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Militaires français tués au Mali : "Sur les théâtres de guerre, tout est compliqué, tout présente un danger"

Franceinfo a interrogé Pierre Servent, expert en stratégie militaire, journaliste et colonel réserviste, au sujet du type d'interventions pendant laquelle est survenu l'accident qui a coûté la vie à 13 soldats français. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un hélicoptère Tigre de l'armée française survole la ville de Gao, dans le Nord du Mali, le 19 mai 2017.  (AFP)

C'est l'un des plus lourds bilans humains essuyé par l'armée française depuis l'attentat du Drakkar, à Beyrouth (Liban), en 1983. Treize militaires français de l'opération Barkhane ont trouvé la mort lundi au Mali dans la collision accidentelle entre deux hélicoptères qui appuyaient une attaque contre des jihadistes, a annoncé mardi 26 novembre la présidence française.

>> L'action militaire de la France est "indispensable", déclare Edouard Philippe après la mort de 13 soldats au Mali. Suivez les réactions en direct.

Un hélicoptère Tigre et un appareil Cougar sont entrés en collision lors d'une opération de reconnaissance en pleine nuit, dans la région de Ménaka, selon le chef d'état-major des armées, François Lecointre. "Cette terrible nouvelle endeuille nos armées, la communauté de défense et la France toute entière", a aussitôt réagi la ministre des Armées Florence Parly, en précisant qu'"une enquête [a été] ouverte afin de déterminer les circonstances exactes de ce drame"

Afin de mieux comprendre les circonstances de ce drame, franceinfo a interrogé Pierre Servent, expert en stratégie militaire, journaliste et colonel réserviste. 

Franceinfo : le ministère des Armées a indiqué qu'"un abordage entre deux aéronefs évoluant à très basse altitude serait à l'origine de l'accident". Dans quelles circonstances cela a-t-il pu se produire ?

Pierre Servent : Tout d'abord, il faut savoir que les hélicoptères sont importants dans ce type de théâtre et sur ce type de missions, car les distances à parcourir sont immenses. Il n'y a que l'hélicoptère qui puisse s'affranchir à la fois des distances et des menaces au sol comme les engins explosifs. Quand il y a un déplacement de troupes pour une opération de combat, des hélicoptères de manœuvre et d'assaut transportent en nombre des combattants. Ces appareils volent à très basse altitude. Ils passent d'ailleurs tellement vite au-dessus du terrain qu'un ennemi au sol n'aurait pas le temps de tirer.

A plus haute altitude, au-dessus de cet hélicoptère-là, vous avez un hélicoptère de combat, en l'occurrence le Tigre, qui a une puissance de feu considérable et qui protège les engins de manœuvre. Le Tigre, en altitude, a une vue plus lointaine et peut assurer une protection supplémentaire, même si ces autres hélicoptères possèdent eux-mêmes des mitrailleuses de sabord (de part et d'autre de l'appareil). 

Tout cela montre que dans les opérations militaires, sur les théâtres de guerre, tout est compliqué, tout présente un danger. C'est pourquoi il y a des procédures très strictes pour ce type d'évènements. Il y aura une commission d'enquête qui permettra de savoir exactement ce qu'il s'est passé. 

Quelles types de procédures sont mises en place pour assurer la sécurité des militaires, dans ces missions ?  

Ces procédures s'observent dès le tarmac militaire : un pilote, avant de prendre son engin en main, fait le tour de l'hélicoptère. Les mécanos revoient régulièrement les machines, surtout dans un climat comme celui du Sahel, avec des températures très élevées, une concentration de sable, etc. Dans les zones chaudes, l'air a une densité moins portante pour l'hélicoptère que dans les zones froides. Les pilotes sont formés, notamment dans le sud de la France, au pilotage dans ces conditions. Entraînements, vérifications des machines, coordination entre hélicoptères de combats et hélicoptères de manœuvre : tout cela est régulièrement travaillé. Tout est extrêmement normé, vérifié. Toutefois, en opération de guerre, il faut s'adapter à la configuration des lieux, au temps qui peut changer, à la présence éventuelle d'un ennemi… 

En 2018, un accident d'hélicoptère lors d'un entraînement militaire dans le Var avait fait cinq morts. Existe-t-il d'autres précédents ? 

Cet accident est survenu dans un cadre de paix. Dès lors que vous touchez des machines aussi sophistiquées, un problème climatologique, une question humaine, une défaillance de la machine, une erreur d'appréciation peut causer un accident dramatique. L'autre précédent auquel je pense s'est déroulé à la fin des années 1970, dans le désert de Tabriz, en Iran. Les forces spéciales américaines avaient monté une opération pour libérer des otages, prisonniers dans l'ambassade des Etats-Unis à Téhéran. Au cours de cette opération, menée de nuit, les pales se sont accrochées lors de la manœuvre de décollage. Cela a tué un certain nombre de pilotes et de commandos, alors que comme vous l'imaginez, cette opération était bien préparée et les machines performantes. Il semble qu'il y ait eu à l'époque une défaillance d'une turbine en raison d'un nuage de sable soulevé par une machine. Il avait à la fois aveuglé le pilote et diminué la puissance de la turbine. 

Les militaires français tués au Mali étaient-ils très expérimentés ? 

Toutes les unités engagées sur l'opération Barkhane sont les meilleures. Tout simplement parce que Jacques Chirac a professionnalisé l'armée : il avait considéré, dans les années 1990, que les conflits du futur demanderaient une armée professionnelle, aguerrie à des configurations complexes, des conditions ni de guerre ni de paix. Depuis cette époque, tous les conflits, entre l'ex-Yougoslavie, l'Afghanistan, la Côte d'Ivoire, le Liban, le Sahel, la Libye, ont montré la pertinence de cette décision.

Si vous regardez la poitrine d'un militaire français de 22 ou 23 ans, quelle que soit son unité, vous verrez un grand nombre de décorations, parce qu'il a fait l'Afghanistan, il est allé au Sahel plusieurs fois, en mission en Guyane… Tous ces soldats sont aguerris. Les pilotes d'hélicoptère sont particulièrement formés, entraînés, rigoureux et capables de manœuvres complexes en situation de guerre. Le 4e régiment d'hélicoptères de Pau fait partie de ces régiments de très grande qualité dans leur domaine. Les autres soldats qui se trouvaient à bord étaient des combattants au sol également remarquables dans leur formation et leur qualité. Quelle que soit l'excellence de la formation, malheureusement, les circonstances, les défaillances et les accidents peuvent arriver. 

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