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Attentat d'Ankara : "La Turquie peut faire dire ce qu'elle veut à cette attaque"

Au lendemain de l'attaque-suicide qui a tué au moins 35 civils, Istanbul accuse le PKK, le parti des rebelles kurdes. Un ennemi que le régime turc pointe très souvent du doigt.

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
La carcasse du bus visé par un attentat-suicide, le 13 mars 2016, à Ankara (Turquie). (EROL UCEM / AFP)

Au lendemain d'un nouvel attentat à Ankara, la Turquie tient déjà les coupables. Le gouvernement turc a accusé, lundi 14 mars, le PKK, le parti des rebelles kurdes, d'être d'être à l'origine de l'attaque à la voiture piégée qui a tué au moins 35 civils dimanche soir à Ankara. Malgré l'absence de toute revendication immédiate, le Premier ministre Ahmet Davutoglu a assuré, sans surprise, que les enquêteurs disposaient d'éléments "très sérieux, quasi-sûrs" impliquant "l'organisation terroriste séparatiste". Quelques heures après l'explosion, l'aviation turque répliquait, pilonnant les positions du PKK dans le nord de l'Irak. 

Le régime turc, dirigé par Recep Tayyip Erdogan, est souvent prompt à condamner le PKK ou son cousin syrien, le PYD, comme en février après une attaque contre des militaires pourtant revendiquée par un autre groupe kurde de Turquie, le TAK. "Il n'y a aucune différence entre Daech, le PKK ou le PYD", expliquait le chef de l'Etat en janvier après un attentat jihadiste à Istanbul.

Faut-il croire les autorités turques quand elles accusent le PKK et pourquoi l'organisation frapperait-elle des civils ? Francetv info a interrogé Olivier Grojean, maître de conférences en science politique à l'université Panthéon-Sorbonne et spécialiste des mouvements kurdes.

Francetv info : Quel crédit peut-on donner aux déclarations des autorités turques, qui mettent en cause le PKK dans l'attentat d'Ankara ?

Olivier Grojean : Ils ont peu de chances de se tromper en lançant ces accusations. Le dernier attentat à Ankara, en février, était certes l'œuvre du TAK, mais pour le régime, le TAK et le PKK sont la même organisation. Ont-ils raison ? Difficile à dire mais leurs objectifs sont aujourd'hui très convergents. 

Un autre commanditaire possible serait l'Etat islamique, mais la méthode utilisée ressemble beaucoup plus à celle de l'attentat de février qu'aux méthodes des jihadistes. Quant à la gauche radicale turque, ses opérations ont rarement été aussi meurtrières ces dernières années.

Cet attentat ressemble-t-il au type d'action dont le PKK est habituellement responsable ?

Le PKK ne s'en prend pas beaucoup aux civils : il cherche à avoir une image présentable sur la scène internationale et était engagé dans un mouvement de réforme qui le conduisait à modérer ses discours. Les attaques-suicides, même celles du TAK, ont toujours visé des militaires et des cibles de l'Etat, jamais des civils. Ce serait le signe d'un processus de radicalisation très puissant. Mais le PKK n'est pas monolithique. Peut-être qu'une frange de l'organisation a vraiment décidé d'en découdre. Qu'il soit derrière cet attentat m'étonne, mais je ne vois pas vraiment d'alternative.

Comment expliquer une telle action, qui ne pouvait que déclencher des représailles de la Turquie ?

Il peut y avoir des dissensions internes, liées à un certain échec de leur stratégie. Le PKK n'a toujours aucun allié sur la scène internationale et il n'y a plus aucune porte ouverte aux négociations avec la Turquie, qui bombarde le PKK en Irak et ses alliés en Syrie. Il est acculé et a pu chercher, par une opération spectaculaire, à montrer sa force de nuisance.

Mais je reste dubitatif sur les objectifs de cette attaque, qui fait le jeu de la Turquie. Le PKK donnerait tous les éléments aux autorités turques pour pouvoir réprimer. Cela pouvait être une stratégie pertinente dans les années 1990, où la répression conduisait à plus de mobilisation, mais aujourd'hui le PKK n'a plus besoin de ça.

Après l'attentat de février, les autorités turques avaient été promptes à accuser le PYD et le PKK, sans doute à tort. Peuvent-elles, cette fois encore, entretenir le flou pour mieux accuser le PKK ?

En février, les autorités ont clairement joué sur l'ambiguïté pour accuser le PYD syrien, ce qui leur a donné les arguments pour commencer à les bombarder en Syrie. Elles pourraient faire dire ce qu'elles veulent à cet attentat, car la presse est muselée et elles exercent un contrôle sur les réseaux sociaux.

Les informations sur les enquêtes sont donc rares. La jeune kamikaze de dimanche aurait été identifiée grâce à sa main. Que les autorités aient déjà ses empreintes et puissent la retrouver si rapidement, ça semble toujours étonnamment facile. Mais il est vrai qu'il arrive qu'une enquête aille vite.

Cet attentat risque-t-il de remettre en cause le soutien de pays occidentaux aux combattants kurdes en Syrie et en Irak et faire le jeu de l'Etat islamique ?

On peut soutenir les peshmergas en Irak sans soutenir le PKK. Et je pense que les Etats, comme les Etats-Unis, qui soutiennent le PYD en Syrie, vont continuer à dire qu'il s'agit d'organisations très différentes. Dans la réalité, ce sont deux organisations sœurs et des cadres du PKK sont présents en Syrie, mais elle restent distinctes. Mais plus la Turquie s'enfonce dans la guerre civile, plus ça fait les affaires de l'Etat islamique, qui est dans une stratégie d'y provoquer un chaos pour affaiblir le pays, comme l'ont montré ses attentats l'an dernier.

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