Syrie-Turquie: des relations très ambivalentes
Un autre avion pris pour cible par la Syrie
Euronews, le 25-6-2012
Va-t-on vers un conflit ouvert entre les deux pays ? Apparemment pas, aux dires de nombreux observateurs. L’OTAN, dont la Turquie est membre et qui a organisé une réunion sur l’affaire de l’avion abattu, exclut toute intervention militaire. Laquelle ne serait pas «la bonne voie pour la Syrie».
Toutes les déclarations belliqueuses, «c’est du verbe !», estime l’analyste Antoine Basbous. «En fait, personne n’ose vraiment affronter la Syrie, qu’on redoute», ajoute-t-il.
Depuis le début de la crise chez son voisin, la Turquie n’en a pas moins accueilli sur son sol plusieurs dizaines de milliers de réfugiés, dont des déserteurs des troupes de Bachar. Lesquels repartent souvent rejoindre les rangs de l’Armée libre syrienne (ALS), qui se bat les armes à la main contre le régime. Dans le même temps, Ankara fournirait des armes et entraînerait des combattants syriens à Istanbul.
Froid et chaud
Alors, qu’en est-il exactement des relations entre les deux pays ? En fait, celles-ci ont toujours été frappées d’ambivalence et marquées par des évolutions en dents de scie. Notamment en raison d’une revendication territoriale de la Syrie, qui exige, depuis son indépendance en 1943, que lui soit restitué le territoire du Sandjak d’Alexandrette. Mais aussi à cause de la répartition des ressources hydrauliques.
Pendant la Guerre froide, les deux pays se trouvaient dans deux camps différents : Damas était l’allié des Soviétiques, tandis que la Turquie était membre de l’OTAN. Puis dans les années 80, le régime syrien a soutenu la rébellion kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) en territoire turc. Un soutien qui aurait pu déraper en conflit ouvert.
En 1998, les deux Etats s’engagent dans une coopération sur la question kurde. Damas expulse le leader du PKK, Abdhullah Ocalan. L’arrivée au pouvoir, en 2002, des islamistes modérés de l’AKP (Parti de la justice et du développement), conduits par Reccep Tayyip Erdoggan, contribue aussi à réchauffer les rapports. A tel point que la Turquie joue un rôle d’intermédiaire pour des pourparlers indirects entre la Syrie et Israël avant que ne s’enveniment ses relations avec l’Etat hébreu.
En 2005 est conclu un accord de libre-échange. Les deux capîtales commencent aussi à régler l’épineuse question de l’eau par la construction d’un barrage (le «Barrage de l’amitié») sur le fleuve Oronte. Un chantier gelé depuis le début de la crise syrienne (février 2011).
Intransigeance syrienne
Aujourd’hui, on assiste donc à un nouveau coup de froid dans les relations. Au début de la guerre civile, les Turcs ont ménagé le pouvoir de Bachar El Assad et évité de prendre partie. La modération turque s’explique aussi par la crainte de voir la Syrie souffler sur les braises au Kurdistan (J).
Ankara a également tenté de proposer ses bons offices. Mais l’évolution de la situation sur le terrain, notamment l’accélération de la répression et l’intransigeance du régime syrien, a contraint le gouvernement Erdogan, placé dans une situation délicate, à changer son fusil d’épaule. A partir de juin 2011, les relations commencent à se dégrader : un mois après avoir déclaré qu’Assad était son «ami», Erdogan dénonce la «sauvagerie» de Damas. «La Turquie comprend qu’elle n’arrivera pas à raisonner el-Assad et pense que le régime est condamné».
La Turquie lâche Assad
Euronews, le 10 juin 2011
D’autres éléments ont joué dans la dégradation du climat. D’abord l’importance stratégique pour la Turquie de l’alliance avec les Etats-Unis, qui ont rapidement condamné la répression mené par Assad. A joué aussi, pour certains observateurs, la crainte des autorités d’Ankara de voir, notamment auprès des pays arabes, leur image ternie en soutenant un régime violent. Une «image positive aux yeux du public arabe» : aux yeux de ce dernier, la Turquie est une référence démocratique qui n’est pas forcément identifié à l’Occident.
Dans les années 2000, en acceptant de supprimer les visas pour ses ressortissants souhaitant se rendre dans l’ex-empire ottoman, le régime de Damas a peut-être ouvert la boîte de Pandore. Lesdits ressortissants ont ainsi pu se rendre compte sur place qu’il était possible de «vivre beaucoup mieux, et de manière moins oppressée dans un pays musulman». Ce n’est sans doute pas un hasard s’il est arrivé que des Syriens manifestent (J) en disant qu’ils souhaitaient vivre comme les Turcs, tout en brandissant des portraits d’Erdogan…
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