: Document franceinfo "On a fait notre job, on a sauvé des vies" : le témoignage d'un soldat français blessé dans une attaque terroriste au Mali
Le caporal-chef Jordan faisait partie de l'équipage d'un blindé qui s'est interposé entre un convoi encadré par des soldats de l'opération Barkhane et un véhicule kamikaze, qui s'est fait exploser. L'attaque avait fait six blessés dont le militaire de 25 ans.
C'était il y a une semaine, vendredi 8 janvier, dans le centre du Mali : un véhicule suicide explosait au contact d'un convoi protégé par les soldats français de l'opération Barkhane, dans la zone dite des trois frontières (Mali, Niger, Burkina Faso). L'attentat avait fait six blessés. Il aurait pu faire de nombreux morts, si un véhicule blindé de combat d'infanterie (VBCI, un blindé lourd français), ne s'était pas interposé entre le convoi et le kamikaze. Les six blessés formaient l'équipage du blindé. Ils ont été rapatriés en France. franceinfo a recueilli le témoignage rare de l'un d'entre eux, le caporal-chef Jordan, âgé de 25 ans.
franceinfo : Le 8 janvier, au Mali, vous montez dans un blindé pour une mission d'escorte classique. Le convoi compte une trentaine de véhicules. Votre place, c'est "gunner", mitrailleur : votre corps émerge à moitié d'une trappe à l'arrière du blindé. Dans quelles circonstances a eu lieu l'attentat ?
Caporal-chef Jordan : Nous, on était sur le côté droit pour protéger les flancs, on a fait un ou deux kilomètres à peine. C'est là qu'on a vu le véhicule sur notre droite. Il approchait sur une petite piste qui traversait notre itinéraire. On a fait les sommations à la voix, comme on devait le faire. Le sergent Jérémie, le chef, a dit au pilote de s'avancer et de se mettre en travers de la route, sur la piste, et nous qui étions en "gunner", derrière, on lui a dit de se décaler en lui faisant des grands gestes. Après, la seule chose qu'on voyait chargée derrière lui, c'étaient des sacs remplis d'herbe sèche. Pour nous, la moto était clean, ce n'était pas du tout suspect. On lui a demandé de s'éloigner et de s'arrêter. Le pilote de l'engin a continué à avancer tout doucement, on s'est mis en travers de sa route pour le bloquer. On lui a encore dit de dégager, il nous a refait un coucou. Et puis j'ai vu qu'il a baissé sa main pour appuyer sur quelque chose. Et c'est là où ça a explosé.
Si ce kamikaze avait réussi à s'insérer dans le convoi, est-ce qu'il y aurait eu plus de dégâts que ceux qu'il a faits ?
Oui, ça j'en suis sûr. Le VBCI [véhicule blindé de combat d'infanterie], c'est un véhicule qui est vachement blindé, il y a eu quand même pas mal de dégâts. Etant donné la charge qu'il avait, il n'y aurait pas eu que des blessés. Les autres véhicules dans le convoi n'étaient pas blindés, il y avait une citerne à essence, les FAMa [Forces armées maliennes] qui étaient derrière en pickup. Quand on m'a évacué, dans le véhicule sanitaire, ils m'ont dit que ça avait même soulevé leur véhicule alors qu'il était 100 mètres sur leur gauche.
Comment jugez-vous l'action de votre groupe où il y a eu quand même six blessés ?
Pour moi, c'est un mal pour un bien. Jusqu'à dire que c'est un acte héroïque, non. Parce que c'est notre travail.
On a fait ce qu'on nous a appris à faire. On ne nous a pas appris à devenir des héros. Dans notre véhicule, on n'a pas eu de mort. C'est le principal.
Caporal-chef Jordanà franceinfo
Tout le monde va bien sur ses deux jambes. Même le commandant d'unité, il a dit qu'on ne devait pas avoir d'inquiétude et qu'on n'avait pas fait ça pour rien. On a fait notre job, on a sauvé des vies, c'est ce qu'il nous a dit.
Quels souvenirs avez-vous de l'instant juste après l'explosion ?
Je me rappelle qu'on a tous été écrasés à l'intérieur du VBCI [véhicule blindé de combat d'infanterie]. Une fois que j'ouvre les yeux, je crie pour demander si tout le monde allait bien. J'étais sonné moi aussi. Il y avait notre collègue, le première classe Emmanuel dont je me suis un peu occupé avec le caporal. J'ai vu qu'il avait un trou dans le bras et j'ai voulu lui mettre un pansement pour empêcher le saignement. Je n'ai pas eu la force d'ouvrir le paquet, mon corps m'a lâché. Là, j'aurai bien aimé en faire plus, poser le pansement avant de m'écrouler. J'aurais aimé faire mieux. De la part de tout notre groupe, j'aimerais exprimer toute notre gratitude à la caporale cheffe Camille [auxiliaire sanitaire]. Je sais qu'elle s'en est voulu de ne pas en avoir fait plus, comme moi, mais, étant sonnée comme elle était, dans ces circonstances, elle a vraiment fait son travail parfaitement. Heureusement qu'elle était là pour nous. Elle a fait un super boulot et je veux que ce soit dit.
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