Présidentielle en Turquie : "On a un début d'érosion du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, mais son discours de continuité et d'ordre a séduit", explique une spécialiste
Pour Dorothée Schmid, spécialiste de la Turquie à l'Institut français des relations internationales, l'aura du président turc tout juste réélu commence à s'effriter, mais il n'y avait pas d'opposition suffisamment solide en face de lui.
Les résultats du second tour de l'élection présidentielle en Turquie ont montré "un début d'érosion du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan", note ce lundi 29 mai sur franceinfo Dorothée Schmid, responsable du programme Turquie contemporaine et Moyen-Orient à l'Ifri (Institut français des relations internationales).
Dimanche 28 mai, le président turc, au pouvoir depuis 20 ans, a été réélu avec 52,1% des suffrages, contre 47,9% pour son rival Kemal Kiliçdaroglu. Une avance "peut-être moins conséquente" qu'attendue, selon Dorothée Schmid. Le discours de Recep Tayyip Erdogan centré sur "la stabilité, la continuité et l'ordre a séduit les Turcs", tandis que "l'alliance de l'opposition a semblé peut-être trop peu unie".
franceinfo : Comment faut-il analyser les résultats du second tour de cette élection présidentielle ?
Dorothée Schmid : D'abord, l'avance de Recep Tayyip Erdogan est peut-être moins conséquente qu'on aurait pu attendre. Il a gagné au second tour, il a l'air extrêmement fatigué et très diminué par rapport aux campagnes électorales précédentes où on le voyait voler de meeting en meeting avec une force physique remarquable. Aux législatives, qui se sont jouées en un seul tour il y a quinze jours, son parti a perdu un peu de voix et ne maintient la majorité qu'avec son allié ultra nationaliste. On a un petit début d'érosion du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan, mais ce qui a joué c'est le discours de la stabilité, de la continuité, de l'ordre qui séduit dans une période extrêmement anxiogène pour les Turcs d'un point de vue économique et d'un point de vue des relations internationales. Parallèlement, l'alliance de l'opposition semblait peut-être trop peu unie, et semblait n'avoir que trop peu d'expérience du pouvoir.
Selon vous, peut-on voir dans ces résultats une victoire de Recep Tayyip Erdogan ou une défaite de Kemal Kiliçdaroglu qui s'est peut-être perdu lors de cet entre-deux tours durant lequel il a essayé de récupérer des voix à droite ?
Les jeux étaient pratiquement faits à partir du moment où le troisième candidat de cette élection, le candidat ultra-nationaliste Sinan Ogan, s'était rangé du côté de Recep Tayyip Erdogan. Il y a donc eu une espèce de geste désespéré de Kemal Kiliçdaroglu qui est allé chercher des électeurs à l'extrême-droite. Mais au final, son résultat n'est pas si mauvais que ça.
L'est et l'ouest de la Turquie ont voté majoritairement pour Kemal Kiliçdaroglu, tandis que le centre, un peu plus rural, a plébiscité largement Recep Tayyip Erdogan. La Turquie est-elle extrêmement divisée ?
Ce sont un peu toujours les mêmes clivages. À l'Est, dans les régions kurdes, on a vraiment une alliance de gauche menée par le parti kurde qui a joué le jeu de l'opposition et qui a appelé à voter pour Kemal Kiliçdaroglu. C'est assez important car les Kurdes sont toujours une valeur d'ajustement, ce sont un peu les oubliés des scrutins en Turquie depuis que l'AKP [Parti de la justice et du développement, parti islamo-conservateur] a pris son virage ultra-nationaliste.
La Turquie des grandes villes, comme Istanbul et Ankara, a voté pour l'opposition, comme la Turquie littorale. Mais dès qu'il a gagné ces élections, Recep Tayyip Erdogan a bien dit que sa prochaine cible c'était de regagner les grandes villes aux municipales l'année prochaine. Il prend un bain de jouvence à chaque élection. Il n'a pas du tout évoqué les difficultés économiques que tout le monde craint. En revanche, son premier discours de victoire où il conspue la communauté LGBT+ et les terroristes, ces ennemis habituels, montre que son discours clivant va se poursuivre.
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