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Présidentielle en Turquie : "Il y a eu une forme de trucage massif des élections", affirme Christophe Deloire, de Reporters sans frontières

Recep Tayyip Erdogan a été réélu président de la Turquie ce dimanche. Cette victoire a été possible selon Reporters sans frontières, grâce à un "contrôle du paysage médiatique", indique ce lundi le secrétaire général de l'ONG.
Article rédigé par franceinfo
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Recep Tayyip Erdogan a été réélu président en Turquie, le 28 mai 2023, avec plus de 52% des voix. (TUNAHAN TURHAN / MAXPPP)

"Il y a eu une forme de trucage massif des élections", a affirmé lundi 29 mai sur franceinfo Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG Reporters sans frontières (RSF) au lendemain de la réélection pour cinq ans du président Recep Tayyip Erdogan. "Erdogan a fait de la Turquie un laboratoire de répression de la liberté de la presse", estime Christophe Deloire qui a constaté que le président turc "a eu droit en avril à des passages à l'antenne 60 fois plus longs que le candidat d'opposition sur une chaîne publique". Les partisans d'Erdogan doivent "se rendre compte à quel point il y a des formes de trucage", ajoute le secrétaire général de RSF.

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franceinfo : Comment faut-il regarder les résultats de l'élection présidentielle en Turquie ?

Christophe Deloire : Les Turcs ont pu délibérer des défauts et des qualités de chacun des candidats. Mais c'est oublier qu'il y a une chose qui change la donne, c'est qu'il y a eu une forme de trucage massif. Et le trucage massif des élections, ça ne passe pas nécessairement par le bourrage des urnes. Ça peut passer par le contrôle du paysage médiatique. Et c'est ce qui se passe en Turquie où Erdogan, depuis le temps qu'il est au pouvoir, a fait de la Turquie un laboratoire de répression de la liberté de la presse par des moyens divers et variés, par l'incarcération massive des journalistes - encore aujourd'hui, il y en a 30 qui sont en prison, c'est dire si ça intimide les autres - par des procédures judiciaires arbitraires qui ont amené à la fermeture de médias d'opposition, par le rachat d'un des plus grands groupes de médias privés par un oligarque, un milliardaire dont il est extrêmement proche. Et puis par le fait de mettre à son service les médias publics. Sur la chaîne TRT Haber, la grande chaîne publique qui diffuse des informations, Erdogan a eu droit en avril à des passages à l'antenne 60 fois plus longs que le candidat d'opposition : 32 heures contre 32 minutes. Evidemment, tout ça porte atteinte à la sincérité du scrutin.

Comment s'est traduite cette relation d'Erdogan à la presse et aux médias avant le premier tour, et aussi dans l'entre-deux tours ?

C'est une politique de long terme. Les incarcérations ne sont pas nouvelles, même si au cours des derniers mois, il y a eu 32 incarcérations nouvelles de journalistes kurdes accusés d'appartenir au PKK, le mouvement indépendantiste considéré par Ankara comme terroriste. Sur les 32, seulement seize ont été relâchés. Le Haut Conseil audiovisuel, le RTUK, inflige des amendes astronomiques à des médias audiovisuels. 75 % de ces amendes sont infligées aux sept principales chaînes qui demeurent critiques. La législation antiterroriste, le code pénal, permettent de contourner les législations sur la presse.

Depuis 2014, il y a eu 200 journalistes en Turquie qui ont été poursuivis pour insultes envers le président Erdogan

Christophe Deloire, secrétaire général de l’ONG Reporters sans frontières

à franceinfo

Il y a eu 74 condamnations en tout, des amendes, mais aussi des peines de prison. Je pourrais ajouter la censure sur Internet. Tous les moyens sont bons pour Erdogan pour réprimer le journalisme en Turquie. Et en plus, il exporte sa répression en utilisant des notices rouges d'Interpol lorsque des journalistes depuis l'étranger sur les réseaux sociaux publient des contenus qui lui déplaisent. Il exerce même des pressions diplomatiques sur des pays européens pour qu'ils extradent ou expulsent des journalistes turcs vers la Turquie pour qu'ils puissent les incarcérer. C'est tout un système. Et au moment des élections, quel que soit le déroulement de ce qui se passe le jour de l'élection, il ne faut pas oublier ce système qui a préparé l'organisation de ces élections.

Où se situe la Turquie dans votre classement à Reporters sans frontières ?

D'une année sur l'autre, la Turquie a perdu seize places. Elle est maintenant 165ᵉ sur 180 pays. Elle est vraiment dans les pires pays de la planète. Ce pays n'a jamais été une démocratie parfaite. Les différents pouvoirs successifs ont eu tendance à incarcérer les opposants, et notamment les journalistes considérés comme critiques. La Turquie a toujours été mal classée.

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Il y avait eu des grands procès qui avaient été imposés aux partisans de l'AKP. C'est un pays dans lequel la répression de la liberté de la presse n'appartient pas à un seul camp. Mais il faut dire qu'Erdogan lui-même a quand même fait preuve d'un sacré savoir-faire. Je tiens à préciser par précaution, que nous, à Reporters sans frontières, on n'a évidemment aucune position politique sur la Turquie. On n'est pas là pour dire pour ce que doivent voter les Turcs. Mais notre boulot, c'est quand même de faire valoir ce qui se passe en matière de liberté de la presse. Et là, je pense que les partisans d'Erdogan devraient eux-mêmes se rendre compte à quel point il y a des formes de trucage.

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