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En Syrie, le site de Palmyre à nouveau menacé

«Palmyre est menacée», a affirmé le 15 mai 2015 Rami Abdel Rahmane, le directeur de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH). Ce n'est pas la première fois que ce site archéologique, inscrit au Patrimoine mondial de l'humanité, est menacé. Nous republions un article de mars 2014 qui faisait déjà état de destructions dans la ville de la reine Zénobie.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le site de Palmyre, la ville de la Reine Zénobie (IIIe siècle), en Syrie. (JOSEPH EID / AFP)

Alors que les combats se poursuivent en Syrie, entre forces du régime et opposition, notamment dans la région de Yabroud, l’un des plus beaux sites de Syrie, l'antique Palmyre, ville de la reine Zénobie, porte des stigmates de récents combats tandis que ses magnifiques tombes ont été la proie des pilleurs.

Située à 210 km au nord-est de Damas, Palmyre (Tadmor, pour les Syriens), la «perle du désert» (où régna la reine Zénobie au troisième siècle après JC), inscrite par l'Unesco au patrimoine mondial de l'humanité, conserve toute sa beauté bien que le temple de Baal ait subi quelques flétrissures en raison des échanges d'artillerie entre l'armée et les rebelles.

«Les groupes armés se sont installés en février 2013 dans l'immense palmeraie au sud de Palmyre et ont occupé le site jusqu'à ce que l'armée les en chasse en septembre de la même année», explique Mohammad el-Assad, 44 ans, fonctionnaire au service des Antiquités. «A partir des vergers où ils se trouvaient, ils tiraient sur la ville et certains obus ont endommagé par endroits le temple situé au milieu», ajoute-t-il.


Le mur oriental du temple hellénistique de Baal, l'édifice le plus imposant de la cité, est marqué par plusieurs taches blanchâtres, là où la pierre a été griffée par des éclats d'obus. Un tir de mortier a endommagé l'une des ouvertures, ainsi que le linteau reposant sur huit colonnes à fûts cannelés. Le mur d'enceinte a souffert en plusieurs endroits. Trois piliers de la colonnade au sud du temple ont été démembrés, leurs chapiteaux corinthiens gisant à terre. Mais les autres monuments n'ont pas été touchés par les combats.
 
«Découpées à la tronçonneuse»
D'après M.Assad, du service des antiquités, des rebelles ont mis à sac la maison des missions archéologiques jouxtant le temple, mais le plus grave a été le pillage des merveilleuses tombes. Près de la cité, dans la Vallée des tombes, la nécropole s'étend sur un kilomètre. C'est là que les riches Palmyréniens avaient construit une série de monuments funéraires somptueusement décorés.

Au musée de Palmyre, le directeur Khalil al-Hariri montre trois stèles calcaires et des parties de sarcophages sculptées en haut-relief de personnages et d'enfants. «Elles avaient été découpées à la tronçonneuse. Nous les avons récupérées il y a deux jours, dans le sous-sol d'une maison», explique-t-il.
 
Combien de tombes ont été pillées ? Il n'en sait rien. «Il y a environ 500 tombes, dont seulement 200 ont été fouillées par les archéologues. C'est dans celles qui ne l'étaient pas que les pilleurs ont fait leur sale besogne», a-t-il raconté au journaliste de l’AFP, Samy Ketz. Son seul point de repère, c'est le butin retrouvé. «Depuis que l'armée a repris le contrôle de la région, j'ai récupéré 130 pièces, mais je suis incapable de dire à combien de tombes elles appartenaient car les voleurs ont pris soin de les refermer.»
 
Dans le discours officiel, ce sont les «hommes armés» ou «les terroristes» qui ont voulu délester le pays «en vendant à vil prix notre culture et nos racines». En réalité, et M.Hariri le reconnaît à demi-mot, certains habitants ont profité du désordre pour mettre la main sur des pièces, d'autant qu'ils en connaissent la valeur.

