Législatives turques: pour Erdogan, «c'est moi ou le chaos», selon Ahmet Insel
La Turquie vote le 7 juin 2015 pour élire ses députés. L'universitaire Ahmet Insel nous explique en quoi ces législatives sont un enjeu pour l'AKP, le parti majoritaire au pouvoir depuis 2002, et pour son leader, Recep Tayyip Erdogan, le président de la République qui veut présidentialiser le régime.
L'AKP, (parti de la justice et du développement) est au pouvoir depuis 2002. Le sera-t-elle encore le 7 juin, au soir des législatives en Turquie ? Si tous les sondages placent en tête le parti du président Erdogan, Ils semblent ne pas lui accorder la majorité absolue. Et pourtant, Erdogan a besoin d'une large majorité pour réaliser ses rêves de présidentialisation du régime. L'universitaire Ahmet Insel, auteur de La nouvelle Turquie d'Erdogan, nous donne les clefs de ces élections.
Quels sont les principaux enjeux des élections turques pour la Turquie et pour Erdogan ?
Le principal enjeu des législatives turques du 7 juin pour le président Recep Tayyip Erdogan est de changer le système politique. Il veut transformer le régime parlementaire en régime présidentiel. Déjà, dans les faits, il occupe le terrain beaucoup plus que ne le lui permet l’actuelle constitution. Il pense qu’un régime présidentiel est plus efficace, limite les freins, réduit des contrôles.
Mais en voulant changer le système, il se retrouve face à une contestation et même une résistance de la société. Du coup, le débat n’est plus de savoir si l’AKP va arriver en tête, ce qui ne semble faire aucun doute, mais savoir si l’AKP va connaître un échec avec un score de 40-45%, car pour changer la Constitution, il lui faut une majorité des deux-tiers.
Du coup, le soir du 7 juin si l’AKP obtient une majorité suffisante pour gouverner mais insuffisante pour changer la constitution, cela apparaitra comme un échec.
Le deuxième enjeu de ces élections est de savoir si le parti HDP (Parti démocratique du peuple) dépassera la barre des 10% des voix, limite pour obtenir des sièges au parlement. Ce parti de gauche, qui regroupe les minorités comme les Kurdes, les Arméniens ou les homosexuels, pourrait obtenir une soixantaine de sièges en dépassant la barre des 10%. Si cette barre n’est pas franchie, les sièges sont redistribués aux autres partis, et notamment à l’AKP qui pourrait alors en obtenir une cinquantaine de plus.
Dans la fin de campagne, Erdogan devient de plus en plus autoritaire et répressif. Il tente de convaincre les électeurs que s’ils ne votent pas pour son parti, il pourrait y avoir une coalition indéterminée. Une sorte de «moi ou le chaos».
L’ AKP est au pouvoir depuis 2002. Aucune opposition ne semble capable de le concurrencer. A quoi pourrait on comparer l’AKP chez nous?
Il n’y a pas en Turquie une seule opposition, elle est divisée. En plus du HDP, nous trouvons la vieille opposition kémaliste (le CHP) qui fait environ 20-27% des voix et un parti d’extrême-droite nationaliste qui fait environ 15-17% des voix (MHP). L’AKP ne court pas grand risque face à ces oppositions fragmentées.
L’AKP est un parti qui n’a pas vraiment d’équivalent en France ou en Europe. L’AKP est à la fois culturellement conservateur et économiquement ultra libéral. On pourrait le rapprocher des protestants conservateurs du Parti républicain aux Etats-Unis. Viktor Orban, en Hongrie, est peut être l’homme d’Etat qui pourrait ressembler au leader de l’AKP, un parti qui mélange libéralisme économique, grandeur nationale, grandeur perdue de l’empire ottoman…
Aujourd’hui, ce parti joue essentiellement sur l’islamisation. La porte de l’UE étant aujourd’hui fermée, Erdogan voit du coup la Turquie comme le centre culturel du monde musulman.
Le président Erdogan ne semble pas manquer d’ambitions personnelles. Mais quelles sont ses ambitions géopolitiques pour son pays par rapport à la situation régionale ?
La porte fermée avec l’Europe n’est pas spécialement imputable à la Turquie. Mais aujourd’hui, l’AKP ne croit plus en l’Europe où personne n’est prêt à un rapprochement avec la Turquie. Aujourd’hui entre la Turquie et l’Europe, c’est la convergence des désintérêts, même si économiquement, le pays reste essentiellement tourné vers le continent européen.
Erdogan a été contraint de s’accrocher à ce qui lui reste. Il a choisi d’aller vers l’islam, les Frères musulmans, et là c’est l’échec absolu. La Turquie qui voulait devenir le centre de gravité du Moyen-Orient n’y a plus aucune représentation (Syrie, Egypte, Israël…).
Aujourd'hui, Erdogan tente d’intégrer la Turquie dans cette alliance sunnite avec l’Arabie saoudite et son nouveau roi, contre Bachar.
La Nouvelle Turquie d'Erdogan
«Du rêve démocratique à la dérive autoritaire»
Ed. La Découverte (194 pages, 17 euros)
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