 ans, ont été tués en 2014 lors de combats contre l'armée de Bachar al-Assad. Le plus âgé, qui a 21 ans, se bat actuellement en Syrie dans les rangs d'al-Nosra, une branche d'al-Qaïda que l'ONU a classée sur sa liste des organisations terroristes. Le père a lancé des appels à son fils survivant pour qu'il rentre à Londres, mais celui-ci refuse de l'entendre. Nous voulions comprendre pourquoi ces trois jeunes frères se sont radicalisés.
Nous avons découvert une longue histoire de famille. Celle de leur grand-père assassiné par le régime Kadhafi. Celle de leur oncle, torturé à Guantanamo, où il a été incarcéré six ans pour terrorisme. A Londres, des associations s'étaient mobilisées, dont Amnesty International, pour démontrer que dans l'affaire de leur oncle il y avait eu erreur d'identité. Les trois enfants, qui se sont enrôlés en Syrie, ont grandi à Brighton en militant contre la «War on Terror» (guerre contre la terreur) menée par George W. Bush.
Son fils survivant peut-il rentrer à Londres?
Alors que nous rencontrions le père de ce jeune djihadiste, le débat faisait rage à Londres sur les mesures anti-terroristes proposées par le gouvernement Cameron. Il est envisagé de supprimer le passeport pendant deux ans minimum des djihadistes britanniques de retour de Syrie. Londres veut leur fermer ses frontières. Une politique anti-terroriste à l'opposé de celle du Danemark, par exemple, qui incite au retour des jeunes pour leur faire suivre un programme de «déradicalisation».
Si ce jeune djihadiste britannique rentre en Grande-Bretagne, il sera arrêté dans le cadre du «Terrorism Act». Il peut être placé en garde à vue pendant quatorze jours. Deux djihadistes anglais ont déjà été condamnés à douze ans de prison ferme. Partir en Syrie n'est pas considéré comme illégal au Royaume-Uni. Ce qui l'est, c'est l'appartenance à un groupe terroriste comme al-Nosra. Les enquêtes s'annoncent difficiles. Certains parents bravent tous les interdits et les dangers. Un autre père britannique est allé récupérer lui-même son fils en Syrie pour le ramener en Grande-Bretagne. Mais ce dernier lui avait lancé un appel à l'aide pour l'aider à sortir des griffes d'al-Qaïda.
Quelle est la responsabilité de ce père dans la radicalisation de ses fils?
Quand on lui a demandé comment il jugeait al-Nosra, cette organisation terroriste, il n'a pas condamné clairement ce groupe islamiste radical. Il reprend bien entendu à son compte la rhétorique radicale qui pointe du doigt les contradictions et évolutions de la politique étrangère britannique à l'endroit de la rébellion. Le gouvernement Cameron a été parmi les premiers en Europe à dénoncer les exactions d'Assad au début de la guerre, à vouloir son éviction du pouvoir et à soutenir les rebelles.
Mais aujourd'hui, sur le terrain, l'opposition au régime syrien est dominée par les islamistes extrémistes. Londres procède désormais à leurs arrestations quand ils rentrent. Les djihadistes, eux, osent brandir leur soutien au peuple syrien pour justifier leur embrigadement dans ces groupes terroristes. Lors d'une perquisition à son domicile, la police a saisi le passeport de ce père pour qu'il ne rejoigne pas à son tour les rangs des islamistes radicaux. Lui prétend qu'on l'empêche de partir à la recherche de son fils survivant. Sont ils aujourd'hui une menace pour la Grande-Bretagne? Le père assure que son fils n'a aucune intention de mener des attaques terroristes contre son pays. C'est la parole d'un homme aujourd'hui sous haute surveillance.
Au moment où plusieurs voix s’élèvent pour demander aux musulmans d’être aux avant-postes de la lutte contre les islamistes, on découvre dans votre reportage un militant associatif qui est à l’origine de la campagne lancée sur les réseaux sociaux «Not in my name»…
Le positionnement d'Hanif Qadir, président de l'association Active Change Foundation (ACF) au Royaume-Uni, est clair. L’action qu'il a menée contre l'amalgame entre islam et islamisme radical a fait le tour du monde. Il a lancé une campagne sur internet avec des jeunes musulmans du grand Est de Londres. Un quartier sensible où de nombreux départs pour le djihad ont été enregistrés. Il nous a confié que cette réappropriation de leur image par les jeunes musulmans est essentielle.
Djihadiste repenti, il a lui-même été embrigadé en 2002 par al-Qaïda en Afghanistan. Il travaille désormais sur la prévention de la radicalisation. Hanif Qadir, en Britannique pragmatique, estime que les djihadistes repentis comme lui peuvent devenir des remparts contre l'extrémisme. Il pense qu'il faut, au contraire, ouvrir les portes aux jeunes partis en Syrie pour les prendre en charge et éviter qu'ils ne constituent un danger pour la société. Des jeunes qui deviennent apatrides constitueraient, selon lui, un véritable danger pour l'Europe elle-même. Hors caméra, il m’a confié que sans son initiative, il y aurait certainement plus de jeunes terroristes originaires de son quartier. Sa campagne sur internet a été saluée par Barack Obama.
Quels enseignements peut-on tirer de l’expérience de nos voisins anglais au moment où la France a de nombreux défis à relever depuis les attentats?
La Grande-Bretagne a été traumatisée il y a dix ans par les attentats perpétrés par des jeunes qui avaient grandi sur son sol. D’abord, un constat. Le pragmatisme anglais se passe d’état d’âme quand il s’agit d’être efficace. Londres a radicalement changé de stratégie depuis dix ans. Avant 2005, les imams extrémistes de la mosquée de Finsbury Park prêchaient dans la rue.
Aujourd'hui, les imams sont sous haute surveillance. Les Anglais que nous avons interrogés attendent, au nom de leur sécurité, que leurs frontières soient bien protégées. La proposition de retrait des passeports des djihadistes pose pourtant de vraies questions de droit international. Pour cette raison, certains députés conservateurs, proches de Cameron, remettent en cause cette proposition du gouvernement. La question se pose bien entendu aujourd'hui, après les attentats de Paris et dix ans après ceux de Londres, de l'harmonisation des mesures anti-terroristes en Europe.
Retrouvez l'intégralité du reportage de Frédérique Maillard et Salah Agrabi dans Avenue de l'Europe le samedi 31 janvier 2015 à 18h30.
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