La Mosquée Adiliyya à Alep, endommagée dans les combats (photo de janvier 2014) (STR/SHAHBA PRESS/AFP)


250.000 touristes par an avant la guerre
«La police les a retrouvées ici, dans les maisons, les vergers, ainsi que dans le reste du pays. Quinze ont même été découvertes à l'aéroport de Beyrouth, prêtes à s'envoler vers l'étranger», selon lui. L'ONU a pressé les belligérants de protéger «le riche patrimoine culturel mis en lambeaux» par trois ans de guerre. Devant «le pillage systématique» des sites archéologiques, elle a recommandé aux professionnels du commerce de l'art et aux douanes «de se méfier des objets d'art syriens susceptibles d'avoir été volés». Une liste rouge a même été publiée pour limiter les éventuels trafics.

Fayçal al-Cherif, chef de la municipalité, n'a plus vu un touriste depuis septembre 2011, soit six mois après le début de la révolte contre le régime de Bachar el-Assad. «Il y en avait 250.000 par an, puis subitement plus rien. Sur les 85.000 habitants, 5000 travaillaient dans l'hôtellerie, la restauration, possédaient des magasins, organisaient des balades dans le désert sous la tente, servaient de chauffeur ou de guide», déplore cet homme de 57 ans.
 
Les 16 établissements de la ville ont tous fermé. Quant au Zénobia, l'hôtel de légende construit dans les années 1920 par une aventurière française et situé dans le site archéologique, il a été pillé et à moitié brûlé.
«J'espère que la tourmente se terminera et que les touristes reviendront bientôt», soupire Fayçal al-Cherif.


Appel de l’onu et de l’Unesco
Face à ces risques sur le patrimoine syrien, les organisations internationales tentent de se mobiliser. Dans une déclaration commune, le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon, la directrice générale de l'Unesco Irina Bokova et le médiateur international en Syrie Lakhdar Brahimi «appellent toutes les parties à mettre immédiatement fin à la destruction du patrimoine syrien et à préserver la riche mosaïque sociale de la Syrie et son patrimoine culturel».
 
Les trois responsables condamnent l'utilisation des sites culturels à des fins militaires, citant quatre sites inscrits au patrimoine mondial qui ont été «transformés en champs de bataille»: Palmyre, le Krac des Chevaliers, l'église de Saint Siméon, et Alep et sa citadelle.
 
Devant «le pillage systématique» des sites archéologiques, ils recommandent à tous les professionnels du commerce de l'art, aux touristes et aux douanes «de se méfier des objets d'art syriens, qui sont susceptibles d'avoir été volés».
 
Des groupes extrémistes 
En Syrie, «les sites du patrimoine mondial ont été gravement, parfois irrémédiablement, endommagés», souligne la déclaration. «Pas une seule strate de la culture syrienne – pré-chrétienne, chrétienne, islamique – n'est épargnée.» Et les trois responsables de se montrer accusateurs : «Selon certaines informations alarmantes, le patrimoine syrien est délibérément pris pour cible pour des raisons idéologiques: les œuvres d'art représentant des êtres humains sont détruites par des groupes extrémistes». Des accusations qui rappellent l'Afghanistan.
 
Les sites touchés par les combats sont nombreux, rappelait le journal libanais l’Orient le Jour : «Des sites syriens majeurs ont été détruits ou endommagés durant ces deux années de guerre, tel le minaret de la Grande mosquée d'Alep ou encore le site gréco-romain d'Apamée», avait déjà déploré Bonnie Burnham, présidente du Fonds mondial pour les monuments. Le premier, vieux de près d'un millénaire, s'est écroulé lors de combats entre l'armée syrienne et les rebelles en avril 2013, qui ont laissé la mosquée criblée de balles. Le second, vestige archéologique de l'ère antique, a été victime d'importants pillages.

La guerre civile dure depuis trois ans en Syrie et rien ne semble, pour l'instant, pouvoir l'arrêter.

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