Poterie, poules et "parcours citoyen" : à quoi va ressembler la vie dans le centre de déradicalisation de Beaumont-en-Véron ?
Les autorités ont présenté aux médias, mardi, les locaux qui vont accueillir jusqu’à 25 jeunes adultes "en voie de radicalisation" pour une dizaine de mois.
Il est 6h45. Un petit réveil jaune, avec une image de chevaux un peu kitsch, se met à sonner dans une des 25 chambres du domaine de Pontourny. Olivier, emmitouflé dans sa couette, l’éteint machinalement. Quelques minutes plus tard, l'éducateur de nuit vient frapper à sa porte : "Il est l’heure !" Olivier s’extirpe de son lit. Il va falloir patienter pour la douche, son voisin de chambre est déjà dessous. Autant aller prendre son petit-déjeuner d'abord. Le tout est d’être prêt pour 9 heures et le début des cours.
Voilà à quoi devrait ressembler une scène matinale type dans le premier centre de déradicalisation français, qui doit ouvrir ses portes dans une dizaine de jours à Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire). La cinquantaine de journalistes conviés à la présentation des lieux par les autorités, mardi 13 septembre, a dû déployer des trésors d’imagination pour tenter de visualiser la vie des futurs pensionnaires.
Les chambres sont ttes individuelles. Elles sont équipées d'une armoire et d'un bureau (et d'un beau réveil) pic.twitter.com/adsgJHb90s
— Catherine Fournier (@cathfournier) 13 septembre 2016
Des fleurs dans les chambres
Après une conférence de presse suivie d’une séance de questions-réponses, les médias ont déambulé dans ces locaux vides, désertés par leurs anciens occupants, des mineures étrangères isolées, et pas encore investis par leur prochain public, de jeunes adultes "en voie de radicalisation". Le site a été réaménagé et les travaux de sécurisation doivent être achevés vendredi pour pouvoir accueillir les nouveaux locataires, âgés de 18 à 30 ans. Ils seront 25 au total d’ici au premier semestre 2017.
Droit comme un i dans son costume, le directeur des lieux, Olivier Chasson, s’emploie à donner vie à ces espaces vides et désincarnés. Dans les chambres, il faut imaginer "les fleurs" dans les vases. Dans la cour, le poulailler, qu’il a promis d’installer pour l’une des recrues, visiblement habituée à aller chercher ses œufs le matin. Sous un soleil de plomb, Olivier Chasson promet de "la chaleur humaine" aux micros qui lui sont tendus. Mais "des hommes et des femmes" qui vont venir habiter ici pendant dix mois, et qu’il dit avoir eu au téléphone régulièrement, il n’en dira pas plus.
Riverains hostiles
C’est l’une des nombreuses contradictions autour de ce site controversé, qui s’apparente pour l’instant à un objet non identifié. A mi-chemin entre les centres éducatifs fermés (réservés aux mineurs sous main de justice) et les Epide (des établissements de réinsertion professionnelle destinés aux jeunes en difficulté), le centre de Beaumont-en-Véron a des allures de "colonie". Une "colonie" un peu spéciale, dont les membres fantômes inquiètent certains riverains, qui ont manifesté en marge de la conférence de presse.
A l'entrée de la longue allée arborée qui mène au domaine de Pontourny, les riverains hostiles au projet étaient là pic.twitter.com/cr59pfIYcj
— Catherine Fournier (@cathfournier) 13 septembre 2016
Si la brochette d’officiels réunis pour l’occasion – préfet d’Indre-et-Loire, directeur du Groupement d’intérêt public qui pilote la création de ce centre, secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation, qui pilote elle-même le GIP, élus locaux... – dément toute "opération de communication", ce rendez-vous avait avant tout pour vocation de rassurer la population locale. Non, des maîtres-chiens ne circuleront pas dans les allées du château comme cela a été dit. Mais 18 caméras filmeront en permanence les lieux et des unités de gendarmes sont prêtes à intervenir "dans un délai de quelques minutes", a indiqué le préfet, Louis Le Franc.
Pour autant, les autorités locales et nationales se veulent rassurantes sur le profil des cobayes du centre, dont elles ne diront pas grand-chose en dépit de leur "souci de transparence". Sélectionnés parmi les "2 375 personnes" signalées pour radicalisation au niveau préfectoral (notamment via la plateforme Stop djihadisme) et prises en charge "en milieu ouvert", ils viennent de toute la France.
Internet à la peine
Ils ne sont pas fichés S mais inscrits au Fichier des signalés pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), "validé par la Cnil". "Aucun n’est sous main de justice pour des faits de terrorisme, aucun n’est passé par une zone de conflit irako-syrienne et aucun n’a été condamné pour des faits de violence", martèle le préfet.
On ne va pas accueillir ici des terroristes.
Et Louis Le Franc d’insister : "Ce sont des volontaires et ce n’est pas un vain mot." Invité à préciser ce point, le directeur du GIP, Pierre Pibarot, nuance : "Il n’y a pas de contrainte pénale ni administrative." De là à parler d’adhésion... "Nous n’avons pas eu de candidatures spontanées", plaisante-t-il à moitié. Dans les rangs des journalistes, les questions fusent. Ces "volontaires" seront-ils autorisés à garder leur smartphone, internet étant un vecteur de radicalisation ? "Oui, mais vu la qualité du réseau ici, ils ne pourront pas beaucoup surfer", rassurent les intervenants, précisant que la mauvaise qualité du réseau n’a rien de calculé. Elle est due, selon un officiel, à la présence d’un château d’eau et à l’éloignement des antennes-relais.
L’accès à internet sera donc encadré sur un ordinateur, pendant les cours, dispensés de 9 heures à midi et de 14 heures à 17 heures. "L’objectif est de les aider à faire le tri entre les informations, de faire un travail sur les médias et sur les théories du complot", détaille Pierre Pibarot.
Histoire, culture gé et capoeira au programme
Le comité d’accueil a du mal à se départir de son jargon pendant la visite. "Ici, nous assurerons la gestion transverse des volontaires", explique l’un des guides dans un bureau destiné tout simplement à accueillir les réunions des différents intervenants pour faire le point sur chaque participant. Parmi les quatre "modules" ou "axes de travail" proposés aux candidats, il est question de "plateforme de distanciation", de "désengagement cognitivo-comportemental", "de parcours citoyen" et "d’accompagnement médical et social". "Nous voulons rétablir leur capacité de libre-arbitre et redonner des perspectives à ces jeunes en échec scolaire et en rupture familiale", clarifie le préfet.
Pour cela, une équipe d’une trentaine de personnes, composée d’éducateurs spécialisés, de formateurs, de psychologues, se relaiera auprès des jeunes adultes. Au programme, des cours d’histoire, de géopolitique, des leçons sur le "fait religieux" mais aussi du sport et des loisirs, tels que de la poterie, du slam ou encore de la capoeira. Les "élèves", auxquels trois tenues seront fournies – une pour le quotidien, une pour le sport et une pour les sorties – devront effectuer le "lever des couleurs" (du drapeau français) une fois par semaine. Plusieurs aumôniers, dont des imams, seront aussi à disposition. Mais la pratique de la religion restera cantonnée à l’espace privé, c’est-à-dire aux chambres.
Parmi les activités proposées par l'"éducateur de nuit", de la poterie, du slam et de la capoiera #BeaumontenVeron pic.twitter.com/OtSrLArwBK
— Catherine Fournier (@cathfournier) 13 septembre 2016
Un chantier épineux
Quel budget pour tout cela ? Dans la salle surchauffée de la conférence de presse, Murielle Domenach, la secrétaire générale du comité interministériel, ancienne consule à Istanbul, refuse de répondre, indiquant qu’il est impossible à évaluer a priori. Selon Le Monde, le coût d'un tel centre est estimé à un million d'euros de fonctionnement annuel en moyenne. Douze autres – un par région – doivent ouvrir courant 2017, financés par l’enveloppe du comité, qui reçoit 70 millions d'euros chaque année.
Le centre de Beaumont-en-Véron fait figure de pionnier et en cela, sa tâche est vertigineuse. L’objectif affiché est justement d’empêcher cette poignée de jeunes adultes, une goutte d’eau parmi les 15 000 radicalisés chiffrés par Manuel Valls, de "basculer" dans la violence. Dans l'épineux chantier de la déradicalisation, les autorités marchent sur un fil. Comme le souligne sur le site Les Jours (article payant) le spécialiste de la jihadosphère David Thomson, ce terme est d’ailleurs de moins en moins employé, après les échecs des programmes mis en place jusqu’à présent.
"Il faut accepter l'échec"
A Beaumont-en-Véron, la terminologie passe plutôt par le préfixe "ré", souligne Murielle Domenach. "On est dans une démarche de 'ré-engagement' et de 'réinsertion'", plaide la diplomate. Un saut dans l’inconnu qui n’est pas sans risque d’échec, le regroupement d’individus radicalisés dans les unités dédiées en prison étant loin d’avoir fait ses preuves. "Ce sont des phénomènes complexes", reconnaît Murielle Domenach, pointant une "ambivalence entre une volonté de vie et une pulsion de mort" chez ces jeunes qui "sont au tout début du processus" de radicalisation.
L’irresponsabilité serait de ne rien faire.
"C’est la prévention pure et dure, glisse une chargée de communication en marge de la visite. En prison, il est souvent déjà trop tard." Au bout des dix mois, les membres du groupe sont censés repartir avec un projet professionnel. Le séjour est-il renouvelable ? "Pourquoi pas, mais il faut aussi accepter l’échec", répond Pierre Pibarot. Il assure toutefois qu’aucun de ces jeunes adultes ne sera relâché dans la nature sans filet.
* Le prénom est fictif
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